Par Ludivine Richefeu, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Codirectrice du Laboratoire d’études juridiques et politiques (LEJEP) et Sophie Soubiran, Avocate à la Cour

Le nouveau texte renforce-t-il la définition des agressions sexuelles ?

Sur le volet de la valeur déclarative de la loi pénale, certainement, le nouveau texte utilisant expressément la notion de « consentement ». La rédaction du texte soulève néanmoins trop d’interrogations pour parvenir à renforcer concrètement la définition des agressions sexuelles. Premièrement, son architecture est particulièrement confuse. La disposition proposée porte en effet dans un premier alinéa sur l’inexistence du consentement en utilisant les termes d’ « acte sexuel non consenti », avant d’évoquer dans un second alinéa l’existence de celui-ci (« le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable »), puis, enfin, de se concentrer de nouveau dans un troisième alinéa sur son inexistence en conservant les quatre adminicules actuellement en vigueur : « Il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature ». Quel est dès lors l’objectif du texte ? Vise-t-il à introduire la notion de consentement ? Si tel est le cas, pourquoi conserver deux alinéas centrés sur l’inexistence du consentement ?

Deuxièmement, le texte introduit la notion de consentement, laquelle reste peu intelligible : si cette notion revêt une pleine autonomie en droit pénal, ni le texte envisagé ni la jurisprudence ne la définit. Au contraire même, son opacité est renforcée par la présence de cinq adjectifs, flous pour certains, qui viennent entourer le consentement (l’on peut d’ailleurs se demander si une notion limpide aurait besoin d’être adjectivée à ce point…) : par exemple, qu’est-ce qu’un consentement spécifique ? Le Conseil d’État – saisi pour avis par la présidente de l’Assemblée nationale dans l’objectif de garantir la sécurité juridique de la proposition de loi – a relevé lui-même que « l’exigence d’un consentement spécifique doit être interprétée de plusieurs façons ». Il a par ailleurs « explicité » cet adjectif pour conclure que son utilisation « n’appelle pas de réserve ». Comment mieux démontrer que la rédaction du texte n’est pas conforme au principe de légalité, lequel protège la compréhension de l’incrimination et sa prévisibilité, en imposant que celle-ci soit rédigée de manière claire, précise et intelligible ?

Au-delà de ces questions de légistique,l’emploi de la notion de consentement doit enfin être interrogé au moment même où, pour certains, le viol constitue moins un acte sexuel auquel ne manquerait « que » le consentement de la victime, qu’un acte de pouvoir, de domination et de destruction de l’autre.

Quelles sont les conséquences du texte en matière probatoire ?

La rédaction confuse du texte crée un doute quant à ses conséquences probatoires. L’on ne comprend plus très bien ce qu’il faudrait prouver. L’alinéa 2 relatif au consentement constitue-t-il une simple information pédagogique sur ce que doit être le consentement en matière de relations sexuelles, ou engendre-t-il une obligation de prouver non seulement l’existence positive du consentement avec ses cinq adjectifs ET un acte de contrainte, violence, menace ou surprise ? Le texte serait alors, au mieux, inutile dans la première hypothèse ; au pire, il aboutirait dans la seconde hypothèse à durcir le recueil de la preuve, à le complexifier, alors même que l’esprit du législateur est bien de le faciliter.

Plus encore, la rédaction du texte risque d’entraîner un changement d’orientation de l’enquête / de l’information. L’objectif de la proposition de loi est de centrer les investigations sur le mis en cause, sur la manière dont celui-ci peut justifier avoir recueilli le consentement. Mais comment rapporter la preuve positive du recueil du consentement, qui plus est en démontrant que celui-ci n’a à aucun moment été révoqué ? Cette exigence d’une « preuve impossible à rapporter » apparaît très difficile à satisfaire, même pour le ministère public ou le juge d’instruction (rappelons que la charge de la preuve pèse en droit pénal sur l’accusation et non sur le mis en cause) qui ne devra alors plus rechercher si le mis en cause a outrepassé l’absence de consentement par la contrainte, menace, violence ou surprise, mais bien si celui-ci a positivement recueilli le consentement de la plaignante. Or, ce n’est pas la même chose de démontrer que le mis en cause a agi en violation de la loi, ou à l’inverse en conformité avec celle-ci. La seconde hypothèse conduit à orienter les investigations vers l’obtention d’éléments de preuve à décharge, ce qui apparaît bien illusoire compte-tenu de la difficulté de prouver l’existence du consentement. Dès lors, le risque de faire peser la charge de la preuve sur le mis en cause est bien présent.

L’introduction du consentement dans la définition des agressions sexuelles est-elle utile ?

Le viol constitue un crime aux effets dévastateurs commis dans son immense majorité par des hommes sur des femmes ou des enfants. Si les chiffres diffèrent selon les sources, l’on s’accorde à relever que cette infraction est peu déclarée et demeure peu poursuivie. Dans ce contexte, la proposition de loi poursuit l’objectif d’augmenter le taux de poursuite, de mieux orienter la focale de l’enquête, et de permettre au juge, lequel ne disposerait pas des outils nécessaires, d’entrer davantage en voie de condamnation. L’on peut néanmoins douter du fait que la réécriture proposée soit une solution à ces difficultés et craindre fortement qu’elle ait des effets problématiques.

Assurément, la difficulté principale relative au très faible taux de poursuites ne trouve pas sa source dans la rédaction du texte actuel, mais dans la manière dont il est appliqué par encore trop d’acteurs du monde judiciaire, des enquêteurs aux magistrats. La loi en vigueur n’impose en effet aucune recherche spécifique sur le comportement de la plaignante; elle n’impose pas de prouver autre chose que le comportement de l’auteur : ce sont les biais, habitudes et stéréotypes ancrés dans la culture collective qui orientent la direction des investigations vers la plaignante, ses réactions et ses mœurs. Il apparait également illusoire d’espérer qu’une réécriture du texte puisse améliorer la prise en charge des victimes de violences sexuelles ou permettre des enquêtes plus efficaces alors que la modification se fait à moyens constants. Faire de la lutte contre le viol une priorité de politique pénale exige d’y employer des moyens à la hauteur de l’enjeu.

Surtout, améliorer le taux de condamnation en imposant au juge de devoir caractériser des éléments aussi difficiles à appréhender qu’un « consentement spécifique » relève de la gageure, dans un cadre pénal où il est soumis au principe d’application stricte de la loi. Prouver le fait, caractériser l’intention, voilà déjà des difficultés sur lesquelles échouent trop de procédures. Par ailleurs, la jurisprudence a récemment montré comment les adminicules du texte actuel peuvent être interprétés de sorte à inclure la notion de sidération de la victime, sous l’angle de la surprise (crim. 11 septembre 2024, n° 23-86657) ou encore les abus de pouvoir, sous l’angle de la contrainte morale (crim. 8 décembre 2021, n° 21.81311) – deux notions dont l’application a par ailleurs été facilitée par le législateur pour les agressions sexuelles commises sur mineurs. À ce titre, la précision « quelle que soit leur nature » ajoutée aux adminicules du texte constitue, elle, une avancée à saluer.