Affaire Pallot et aide à mourir : la compassion peut-elle « contraindre » à tuer ?
Le 30 octobre 2024, la cour d’assises de l’Aube a acquitté Bernard Pallot, 78 ans, accusé d’avoir tué son épouse, Suzanne, gravement malade, pour mettre fin à ses souffrances. Cette décision relance le débat sur la législation française concernant l’aide à mourir.
Par Alice Dejean de la Bâtie, Maîtresse de conférences à l’université de Tilburg (Pays-Bas)
Sur quel fondement juridique l’accusé a-t-il été acquitté ?
Pour bien comprendre le raisonnement de la cour d’assises, il est utile de revenir plus précisément sur les faits, tels qu’ils ressortent des articles de presse ayant traité cette affaire (notamment dans Le Monde et le Huffington Post). Suzanne Pallot, septuagénaire, souffrait de plusieurs pathologies, notamment de la maladie de Carrington, une pneumopathie chronique, et d’ostéoporose, avec des fractures multiples. Le 11 octobre 2021, son époux Bernard Pallot lui a d’abord injecté du cyanure dans la cuisse, sans « succès ». Il a ensuite utilisé un fil électrique pour l’étrangler pendant environ vingt minutes. À l’arrivée des gendarmes, il a déclaré : « C’est moi qui ai tué ma femme ». Une lettre manuscrite rédigée par Suzanne Pallot a été retrouvée près de son corps. Datée du 23 septembre 2021, elle précisait : « Je soussignée, Pallot Suzanne, encore saine d’esprit, demande à mon mari, Bernard Pallot, de me soulager définitivement des souffrances incurables que je supporte. » Poursuivi pour assassinat devant la cour d’assises de l’Aube à Troyes, Bernard Pallot a été acquitté en première instance, alors que l’avocat général avait requis huit ans de prison pour cet acte qu’il qualifiait de « sauvage » et « brutal ». Le parquet a interjeté appel de cette décision qui n’est donc pas définitive mais dont le raisonnement juridique original interpelle.
En effet, la cour a estimé que l’accusé avait agi sous l’empire de la contrainte, faisant ainsi une application inhabituelle de l’article 122-2 du Code pénal. Ce texte, qui dispose sobrement que « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister », prévoit ainsi une cause de non-imputabilité susceptible de neutraliser la responsabilité pénale d’une personne. Bien que le Code n’en fasse pas mention, on distingue traditionnellement la contrainte physique de la contrainte morale (comme en l’espèce), cette dernière concernant « les hypothèses d’amoindrissement de la volonté sous l’effet de la sujétion ou de la vulnérabilité, résultant par exemple de menaces, de provocations, ou encore d’un état de subordination » (Y. Mayaud, Droit Pénal Général, 7e ed., Puf 2021, n° 486). Pour être caractérisée, la contrainte suppose donc une pression psychologique invincible agissant sur le for intérieur de l’agent (E. Dreyer, Droit pénal général, 6e éd., Lexis Nexis 2021, n° 858).
Dans l’affaire Pallot, les jurés ont considéré que l’accusé avait agi sous la pression psychologique intense exercée par son épouse qui lui avait expressément et à plusieurs reprises demandé de mettre fin à ses souffrances. Durant son procès, Bernard Pallot, dont le portrait psychologique avait montré un homme soumis à sa femme et ne pouvant rien lui refuser au sein d’un couple qui vivait de manière assez isolée, a expliqué que cette demande persistante l’avait placé dans une situation où il estimait ne pas pouvoir refuser, en raison de l’amour et de la compassion qu’il éprouvait pour son épouse.
Cette application de l’article 122-2 du Code pénal est-elle solide juridiquement ?
Pour constituer une cause d’irresponsabilité, la contrainte doit être invincible. C’est sur ce point que le raisonnement juridique retenu par la cour d’assises interroge. La première incertitude porte sur la source de la contrainte morale : s’agit-t-il des pressions exercées par Suzanne Pallot sur son mari, ou des sentiments de celui-ci face aux souffrances de son épouse ? La question est de taille, car la jurisprudence refuse traditionnellement d’admettre que la contrainte morale puisse être interne à l’auteur des faits. En outre, l’acte de Bernard Pallot a été dicté, selon lui, par la compassion et l’affection. Invoquer la violence du sentiment amoureux pour tenter de justifier un homicide est un argument dont le droit pénal se méfie. Du mari jaloux à l’amante éconduite en passant par toutes les variantes d’amour filial, parental ou fraternel, les actes de violences commis au nom de l’amour ou de l’affection ne sauraient par principe se trouver justifiés par la force, voire la noblesse du sentiment qui habitait l’auteur au moment des faits. Juridiquement, seul le cas extrême où l’amour conduirait à l’abolition du discernement serait susceptible de caractériser une cause d’irresponsabilité pénale, mais on entrerait alors dans le champ de l’article 122-1 du Code pénal relatif au trouble mental.
Que dire de la compassion ? Ce « sentiment qui incline à partager les maux et les souffrances d’autrui » (CNRTL) peut-il, quant à lui, être assez puissant pour priver l’auteur d’un acte de toute liberté d’agir autrement que comme il l’a fait, au point de tuer autrui intentionnellement ? C’est ce qu’avait retenu une juge d’instruction en 2003 dans l’affaire Vincent Humbert. En l’espèce, la mère et le médecin d’un jeune homme devenu tétraplégique et aveugle à la suite d’un accident de la circulation et qui demandait avec insistance à mourir, lui avaient injecté des substances létales. Pour motiver sa décision, la juge avait souligné que la mère de Vincent Humbert avait agi sous l’empire notamment « d’une contrainte interne composée de l’envahissement de ses sentiments [et] de son devoir de loyauté vis à vis de son fils », tandis que le médecin avait exercé son acte sous la contrainte du fait, notamment, « de voir revenir son patient dans un état antérieur voire pire malgré ses demandes réitérées [et de sa] compassion extrême vis à vis de la mère, elle-même en état de culpabilisation et de dépression intense » (TGI Boulogne-sur-Mer, 27 févr. 2006, 03012089 Humbert et a.). À ces éléments de contrainte interne, la juge avait toutefois ajouté des éléments externes tels que la pression médiatique, le livre publié par Vincent Humbert ainsi qu’une lettre qu’il avait écrite au président de la République, dans lesquels il demandait une aide active à mourir.
