Oui à l’inscription de l’absence de consentement dans la nouvelle définition du viol !
Le 18 juin, le Sénat a adopté à l’unanimité la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, en y intégrant l'absence de consentement. Quels seraient les avantages de cette nouvelle définition du viol ?
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Par Carole Hardouin-Le Goff, Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris Panthéon Assas.
Une telle réforme législative visant à réformer la définition du viol en y intégrant l’absence de consentement signifie-t-elle, à l’avenir, davantage de répression des crimes de viol en France ?
En France, 1% seulement des viols donne lieu, actuellement, à une condamnation effective. L’on peut donc légitimement se demander si une telle modification législative n’aurait pas un effet salutaire en termes de réponse pénale. Le principal résultat escompté d’une telle réforme législative est effectivement d’accroître la répression des viols, en centrant désormais les investigations sur le comportement de l’auteur – et non plus celui de la victime, comme on a pu le voir lors du procès Pélicot (comment la victime était-elle vêtue ? S’est-elle débattue ? A-t-elle réagi ? Son comportement passé ? Ses habitudes ? Ses hobbies…) – plus précisément sur l’attention qu’il a portée à l’existence du consentement de son – ou sa – partenaire sexuel, avant l’acte sexuel mais encore pendant. En somme, il s’agit de ne plus faire le procès de la victime du viol mais de recentrer le procès sur l’auteur du viol, ce qui est l’essence même du procès pénal.
Le viol est un crime sanctionné à l’article 222-23 du Code pénal. Toutefois, ce n’est que depuis la loi du 23 décembre 1980, loi votée en réaction du procès d’Aix-en Provence de 1978 (relatif à deux touristes belges victimes de viol), que le viol est défini dans la loi. Or, cette définition, voulue en ces termes par les féministes de l’époque, dont maître Gisèle Halimi, est précisément dépourvue de toute mention explicite au consentement ou plus exactement à l’absence de consentement de la victime. Ainsi, en ce moment même, est un viol, un acte de pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital commis par « violence, contrainte, menace ou surprise ». Si l’on transpose cette définition en prenant en compte la réalité voulant que les victimes de viol soient à plus de 85% des femmes, cela signifie qu’en France aujourd’hui une femme est présumée consentir, d’emblée, à tout rapport sexuel avec quiconque, à moins que ne soit démontrée une violence, une menace, une contrainte ou une surprise… Une telle présomption de consentement ne répond assurément pas à la promotion des droits humains et en l’occurrence à celle des droits fondamentaux des femmes. Ainsi, inscrire l’absence de consentement dans la définition légale du viol, c’est renoncer à cette présomption de consentement à tout rapport sexuel et cela opère un changement de paradigme dans notre société, changement de paradigme qui consiste à dire que non, de principe, une femme, en France, n’est pas d’emblée consentante à une relation sexuelle.
En outre, l’intégration de l’absence de consentement dans la définition du viol permettrait de pallier les « zones grises » constituées, entre autres, par l’état de sidération ou d’intoxication d’une victime qui ne peut pas dire non, mais encore par l’état d’intimidation d’une victime (par exemple au travail) qui n’ose pas dire non. L’on constate aujourd’hui combien la jurisprudence n’a pas d’autre choix que d’interpréter très largement la contrainte et la surprise pour y faire « entrer » toutes les situations factuelles qui se présentent en pratique. A tel point que l’on a pu dire que la surprise était devenue un « fourre-tout » couvrant, sans aucune cohérence d’ensemble, aussi bien le cas où le violeur abuse de la vulnérabilité d’une victime droguée par lui et qui ne peut pas donner son consentement (comme l’illustre l’affaire Pélicot), que le cas où le violeur utilise un stratagème pour tromper et obtenir le consentement de la victime, par exemple en se faisant passer pour celui qu’il n’est pas. Or, en vertu du principe de légalité des délits et des peines inscrit à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les incriminations pénales doivent être clairement et précisément définies dans la loi. Pourtant, en l’état, l’incrimination du viol est défaillante, reposant sur quatre adminicules qui relèvent du champ de la preuve, et non sur un concept central qu’est l’absence de consentement. Cette définition biaisée du viol dans notre Code pénal a donc conduit à l’élaboration d’un droit prétorien qu’il faut certes saluer. Mais, lorsque le juge en vient, à ce point, à combler les lacunes de la loi, il convient de restaurer la fonction normative du texte d’incrimination, lequel doit ancrer l’essentiel et le rendre visible : inscrire qu’un viol est un acte sexuel non consenti.
Quels seraient les autres avantages de cette nouvelle définition du viol ?
Dire clairement dans la loi qu’un viol est un rapport sexuel non consenti aurait une vertu éducative non négligeable. L’on accorde, en effet, à la loi pénale un rôle préventif en raison de sa portée pédagogique, à condition qu’elle soit toutefois bien écrite en usant des concepts idoines, ce qui n’est pas le cas lorsque la notion d’absence de consentement ne figure pas dans la loi. Et puis, l’intégration de l’absence de consentement dans la définition légale du viol aurait indéniablement une portée expressive et symbolique, réaffirmant clairement que la valeur sociale ici protégée par le droit pénal est une liberté – la liberté sexuelle – dont chacun, au-delà de l’âge de 15 ans depuis la loi du 21 avril 2021, dispose.
De plus, il convient de mettre notre droit interne en conformité avec le droit européen et le droit international. Ainsi, la France a ratifié la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique dont l’article 36 stipule qu’en matière de viol « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ». En 2023, le Comité des Nations-Unies sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes recommande « de modifier le Code pénal de manière que la définition du viol soit fondée sur l’absence de consentement, couvre tout acte sexuel non consenti et tienne compte de toutes les circonstances coercitives, conformément aux normes internationales relatives aux droits humain ».
Enfin, les détracteurs de cette réforme de bon sens disent, curieusement, que cette nouvelle définition du viol serait une atteinte aux droits de la défense et à la présomption d’innocence de l’accusé. Or, pour le Conseil d’État, dans l’avis du 11 mars 2025 qu’il a rendu sur cette proposition de nouvelle définition du viol, un tel argument n’est guère pertinent puisqu’il reviendra toujours « à l’autorité de poursuite et à la juridiction de jugement d’établir, outre la matérialité des faits, l’élément intentionnel de l’infraction, c’est-à-dire la conscience chez le mis en cause d’avoir agi à l’encontre ou en l’absence du consentement de la personne ». Et surtout, qu’on le dise franchement, cette nouvelle définition du viol intégrant l’absence de consentement ne fera que mettre la pratique en conformité avec la lettre de la loi, tant il est vrai que les juridictions font de l’absence de consentement l’élément décisif, inlassablement au cœur des débats judiciaires dans les affaires de viol.