Par Michel Verpeaux, Professeur émérite de l’Université Paris Panthéon-Sorbonne

Quel est l’état du droit ?

L’article 21-7 du code civil prévoit dans son principe que « Tout enfant né en France de
parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France
sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou
discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans ». Le droit du sol permet ainsi à un
enfant né sur le territoire français d’acquérir la nationalité française et il constitue une
des modalités d’accès à la nationalité française.
La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une
intégration réussie avait, cependant et dans le même objectif de lutte contre l’immigration
venue principalement des Comores, voulu adapter l’application du droit du sol pour l’accès à
la nationalité française à Mayotte. Elle a rétabli un article 2493 dans le code civil prévoyant
que « Pour un enfant né à Mayotte, le premier alinéa de l’article 21-7 et l’article 21-11 ne sont
applicables que si, à la date de sa naissance, l’un de ses parents au moins résidait en France de
manière régulière, sous couvert d’un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus
de trois mois ». Cette loi a été validée sur ce point par le Conseil constitutionnel dans sa
décision du 6 septembre 2018 au motif que Mayotte était soumise à des flux migratoires très
importants. La différence de traitement tenant compte des caractéristiques et contraintes
particulières propres à Mayotte et qui était en rapport avec l’objet de la loi, ne méconnaissait
ni le principe d’égalité devant la loi, ni les exigences découlant de l’article 1er de la
Constitution prohibant les discriminations.
De façon plus récente, le Conseil constitutionnel, dans sa décision relative à la loi du 26
janvier 2024 pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, a censuré le durcissement
du droit du sol. Il a en effet estimé que la modification de l’article 21-7 du code civil n’avait pas de
lien, même indirect, avec aucune des dispositions qui figuraient dans le projet de loi. Il est vrai que c’est
le Sénat qui avait introduit cette mesure en première et unique lecture puisqu’il n’y eut pas de débat
l’Assemblée nationale. En l’état, il n’y a donc pas eu de modification de la législation.

À lire aussi :

Le vrai scandale à Mayotte : l’accès à l’eau potable

La Constitution peut-elle tout faire ?

Depuis la loi organique du 3 août 2009, Mayotte est devenue, dans son principe, un
« Département » ayant des compétences à la fois départementales et régionales. Faisant suite
à une évolution législative débutée en 1976, Mayotte, présentée parfois comme le 101 ème
département français, est ainsi entrée dans le droit commun dans lequel les lois et les
règlements sont applicables de plein droit selon l’article 73 de la Constitution révisé en 2003.
Mais ce même article prévoit aussi que la loi peut adapter ce droit aux caractéristiques et
contraintes particulières qui pèsent sur les départements d’outre-mer.
Selon la proposition du ministre de l’intérieur, la modification du droit du sol doit, pour être
acceptable juridiquement et à l’abri des recours, être inscrite dans la Constitution. Sans faire

un parallèle incongru avec la question de la reconnaissance de l’interruption volontaire de
grossesse dans la Constitution, aucune limite juridique n’interdit au constituant de modifier
les règles comme il l’entend. Ce dernier peut alors introduire des dérogations et des
exceptions aux règles du code civil sans se demander si cette révision est conforme ou non à
la hiérarchie des normes.
L’exemple de l’Accord de Nouméa de 1998, constitutionnalisé de manière indirecte par la
révision du 20 juillet 1998 mais considéré par les plus hautes juridictions françaises comme
ayant valeur constitutionnelle, est là pour rappeler que, dans l’ordre juridique interne, la
Constitution prime sur tout autre norme et qu’elle peut très bien comprendre des dispositions
qui sont contradictoires entre elles ou, à tout le moins, dérogatoires. S’agissant de la Nouvelle
Calédonie, les principes en cause n’étaient rien moins que la restriction du droit de vote et la
préférence locale en matière d’accès à l’emploi. Ces questions ne sont ni moins ni plus graves
que la limitation du droit du sol qui peut alors méconnaître des exceptions constitutionnelles.

Quelles pourraient être les modalités de la révision ?

Cette révision pourra être faite sur mesure, de manière séparée ou jumelée avec un autre texte,
portant sur un tout autre objet. Elle pourrait être inscrite dans le projet de loi constitutionnelle sur la
Nouvelle-Calédonie, dont l’examen débutera le mois prochain au Parlement ou celui sur la Corse.
Gérald Darmanin a précisé que plusieurs réformes constitutionnelles étaient en cours d’adoption
ou de discussion, laissant au Président de la République le choix du moment et du texte les
plus adéquats. Il n’est pas certain, néanmoins, que jumeler la fin du droit du sol, même
seulement à Mayotte, et la garantie de l’interruption volontaire de grossesse soit le plus habile
sur le plan politique.
Compte tenu de son objet, nul doute cependant que les débats risquent d’être tendus, dans le
contexte de la promulgation de la loi immigration de 2024. Quel que soit le véhicule
constitutionnel, il faudra que les deux assemblées se mettent d’accord sur un texte identique,
puis que ce texte soit soumis au Congrès du Parlement, voie moins risquée que celle du
référendum susceptible de réveiller des débats délétères. Encore faudra-t-il que cette
proposition soit reprise au plus haut niveau.
L’annonce ministérielle a ouvert la boîte de Pandore et les réactions ne se sont pas fait
attendre : la droite et l’extrême droite se réjouissent et voudraient que cette révision
s’applique sur l’ensemble du territoire national au nom de l’application uniforme du droit ; la
gauche s’inquiète pour la fin du droit du sol qui, selon ses représentants, ne serait pas
négociable.
L’annonce faite par le ministre de l’Intérieur s’inscrit aussi dans le contexte propre à la
majorité présidentielle. Il n’empêche : la solution constitutionnelle est préférée, parce que
plus facile et moins couteuse à réaliser que celle consistant à résoudre les très
nombreuses difficultés nées de la situation économique et sociale de Mayotte et qui ne
vont pas disparaître par un coup de baguette constitutionnelle.