Soumission chimique : 50 recommandations qui ne doivent pas rester lettre morte
Pour lutter contre le phénomène de la soumission chimique, mis en lumière par de récentes affaires médiatisées, un rapport contenant 50 recommandations a été remis au gouvernement le 12 mai. Des propositions utiles, à condition de se doter des moyens nécessaires pour les appliquer.

Par Bruno PY, Professeur de droit privé et sciences criminelles – Université de Lorraine – Faculté de Droit de Nancy – Institut François GENY – UR7301
Dans quel contexte ce rapport est-il publié ?
Ce rapport intervient quelques semaines après la condamnation de Dominique Pélicot, reconnu coupable de multiples viols sur Gisèle Pelicot et condamné à 20 ans de réclusion criminelle le 19 décembre 2024. Dans la foulée, les médias ont également établi un parallèle avec l’affaire impliquant le sénateur Joël Guerriau, pour lequel le parquet de Paris a requis un renvoi en procès. Le parlementaire est soupçonné d’avoir administré une substance à l’insu de la députée Sandrine Josso.
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Les réseaux sociaux, à travers les hashtags #BalanceTonBar, #MeTooGHB, etc., s’emparent eux aussi du phénomène de la soumission chimique. Une pétition réclame d’ailleurs l’attribution du prix Nobel de la paix à Gisèle Pelicot, devenue une icône de la lutte contre les violences sexuelles et la soumission chimique.
Comment le Code pénal définit-il la soumission chimique ?
Historiquement, dès la loi du 23 décembre 1980, l’acte de pénétration sexuelle imposé à une personne inconsciente était incriminé au titre du viol par « surprise » et aggravé par la particulière vulnérabilité due « à une déficience physique ou psychique (…) apparente ou connue de l’auteur. » La cause de cette déficience pouvait être le sommeil, l’ivresse, le coma, l’anesthésie, etc., la loi ne distinguant pas les causes possibles. Sur le plan criminologique, il est possible de distinguer le viol d’opportunité sur une personne inconsciente et le stratagème consistant à provoquer l’altération de la conscience pour violer. Pour rappel, la préméditation n’est pas une circonstance aggravante du viol. Certains, d’ailleurs, le proposent (Ass.Nat., Proposition de loi visant à pénaliser le viol par préméditation, M. Christophe Naegelen, 7 avril 2021). La révélation médiatique d’utilisation de médicaments pour provoquer l’altération, voire l’abolition du discernement dans le but de violer a suscité l’introduction de deux textes répressifs au sein de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes
Le délit d’administration d’une substance de soumission a été introduit, par la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, au sein de l’article 223-30-1 du Code pénal. « Le fait d’administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans ou une personne particulièrement vulnérable, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende. »
Si la soumission chimique conduit à un viol ou à une agression sexuelle, les sanctions sont encore plus sévères. En effet, selon l’article 222-24 du Code pénal, un viol commis sous l’effet d’une substance administrée à l’insu de la victime est puni de 20 ans de réclusion criminelle ; dans la même situation, une agression sexuelle est punie de 7 ans d’emprisonnement selon l’article 222-28-7° du Code pénal.
Les effets des substances étant souvent temporaires, et les victimes ne se souvenant généralement pas des faits, la question des preuves est centrale. Tout le monde s’accorde à vouloir faciliter l’accès des victimes (ou supposées telles) à des analyses médico-légales et toxicologiques. Le Conseil national de l’ordre des médecins, dans un communiqué du 24 octobre 2024, « alerte sur la nécessité d’une prise en charge rapide et gratuite des victimes potentielles de soumission chimique. » La Défenseure des droits, dans sa décision n° 2024-215 du 23 décembre 2024, insiste sur la nécessité, « au regard de l’enjeu public majeur que représente la détection d’une agression sexuelle en cas de soumission chimique, que des mesures efficaces soient prises en vue d’améliorer les techniques de détection de la soumission chimique, notamment en sensibilisant les services de police dans le cadre de leurs formations et en facilitant l’accès à des kits de détection dans les commissariats de police, les brigades de gendarmerie et les unités médico-judiciaires ». L’article 68 de la loi n° 2025-199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025 prévoit que « L’État peut autoriser, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, le remboursement par l’assurance maladie des recherches, incluant les tests et analyses, permettant de détecter un état de soumission chimique résultant des faits mentionnés à l’article 222-30-1 du code pénal, même en l’absence de plainte préalable, pour améliorer la prise en charge, y compris psychologique, des victimes potentielles. »
Quel est l’objectif du rapport ?
Ce rapport entend favoriser la prise de conscience de la société et des pouvoirs publics de l’importance et de la gravité du phénomène. « D’autant que, pour l’heure, les analyses toxicologiques pour détecter les substances utilisées ne peuvent être réalisées que dans des laboratoires de toxicologie experts, avec un coût élevé (jusqu’à 1000 €) et ne sont remboursées qu’en cas de dépôt de plainte. Or, ces tests doivent être réalisés dans de brefs délais. En effet, la plupart des produits utilisés sont éliminés rapidement de l’organisme (l’exemple le plus criant étant celui du GHB qui disparaît en moins de 24 heures). Ces contraintes d’accès aux analyses toxicologiques favorisent donc le dépérissement de la preuve de la soumission chimique et ce dépérissement est préjudiciable non seulement dans la perspective d’éventuelles poursuites pénales, mais également pour la prise en charge médicale de la victime. » (Elsa Supiot, Favoriser la prise en charge des victimes de soumission chimique, Dalloz actu 31 mars 2025). Il est donc important de ne plus subordonner les analyses biologiques à une éventuelle plainte.
Le document présente 50 recommandations dont 15 sont qualifiées de prioritaires. Les auteurs préconisent une campagne nationale de sensibilisation portant sur la soumission et la vulnérabilité chimiques organisée auprès de l’ensemble de la population, en partenariat avec des acteurs de terrain et recommandent l’organisation d’une Conférence nationale annuelle relative à la lutte contre les violences, intégrant les faits croissants de soumission et de vulnérabilité chimiques (Reco 1 et 2). La mission préconise aussi l’élaboration d’un référentiel par la Haute Autorité de Santé (HAS) sur le dépistage, l’orientation et l’accompagnement des personnes victimes de soumission ou de vulnérabilité chimique (Reco 5). Sur le plan pénal, la mission propose d’élargir la circonstance aggravante aux victimes en état d’ivresse ou sous l’emprise de produits stupéfiants (Reco.10) et de créer une nouvelle dérogation au secret professionnel (Reco 11). A l’instar du circuit de traitement prioritaire des violences intrafamiliales, la mission recommande d’intégrer les affaires de soumission et de vulnérabilité chimiques à la filière d’urgence de la procédure pénale. (Reco 13).
L’utilité du Rapport au Gouvernement sur la soumission chimique est donc presque exclusivement symbolique et relativement pédagogique. Symbolique, car les mesures préconisées l’ont déjà été par d’autres, et potentiellement pédagogique car il met des mots sur une réalité. Il reste à espérer que des mots le gouvernement passe aux actes, ce qui supposerait plus que des recommandations, des moyens. « Tous les discours n’avancent point les choses. Il faut faire et non pas dire ; et les effets décident mieux que les paroles. » (Molière, Don Juan, Oeuvres complètes, Éd. de Crémille, 1971, p.361)
Retrouvez le rapport ici.