Par Hélène Raspail, Professeur de droit public à Le Mans Université

Le droit du sol conduit-il à accorder automatiquement la nationalité aux enfants nés en France ? Conduit-il à octroyer massivement la nationalité française à Mayotte ?

Pas du tout. Parler de « droit du sol » est un raccourci pour dire que la naissance sur le territoire d’un Etat peut être un critère pour naître national de cet Etat (c’est l’attribution de nationalité, ou encore nationalité d’origine) ou bien pour le devenir, par acquisition de nationalité, plus tard dans la vie et sous condition. Le droit de la nationalité française a fait l’objet d’un consensus politique, de longue date. La nationalité est attribuée en principe parce qu’on a au moins un parent français. Le droit du sol ne joue qu’un rôle plus modeste.  

En effet, à la différence des Etats-Unis, il ne suffit pas de naître en France pour être français d’origine, autrement dit de plein droit à la naissance. Pour cela, sans avoir de parent français, il faut non seulement naître sur le territoire mais aussi que l’un de ses parents étrangers soit lui-même né sur le territoire (art. 19-3 du Code civil). C’est ce qu’on appelle le « double droit du sol ». Les enfants de parents inconnus ou apatrides, ou qui seraient eux-mêmes apatrides car la nationalité de leurs parents ne se transmet pas par le sang, peuvent aussi en bénéficier (art. 19 et 19-1 du C.civ.). Ces cas restent rares. 

La seule naissance en France ne permet sinon d’acquérir la nationalité que plus tard au cours de la vie et sous condition de résidence. Ainsi un enfant né en France sera automatiquement français à sa majorité mais seulement s’il réside en France et y a eu une résidence pendant 5 ans depuis ses 11 ans (art. 21-7 du C. civ.). Il est possible d’anticiper cette acquisition à partir de l’âge de 13 ans (la condition de résidence étant réalisée à partir de 8 ans en vertu de l’art. 21-11 du C. civ.), mais jamais avant.

On comprend donc aisément que le droit du sol ne bénéficie pas à des enfants nés en France par « hasard » (selon le terme employé par les ministres de l’intérieur et de la justice), mais à des adolescents voire de jeunes adultes qui ont avec la France un rattachement intense, y ont nécessairement été scolarisés, voire n’ont jamais connu d’autre pays. Les velléités de réformes profondes s’appuient donc sur des propositions démagogues : elles trompent les citoyens en sous-entendant des bases de réflexion juridiquement erronées.

Concernant Mayotte, dans un imaginaire populaire, il suffirait pour une femme étrangère de venir y accoucher pour que son enfant soit français. C’est totalement faux. Pour acquérir la nationalité, il faudrait qu’elle ou à tout le moins son enfant y résident suffisamment longtemps, jusqu’à ses 13 ans voire sa majorité. Or, il est juridiquement possible d’éloigner une mère en situation irrégulière, même avec un enfant né en France. En outre, il faudra disposer des preuves d’une résidence habituelle de cinq ans – ce qui, dans les conditions de vie des bidonvilles, est souvent impossible à apporter. La nationalité française n’a donc jamais été acquise massivement par des enfants d’étrangers en vertu du droit du sol, surtout pas à Mayotte.

Pourtant, cette modalité d’acquisition a déjà fait l’objet d’une restriction pour Mayotte par une loi de 2018. Désormais, la nationalité ne peut être acquise pour un enfant né dans ce département que si, au moment de sa naissance, au moins un de ses parents était en situation régulière au regard du droit au séjour, et ce depuis plus de trois mois (art. 2493 du C.civ.). Cette limitation a sans doute déjà conduit à réduire drastiquement les acquisitions de nationalités en vertu du droit du sol, puisque la moitié de la population étrangère de Mayotte est en situation irrégulière.

Aucune étude d’impact n’a cependant été menée. On peut donc s’interroger sur l’opportunité, aujourd’hui, d’une nouvelle réforme du droit de la nationalité pour Mayotte – qui plus est dans un contexte de grave crise humanitaire.

Une réforme constitutionnelle a été envisagée : pourquoi ? La Constitution s’oppose-t-elle à une modification de notre droit de la nationalité ?

S’agissant de Mayotte, la Constitution prévoit en son article 73 que des « adaptations » de la loi sont possibles dans les départements d’outre-mer en raison de leurs « caractéristiques et contraintes particulières ». Ainsi la dérogation au droit de la nationalité introduite par la loi de 2018 a été considérée comme conforme à la norme suprême par le Conseil constitutionnel, sans remettre en cause le principe d’indivisibilité de la République et d’égalité (art. 1er de la Constitution). Mais ceci uniquement parce qu’elle restait limitée et que le Conseil l’a jugée cohérente par rapport à la situation propre de Mayotte, marquée par l’immigration irrégulière. C’était déjà discutable, car le lien entre le droit de la nationalité et l’immigration n’a jamais été établi, y compris dans le contexte spécifique mahorais.

