Par Etienne Pataut, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), IRJS

Une nouvelle loi pour Mayotte

Le droit français connaît de nombreuses voies d’accès à la nationalité française, que celle-ci soit attribuée à la naissance (par la filiation ou la naissance en France lorsqu’un parent est lui-même né en France — ou double droit du sol — en particulier) ou acquise au cours de la vie (par naissance et résidence en France — ou simple droit du sol —, naturalisation ou mariage, en particulier). La singularité du territoire de Mayotte a conduit le législateur à adopter certaines règles en matière de nationalité. Celles-ci figurent aux articles 2492 et suivants du Code civil, et prévoient des exceptions particulières, dont la plus importante est issue de la loi du 10 septembre 2018, laquelle instaure une solution très spécifique pour Mayotte en matière d’acquisition de la nationalité française par naissance et résidence en France.

La règle générale, celle de l’article 21-7 du Code civil, prévoit qu’un enfant qui nait en France de parents étrangers nés à l’étranger devient automatiquement français à sa majorité s’il a résidé en France de façon continue ou discontinue pendant 5 ans depuis l’âge de 11 ans. Une réclamation anticipée peut, de surcroît, être faite à partir de 13 ans par les parents ou de 16 ans par l’intéressé (article 21-11 du Code civil), toujours subordonnée à la résidence de 5 ans. Cette règle, généralement connue en France sous le nom de droit du sol, combine naissance et résidence en France pour permettre l’acquisition de la nationalité française.

Depuis la loi de 2018, cette solution ne s’applique pas à Mayotte. Pour ce territoire, l’acquisition de nationalité française est de surcroît subordonnée à la preuve de la résidence régulière sur le territoire français depuis trois mois de l’un des parents (article 2493 du code civil). C’est cette règle qui vient d’être encore modifiée par la loi récente. Désormais, en effet, l’acquisition est subordonnée à la preuve que non plus un mais bien les deux parents résidaient régulièrement sur le territoire français et depuis non plus trois mois mais bien un an.

La loi introduit une différence de traitement dans l’accès à la nationalité qui avait déjà pu inquiéter en 2018, au nom de l’indivisibilité de la nation et de l’égalité devant la loi. Le Conseil constitutionnel, toutefois, n’avait rien trouvé à y redire, puisqu’il avait estimé dans sa décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 que la loi introduisait simplement « une différence de traitement qui tient compte des caractéristiques et contraintes particulières propres à Mayotte » et ne violait pas la constitution. Probablement amené à contrôler la constitutionnalité de la nouvelle loi, il lui reviendra toutefois de préciser si cette nouvelle restriction reste encore dans la marge de manœuvre qui est ouverte par la constitution pour les territoires ultra-marins.

Une loi efficace ?

Les lois de 2018 et 2025, comme le soulignait le Conseil constitutionnel lui-même en 2018 et comme le rappelle l’exposé des motifs de la loi nouvelle, visent à contrôler ou, plus précisément à dissuader l’immigration irrégulière. Les évaluations de la population de l’île conduisent à estimer qu’environ la moitié de la population de 320 000 habitants est étrangère, essentiellement comorienne, dont une grande partie en situation irrégulière. La loi nouvelle empêcherait donc les enfants de résidents irréguliers d’obtenir la nationalité et, indirectement fragiliserait la situation des parents qui ne pourraient plus invoquer leur qualité de parents d’enfant français à partir des 13 ans de celui-ci.

On peut pourtant douter de la pertinence d’une telle affirmation, qui n’est d’ailleurs nullement étayée dans la proposition de loi. La loi de 2018, en particulier, ne semble avoir fait l’objet d’aucune évaluation et les chiffres semblent au contraire montrer que si l’accès à la nationalité française a effectivement diminué, les arrivées irrégulières de personnes, en particulier des Comores, ont, quant à elles, constamment augmenté. La part d’attractivité de la nationalité française, qui n’est accessible au mieux, on le rappelle, que 13 ans après la naissance, semble bien n’occuper qu’une part très faible de la décision migratoire individuelle. Dès lors, la loi semble en réalité, comme d’autres réformes du droit de la nationalité avant elle, traduire une instrumentalisation du droit de la nationalité par le droit des migrations. La pente est pourtant dangereuse, tant elle recèle en elle de risque de fractionnement de la nationalité au nom d’objectifs qu’elle n’est pas en mesure d’atteindre.

Une loi qui en préfigure d’autres ?

La loi sur Mayotte en préfigure-t-elle d’autres ? On se souvient que les prémisses de celle-ci avait conduit le Premier ministre à suggérer en février dernier un nouveau débat sur « l’identité nationale » dont on ne sait guère ce qu’il va devenir sinon qu’il va permettre de remettre sur le tapis les conditions d’accès à la nationalité française et, singulièrement, le droit du sol.  Celui-ci est régulièrement remis en cause, en tant qu’il permettrait un accès trop aisé à la nationalité française, pour des populations qui ne seraient pas suffisamment intégrées en dépit de la condition de résidence. S’agissant d’enfants qui, par définition, sont descendants de parents en situation de migration, il s’agit bien à nouveau derrière le droit de la nationalité, de porter un regard critique sur la migration en général.

C’est cette analyse qui avait conduit, en 1993, à exiger des jeunes étrangers une déclaration de volonté spécifique, au nom d’une introuvable conception « élective » de la nationalité, qui n’est pourtant pas exigée pour d’autres voies d’accès à la nationalité. Abandonnée en 1998, cette solution est régulièrement invoquée par certains élus et a ressurgi à l’occasion de ce nouveau débat sur « l’identité nationale ».

La caractéristique du droit français est de permettre de nombreuses voies d’accès à la nationalité française, visant à rendre compte des différents liens qui peuvent unir chaque individu à la population française. La naissance, la famille, la socialisation, les services rendus sont autant de façon de traduire un attachement au peuple français dont le droit tente de rendre compte de façon subtile et équilibrée. Porter atteinte à cet équilibre ne devrait se faire qu’avec la main qui tremble, surtout au nom d’objectifs qui ne sont pas ceux du droit de la nationalité.