Par Bruno Py, Professeur de Droit Privé et Sciences Criminelles à l’Université de Lorraine 

Avec cette « aide à mourir », telle que décrite par le Président de la République, le principe de la prohibition du meurtre et/ou de l’assassinat va-t-il disparaître ?

Mettre un terme à la vie d’un patient, fut-il en fin de vie, par un poison ou tout autre moyen, quel que soit le mobile (abréger ses souffrances par exemple), est aujourd’hui en France un assassinat, en vertu de l’article 221-3 du code pénal. L’aide au suicide, pratiquée en Suisse, constitue quant à elle le délit de non-assistance à personne en péril, puni de cinq ans d’emprisonnement par l’article 223-6 du code pénal.

Peut-il exister des meurtres ou assassinats licites ?

La notion de fait justificatif conduit à affirmer qu’il existe des hypothèses dérogatoires au principe de prohibition comme l’action du militaire en opération ou de l’agent en légitime défense. En vertu de l’article 122-4 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires. » Ce qui est interdit par principe peut être exceptionnellement permis. C’est la démarche que le législateur adopta en 1975 pour créer l’exception d’IVG, dérogeant à l’interdiction pénalement prohibée de l’avortement (anc. Art. 317 du Code pénal)

La justification pénale du laisser mourir.

L’Affaire Vincent Humbert suscita la loi Léonetti du 22 avril 2005 (LOI n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie) et l’affaire Vincent Lambert, la loi Claeys Léonetti (LOI n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie). Les apports de ces deux lois ne sont pas révolutionnaires sur le plan juridique mais importants sur le plan symbolique. L’obligation de respecter le consentement du patient était déjà acquise par la loi du 4 mars 2002. Il faut néanmoins se féliciter de la précision du législateur qui, au travers d’une interprétation authentique, a clarifié la nature des actes que le malade peut refuser. La loi du 4 mars 2002 parlait de la volonté de « refuser ou d’interrompre un traitement », la loi du 22 avril 2005 entérine le droit de « refuser ou d’interrompre tout traitement ». L’important réside surtout dans l’affirmation légale limpide de l’article L.1111-4, du code de la santé publique réformé en 2016 : « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif ». Ce texte est essentiel, tant du point de vue du malade qui voit assuré que le non-respect de son refus de soins serait jugé comme illégal, que du point de vue du médecin, assuré que le respect du refus de soins ne lui sera pas reproché. La loi autorise désormais légalement le médecin à s’abstenir. Sur le plan technique, il s’agit d’un fait justificatif, la permission de la loi, qui empêche de poursuivre le médecin pour omission de porter secours à personne en péril. Dans les conditions légales, le médecin qui laisse mourir le malade incurable qui le lui demande est pénalement impunissable, même si tôt ou tard, l’agonie conduira le moribond à être exposé à un péril.

La justification de la sédation profonde et terminale.

De surcroît, la loi du 2 février 2016 permet : « A la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable » (…) que soit mise en œuvre « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie » (Article L.1110-5-2 C. santé Publ.) Le respect du laisser mourir est devenu un droit de laisser la mort se produire paisiblement et inconsciemment.

La justification du « faire mourir ».

Ce qui reste interdit pour l’heure, c’est le geste létal, le cocktail lytique (mélange de drogues, analgésique central, antihistaminique, neuroleptique provoquant le décès). La vérité oblige à dire que, contrairement à une idée reçue, la loi pénale, l’histoire et la médecine ont parfois jadis entériné des faits d’euthanasie. En droit pénal militaire, les textes concernant le peloton d’exécution, prévoyaient avant 1981 que l’officier qui dirigeait les tireurs devait donner au condamné un « coup de grâce » après la fusillade. Les historiens mentionnent l’épisode des « pestiférés de Jaffa », auxquels Desgenettes (Médecin de la grande armée) distribua le 28 avril 1798 des fioles de laudanum (opium) pour pouvoir se suicider sans être torturés par les ennemis (Turcs). En médecine, avant que Pasteur ne crée le vaccin antirabique, il était préconisé d’étouffer les enragés entre deux matelas. La nouveauté annoncée en 2024 serait d’adopter une loi qui, dans la même logique que la loi hollandaise ou belge, créerait un cadre juridique de permission de faire mourir.

A titre de comparaison, la loi néerlandaise du 11 avril 2001, entrée en application le 1er avril 2002, autorise l’euthanasie et le suicide assisté et prévoit (article 293 du code pénal néerlandais) : l’homicide « n’est pas punissable s’il est commis par un médecin qui respecte les critères de rigueur visés à l’article 2 de la Loi sur le contrôle de l’interruption de la vie sur demande et de l’aide au suicide et qui le signale au médecin légiste de la commune conformément à l’article 7, paragraphe 2, de la Loi sur les pompes funèbres. »

La notion de clause de conscience.

La clause de conscience est le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi mais que le professionnel de santé estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. La première clause de conscience spécifique a été mise en place en 1975 par la loi Veil consacrant le Droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Elle figure à l’article L2212-8 du Code de la santé publique. Ce modèle a ensuite été élargi à d’autres actes, comme la stérilisation à visée contraceptive (art L2123-1 du C.santé publ.). Depuis la loi bioéthique de 2011, une clause de conscience spécifique concerne la recherche sur les embryons humains (art L2151-7-1 C. santé publ.). « Il est important de noter que le Conseil national de l’ordre des médecins n’a pas souhaité la mise en place d’une clause de conscience pour la sédation profonde et continue » (Marie Drouillard). Dans son avis 139 rendu public le 13 septembre 2022, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) émet plusieurs recommandations, dont une sur la clause de conscience des personnes susceptibles de concourir à la pratique d’une euthanasie ou d’une assistance au suicide. Ce rapport met ainsi en avant le fait que : « Toute évolution juridique dans le sens d’une dépénalisation de l’assistance au suicide devrait être accompagnée de l’institution d’une clause de conscience, accompagnée d’une obligation de référer le patient à un praticien susceptible de réaliser l’intervention. »