Mais le texte adopté le 6 février à l’Assemblée nationale va bien plus loin et prévoit l’exigence d’une résidence régulière des parents de trois ans. Ceci remettrait en cause, de fait, le principe même du droit du sol à Mayotte. Or, il est difficile de considérer que la situation du département est à ce point distincte de celle de la métropole qu’elle justifie une telle différence de traitement. Cette réforme serait donc susceptible d’être considérée comme contraire à l’article 1er de notre Constitution, nonobstant l’article 73.

Quant à une réforme législative qui remettrait plus généralement en cause le droit du sol, elle ne serait pas cette fois contraire au principe d’indivisibilité de la République. En outre, cette modalité d’acquisition de la nationalité n’est pas protégée par une disposition expresse de la Constitution, tel que le 14e amendement américain qui constitue un garde-fou contre certains projets de Donald Trump en la matière.

Les normes à valeur constitutionnelle peuvent cependant, en France, comporter aussi ce qu’on appelle des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » ou PFRLR. Il s’agit de règles à l’origine législatives mais anciennes, qui n’ont jamais été remises en cause dans la période républicaine française et qui intéressent la matière constitutionnelle (autrement dit touchent, selon le Conseil constitutionnel, « les droits et libertés », « la souveraineté nationale » ou encore « l’organisation des pouvoirs publics » – CC, décision 2013). Elles peuvent, dès lors, être reconnues comme ayant valeur constitutionnelle par le Conseil. Les lois sur la nationalité entrent sans nul doute dans le champ des règles relatives à la souveraineté nationale, voire aux droits et libertés. En outre, le principe du droit du sol est apparu en droit français dès la Monarchie, pour être repris dans des lois républicaines et toujours conservé par la suite. Il pourrait donc être reconnu comme tel.

Les diverses réformes menées depuis 1993 n’ont tendu qu’à préciser ou limiter l’application du principe du droit du sol, si bien que le Conseil constitutionnel n’a pas estimé nécessaire de lui reconnaître officiellement une valeur constitutionnelle dans ses décisions, jusqu’ici. Mais une volonté de suppression ou de limitation trop radicale pourrait le conduire à le faire. Une réforme constitutionnelle deviendrait alors nécessaire pour poursuivre un tel projet politique.

Notre premier ministre souhaite un débat « plus large » sur « Qu’est-ce que c’est qu’être français ». Que dit le droit à ce sujet ? 

La difficulté est qu’il poursuit en interrogeant : « Qu’est-ce que ça donne comme droit ? Qu’est-ce que ça impose comme devoir ? ». Il faut distinguer deux questions, ici mélangées : celle de la nationalité, d’une part, et celle de la plénitude des droits civils et politiques qui peuvent s’y attacher – c’est la citoyenneté, d’autre part.

La nationalité est un lien juridique qui unit un individu à un Etat : lien de protection de la part de cet Etat et d’allégeance de la part de l’individu. Cela dépasse les questions internes car cela signifie aussi, en droit international, qu’un Etat se préoccupe personnellement de quelqu’un. La communauté internationale a intérêt à ce que chaque personne ait une nationalité, et qu’elle soit la plus stable possible. Ce lien peut exister en droit lorsqu’il existe un rattachement factuel, fondé sur des critères que chaque Etat détermine librement. Mais ils doivent rester objectifs (comme le sont la filiation, le lieu de naissance, la résidence ou encore le mariage). Autrement dit, être français, c’est avoir un rattachement suffisant avec la France, reconnu par le droit. Etre français, cela implique aussi d’être loyal vis-à-vis de la France. La nationalité est conservée tant que le lien d’allégeance n’est pas rompu. Des comportements très spécifiques sont susceptibles de consommer une telle rupture (par exemple servir pour un Etat étranger ou encore commettre un crime constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation). Mais pas n’importe quelle infraction, pour préserver la stabilité de l’institution, et à la condition que l’individu ait une autre nationalité afin de lutter contre l’apatridie. Tout ceci existe déjà dans notre droit.

La nationalité va ensuite de pair, en droit interne, avec la citoyenneté : elle déclenche en principe la plénitude des droits civils et politiques (sans automatisme, car il est possible d’être déchu de certains de ces droits, comme le droit de vote ou d’éligibilité, à la suite d’infractions pénales), ainsi que des devoirs de citoyens. En 2011, la loi a créé une « Charte des droits et des devoirs du citoyen ». Un étranger qui devient français par naturalisation doit désormais la signer, comme une pétition de principe, pour accéder au rang de citoyen. Elle explicite les principes fondamentaux de notre Nation, qui figurent dans notre Constitution : liberté, égalité, fraternité. Ces principes républicains nous constituent, en tant que groupe national, et permettent d’offrir une définition de « ce que c’est qu’être citoyen français ». Juridiquement, rajouter à cette définition des critères comme la couleur de peau ou encore les convictions religieuses serait contraire aux principes fondamentaux qui, justement, nous unissent. Il faut prendre garde à ne pas s’y aventurer.

Il semblerait donc que toutes ces questions comportent déjà des réponses, en l’état du droit existant.