Dans l’affaire Pallot, il semble, de même, que la contrainte interne évoquée par l’accusé ait été, en quelque sorte, complétée par une contrainte externe exercée par son épouse du fait des demandes pressantes et répétées de celle-ci qu’il mette fin à ses jours. Cependant, les applications jurisprudentielles classiques de l’article 122-2 ont en commun le fait que la contrainte morale externe y a pour source des situations ou des individus hostiles à l’agent, ou ayant au moins une certaine distance avec lui. Autrement dit, l’auteur des faits a agi ainsi parce qu’il était « dominé par la peur » (E. Dreyer, op. cit) d’être victime de violences, de subir des représailles, de s’opposer à l’autorité publique, etc. Or, en l’espèce, rien de tel ne ressort des faits. Si Bernard Pallot s’est soumis aux demandes de son épouse, il semble hâtif d’en déduire qu’elle exerçait sur lui une forme d’emprise totale au point de le priver de toute liberté d’action.
Cette décision est-elle conforme au droit français sur l’euthanasie ?
Ce qui est paradoxal dans cette affaire, c’est précisément que la cour d’assises a tranché en se fondant sur une disposition juridique sans lien apparent avec la législation sur la fin de vie. Le texte de référence sur le sujet est la loi Leonetti de 2005, complétée par la loi Claeys-Leonetti de 2016. Elle interdit l’acharnement thérapeutique (art. L. 1110-5-1 du Code de la santé publique), autorise la sédation profonde et continue jusqu’au décès pour les patients en phase terminale (art. L. 1110-5-2 CSP). En revanche, le suicide assisté et l’aide active à mourir sont, en l’état actuel du droit, considérés comme relavant, selon les cas, soit de la non-assistance à personne en péril (art. 223-6 al. 2 C. pén), soit du meurtre (art. 221-1 C. pén.) ou de l’empoisonnement (art. 221-5 C. pén.), qui se meuvent en assassinat lorsqu’ils sont prémédités (art. 221-3 C. pén.), et peuvent en outre être aggravés lorsque la victime était particulièrement vulnérable ou avait un lien de parenté proche avec l’auteur (art. 221-4 C. pén.), ce qui est fréquent dans les cas d’aide active à mourir.
En tant que membre du Conseil de l’Europe, la France est, en outre, soumise aux dispositions de la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). C’est un point important car, en Europe, certains pays comme la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse autorisent depuis plusieurs années des processus d’aide active à mourir. Cependant, dans l’arrêt Pretty c. Royaume-Uni (2002), la CEDH a estimé que l’article 2 de la Convention, qui protège le droit à la vie, ne pouvait être interprété comme conférant un droit à mourir ou à obtenir une assistance pour mettre fin à ses jours.
Cette décision peut-elle faire jurisprudence ?
En se prononçant sur le fondement de la contrainte morale, la cour d’assises de l’Aube contourne le droit positif relatif à la fin de vie pour promouvoir une solution qui ne correspond ni à la lettre de l’article 122-2 du Code pénal, ni à l’esprit de la Loi Léonetti. Sur le plan juridique, cela laisse dubitatif. Toutefois, cette décision ne peut être réduite à cela.
Elle intervient dans un contexte où 92 % des Français se déclarent favorables à l’euthanasie lorsque le patient, atteint d’une maladie insupportable et incurable, en formule la demande. Sensibilisée à la question par quelques cas médiatisés comme ceux de Chantal Sébire (2008), Jean Mercier (2015) et Vincent Humbert, l’opinion publique française se prononce aujourd’hui clairement en faveur d’une évolution de la législation. Nos voisins européens ne sont pas en reste, à l’exemple du Portugal où une loi de 2023 a dépénalisé l’euthanasie, ou encore de l’Espagne, où l’euthanasie est régulée depuis 2021 par une loi organique. En avril 2023, une Convention citoyenne sur la fin de vie a recommandé l’ouverture d’une « aide active à mourir » sous conditions strictes. En réponse, le président Emmanuel Macron a annoncé la préparation d’un projet de loi visant à permettre une telle aide. L’examen parlementaire de ce projet a débuté en mai 2024, mais a été suspendu en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024. Le Premier ministre a annoncé la reprise des discussions début 2025.
Si le raisonnement juridique laisse à désirer, la décision d’acquittement de la cour d’assises dans l’affaire Pallot n’est donc pas surprenante. Certes, ce n’est pas le rôle de la jurisprudence de trancher les débats de société, et il est primordial qu’une question aussi fondamentale que celle de la fin de vie fasse l’objet d’un vrai débat démocratique et d’une réforme législative dans les règles. Cependant, il n’est pas anodin qu’il s’agisse ici d’un arrêt de cour d’assises. Si la décision de la juge d’instruction dans l’affaire Humbert était celle d’une magistrate professionnelle, nous sommes cette fois-ci en présence d’un jury populaire. Les citoyens sont las d’attendre que l’agenda parlementaire accorde enfin à cette question toute l’attention qu’elle mérite.