Vers deux lois complémentaires sur la fin de vie ?
La loi sur la fin de vie fait désormais l’objet de deux propositions de loi distinctes : l’une consacrée aux soins palliatifs, l’autre à l’aide à mourir. Si leur objectif est commun - soulager les souffrances - , il n’est pas certain que le résultat soit pour autant satisfaisant.

Par Martine Lombard, Professeure émérite de l’Université Paris Panthéon-Assas
Pourquoi deux propositions de loi distinctes sur la fin de vie ?
La réforme du cadre législatif sur la fin de vie a failli buter sur la volonté du Premier ministre de scinder une proposition de loi (PPL) qui reprenait initialement tout le projet de loi sur l’accompagnement des malades, en l’état où il était débattu juste avant la dissolution du 9 juin. Celui-ci comportait deux volets, l’un sur les soins palliatifs, l’autre sur « l’aide à mourir ».
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Cette dernière terminologie a été choisie en France pour remplacer les termes plus courants mais discutables de « suicide assisté » (le malade souhaitant en finir avale lui-même un produit létal) et d’ « euthanasie » (ce produit est administré par un tiers à la demande du malade).
Lors de sa déclaration de politique générale, F. Bayrou avait certes dit respecter l’initiative parlementaire mais ses réticences sur « l’aide à mourir » l’ont emporté et conduit à vouloir séparer celle-ci du reste du texte. Un compromis a finalement été trouvé en ce que deux propositions de loi, l’une sur les soins palliatifs, l’autre sur «l’aide à mourir » au sens qui vient d’être indiqué, seront débattues ensemble en mai et donneront lieu à deux votes le même jour.
Ces deux propositions de loi ont pour objectif commun de rendre les droits des malades enfin effectifs. Mais elles comportent une différence substantielle dans la prise en compte ou non des souffrances réfractaires ou insupportables subies par les malades en phase avancée.
Comment rendre les droits des malades enfin effectifs ?
En déposant une proposition de loi « relative à l’accompagnement des malades et de la fin de vie », le député Olivier Falorni avait délibérément repris le titre même du projet de loi déposé au printemps par le gouvernement. Face au refus de François Bayrou d’accorder du temps parlementaire à un tel texte, sa nouvelle proposition de loi a été amputée de ce qui constituait son titre 1 sur les soins palliatifs et d’accompagnement. Une proposition de loi relative spécifiquement à ces derniers a alors été déposée par Mme Annie Vidal.
Ces deux propositions de loi sont dotées d’exposés des motifs similaires dans leur rappel de la suite de textes intervenus en France sur la fin de vie : notamment la loi du 9 juin 1999 « visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs », la loi dite Leonetti du 22 avril 2005 « relative aux droits des malades et à la fin de vie », la loi dite Claeys Leonetti du 2 février 2016 « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ». Il résulte de ces lois que « toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ». Mais comment faire de ce droit du malade une réalité ?
La proposition de loi d’Annie Vidal est bien sûr centrée sur « la nécessité de développer les soins palliatifs en rendant leur accessibilité effective ». Elle évoque brièvement l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) publié en septembre 2022 et le rapport de juillet 2023 de la Cour des comptes, sans beaucoup souligner que, selon eux, ce n’est pas seulement faute de moyens financiers que ce droit consacré depuis 25 ans n’est pas partout effectif, mais que c’est aussi du fait de défauts structurels d’organisation. Cela justifie en tout cas l’adoption d’un texte législatif, en sus des engagements financiers sur dix ans pris par ailleurs.
Olivier Falorni indique tout autant la nécessité d’un « renforcement et (du) développement massif des soins palliatifs ». Cependant, il constate que, « malgré le professionnalisme et le dévouement des soignants, ils sont dans certaines circonstances démunis face à certaines souffrances réfractaires ou insupportables. » D’où la nécessité dans ces cas, souligne-t-il, d’ouvrir « un ultime recours, celui d’une aide à mourir » si le malade, en phase avancée ou terminale d’une affection qui engage son pronostic vital, en fait la demande.
Comment prendre en compte les souffrances réfractaires ou insupportables ?
L’exposé des motifs des deux propositions de loi comporte plus qu’une nuance de vocabulaire dans l’emploi des mots « douleur » ou « souffrance ». Dès lors que la proposition de loi d’Annie Vidal est centrée sur la « douleur », y compris « chronique ou aiguë », et les soins qui peuvent y remédier, elle peut ménager les interdits d’ordre culturel ou religieux qui refusent d’abréger une agonie, même si le malade le demande.
En revanche, la souffrance, parfois physique, parfois aussi psychologique, liée par exemple à l’impossibilité de communiquer avec autrui, ouvre une problématique plus délicate. Le CCNE a franchi le pas, dans son avis 139, à l’égard des souffrances auxquelles, selon ses termes, il ne peut être remédié ni par les soins curatifs ni même par les soins palliatifs. C’est à l’égard de telles souffrances que « le droit d’avoir une fin de vie digne », consacré actuellement par la loi, est en effet parfois une promesse impossible à tenir. Or, ce n’est pas toujours faute de soins palliatifs, car ce constat peut être fait y compris dans les meilleurs services de soins palliatifs, ainsi que l’ont constaté des articles médicaux cités par le CCNE.
La loi de 2016 avait, certes, apporté une première réponse en permettant alors le recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, mais qui n’est techniquement possible que si le pronostic vital est engagé à (très) court terme. Or, de telles souffrances peuvent apparaître bien avant ce moment, ainsi que l’a constaté le CCNE. Il en a conclu que seule une nouvelle loi, ouvrant une voie éthique pour une aide à mourir, pourrait alors permettre d’y répondre.
Ni cet avis, ni celui adopté en juin 2023 par l’Académie nationale de médecine, selon lequel « il est inhumain…de ne pas répondre à la désespérance de personnes qui demandent les moyens d’abréger les souffrances qu’elles subissent du fait d’une maladie grave et incurable » , ni les auditions auxquelles avait procédé l’Assemblée nationale après la Convention citoyenne, n’ont pu cependant ébranler les convictions de ceux qui refusent par principe d’entendre la demande d’un malade d’en finir, s’il ne subit plus sa vie que comme une souffrance.
La difficulté sera, dès lors, de trouver une articulation satisfaisante entre des textes qui avaient été conçus d’un seul mouvement et qui se trouvent maintenant scindés. La voie la plus sûre consisterait sans doute à respecter ce qui faisait la trame du projet de loi tel que débattu en juin, quitte à l’améliorer mais sans la dénaturer.