Par Martine Lombard, professeure émérite de l’Université Paris Panthéon-Assas

Pourquoi utiliser les mots d’« aide à mourir » plutôt qu’euthanasie ou suicide assisté ?

« Le terme que nous avons retenu est celui d’aide à mourir parce qu’il est simple et humain », a dit Emmanuel Macron, alors que le mot « euthanasie désigne le fait de mettre fin aux jours de quelqu’un, avec ou même sans son consentement, ce qui n’est évidemment pas le cas ici ». Par son origine (« eu-thanatos »), le mot euthanasie désigne la bonne mort. Mais l’histoire témoigne des usages très différents qui en ont été faits. Utilisé par les nazis pour assassiner plus de 70.000 handicapés physiques ou mentaux, ce mot a une portée toute différente dans la loi belge du 28 mai 2002 « relative à l’euthanasie » : elle ne peut que répondre à une demande explicite d’un malade. Le mot « euthanasie » ne dit pas en soi que la mort donnée volontairement répond à la demande d’un être à bout de souffrances. Alors que l’ expression d’« aide à mourir» présuppose une demande d’assistance en ce sens.

Le raccourci opéré ensuite par Emmanuel Macron est plus contestable lorsqu’il évoque son refus d’« un suicide assisté qui correspond au choix libre et inconditionnel d’une personne de disposer de sa vie ». Les directives de l’Académie suisse des sciences médicales définissent en réalité des conditions précises permettant à un malade d’obtenir un suicide assisté. Pourtant, dans notre pays, où le taux de suicide est très supérieur à la moyenne des pays européens et où la prévention du suicide est donc un objectif majeur de santé publique, l’expression de « suicide assisté » peut être perçue comme un oxymore : faut-il prêter assistance à ce qu’il faut d’abord combattre ?

Qui pourrait bénéficier de l’« aide à mourir » ?

Des conceptions différentes des bénéficiaires potentiels d’une aide à mourir existent en Europe et aux Etats-Unis. Le modèle européen (imité par le Canada) est caractérisé par un récent arrêt de la CEDH (4 octobre 2022, Mortier c. Belgique, req n°7801/17) comme exigeant trois conditions pour être compatible avec le droit à la vie : une demande du malade « libre et faite en connaissance de cause », des souffrances insupportables et une situation médicale irrémédiable. Le modèle américain, qualifié souvent de « modèle de l’Oregon » car cet Etat fut le premier à l’adopter avant d’être suivi par une dizaine d’autres, y ajoute la condition d’une espérance de vie limitée à six mois.

Celui-ci a les faveurs de médecins français depuis le rapport Sicard de 2012 comme étant le moins sujet à abus. L’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique publié en septembre 2022 ne cite ainsi que « le modèle de l’Oregon » (et des rares pays qui l’ont imité, dont l’Australie) au moment d’ouvrir « une voie éthique vers l’aide à mourir ». Les lois européennes, certes citées en annexe, ne sont pas évoquées dans le texte de l’avis. La question n’y est donc pas posée des raisons d’imposer une telle condition de pronostic vital engagé à six mois -ou douze en Australie en cas de maladie neurodégénérative, alors qu’elle laisse de côté des malades qui, dans le cadre de l’arrêt Mortier, pourraient bénéficier d’une loi sur l’aide à mourir en Europe.

Le président a retenu la condition de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme », qui avait déjà été reprise en juin dans un avis de l’Académie nationale de médecine. Le paradoxe est que, tout en préconisant régulièrement d’« agir en européen », il ferait ainsi de la France le cheval de Troie du modèle américain en Europe, dont aucun pays ne pose cette condition de façon intangible.

Quelle forme prendrait concrètement l’« aide à mourir » ?

Le modèle de l’Oregon est là encore la référence d’Emmanuel Macron, avec une nuance en plus de solidarité. Une procédure collégiale vérifierait que le malade remplit les conditions pour bénéficier d’une aide à mourir, le rôle du médecin se limiterait alors, comme en Oregon, à rédiger une prescription de produit létal, le malade aurait un délai de trois mois pour vouloir – ou non – l’absorber. Mais, s’il lui était impossible de faire ce dernier geste, il pourrait être aidé par un tiers. La France imiterait en fait l’Australie, qui a ainsi nuancé le « modèle de l’Oregon ». Le risque serait précisément d’aboutir à une procédure dont l’expérience en Australie démontre l’excès de lourdeur.

Ne confondons pas cela, du moins, avec l’« exception d’euthanasie » qu’avait préconisée l’avis 63 du CCNE en janvier 2000. Il s’agissait d’introduire une excuse pénale pour le médecin qui abrégerait la vie d’un malade même sans que cela réponde à sa demande. Robert Badinter l’avait stigmatisée comme créant un « permis de tuer » (alors qu’il était favorable au suicide assisté, voire au « suicide par tiers interposé »). Comme le relevait Emmanuel Macron, « les mots ont de l’importance et il faut essayer de bien nommer le réel sans créer d’ambiguïtés » : c’est la demande du malade qui serait cette fois au cœur de l’aide à mourir.