Par Didier Truchet, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas

Quel est l’objet de cette réforme de l’audiovisuel public ?

Elle a été engagée par une proposition de loi du sénateur UDI (Seine-et-Marne) Laurent Lafon, adoptée par le Sénat en juin 2023. Transmise à l’Assemblée nationale, elle n’y a pas été discutée en raison de la dissolution de juin dernier. Le texte modifie la loi dite « Léotard » du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (qui a connu près de cent modifications depuis son adoption !).

Il s’agit de créer une société France Médias dont le capital serait entièrement détenu par l’Etat. Elle réunirait dans une sorte de groupe public la quasi-totalité du secteur public de l’audiovisuel (à l’exception d’ARTE France et de La chaîne parlementaire). Elle deviendrait la société mère des actuelles sociétés nationales de programme (France Télévisions, Radio France et France Médias Monde) et de l’Institut National de l’Audiovisuel. Ce dernier, qui est actuellement un établissement public industriel et commercial, deviendrait une société. Le président directeur général de France Médias présiderait également le conseil d’administration des nouvelles filiales. Il aurait donc un pouvoir considérable que seule une personnalité forte, habile et incontestée (donc pas facile à trouver !) pourrait exercer sereinement. Il serait nommé par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM). Mais cette autorité publique indépendante serait moins libre qu’aujourd’hui car elle statuerait désormais sur proposition du conseil d’administration, ce qui serait un changement important. La mission d’« accompagnement » confiée à Madame Bloch conduira-t-elle  à amender ce projet ?  La réponse n’est pas claire.

Pourquoi cette réforme ?

L’objectif officiel de la réforme est de mettre l’organisation de l’audiovisuel public à jour de l’évolution du marché des médias, ce qui selon la ministre de la Culture, Rachida Dati, est un enjeu démocratique et de souveraineté nationale.

L’évolution des usages de la communication audiovisuelle ainsi que la concurrence des plateformes de partage des vidéos (qui ont été réglementées par une loi du 31 mai 2024 en application du règlement européen « Digital Services Act ») et des messages et chaines diffusés pour le meilleur et pour le pire sur internet et les réseaux sociaux, justifient de conforter l’audiovisuel public dans son rôle d’éditeur de programmes de qualité et d’informations fiables, en France et à destination des publics étrangers. Mais l’expérience des nombreuses réformes antérieures fait douter qu’un changement d’organisation suffise à atteindre cet objectif. C’est une vieille chimère française que de croire qu’une reconstitution de l’ORTF (qui n’a existé que de 1964 à 1974) ou une imitation de la BBC anglaise (qui a connu récemment des déboires) résoudrait les problèmes du secteur public français de l’audiovisuel.

Quels sont les autres enjeux ?

Ils sont nombreux et plus importants, à mes yeux, que l’organisation. J’en mentionnerai deux. L’enjeu financier d’abord : depuis la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (l’ancienne « redevance ») consécutive à la disparition de la taxe d’habitation, le secteur public est financé principalement par le budget de l’Etat et accessoirement par la publicité (amputée par sa disparition sur France Télévisions entre 20 heures et 6 heures). De l’ordre de 4 milliards d’euros, ces ressources stagnent ou baissent. Votée à une quasi-unanimité, la loi organique n°2024-1177 du 13 décembre 2024 a pérennisé l’affectation aux organismes du secteur public de la communication audiovisuelle d’une part des impositions de l’Etat, mais elle ne leur garantit pas nécessairement des ressources suffisantes dans le contexte budgétaire actuel.

Le second enjeu, essentiel, est lié au précédent : la France a-t-elle encore besoin d’un secteur public de l’audiovisuel et l’Etat en a-t-il encore les moyens ?  Provocante, la question est évitée dans le débat public. La réponse me semble positive, mais il faudrait s’interroger sur le périmètre du secteur public : doit-il rester « généraliste » ou se concentrer sur des missions de service public spécifiques et mieux identifiées que dans la loi de 1986 et les cahiers des charges des organismes ? Je pense notamment au pluralisme des expressions et des opinions, à la culture, à l’influence de la France à l’étranger… La réforme en cours a éludé ces sujets délicats mais fondamentaux. Espérons que, malgré son étroitesse apparente, la mission confiée à Laurence Bloch permettra de les aborder.

A quelles difficultés se heurte la réforme ?

La difficulté politique est évidente : rien ne garantit que la réforme recueille une majorité à l’Assemblée nationale. Le premier ministre s’y est déclaré favorable, mais il serait très périlleux pour le gouvernement d’engager sa responsabilité sur le projet. En outre, le personnel de l’audiovisuel public a déjà fait grève contre la réforme et il a les moyens de « médiatiser » son opposition. Tout en comprenant son inquiétude, on peut toutefois relever qu’il l’a manifestée envers toutes les réformes antérieures. La difficulté de calendrier aussi est considérable : déjà victime de la dissolution et de la démission du gouvernement Barnier, la réforme ne pourra, en pratique, être inscrite à l’ordre du jour qu’après que l’ARCOM aura désigné le nouveau patron de France Télévisions. Tenue par les délais légaux, elle vient d’engager la procédure. Si la réforme est adoptée, quel sera alors le sort de l’élu, et au prix de quel désordre ?