Par Charlotte Dubois, Professeure en droit privé à Paris-Panthéon-Assas

Qu’est-ce qu’un viol par surprise ?

L’incrimination de viol figure à l’article 222-23 du code pénal. Elle s’entend comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». La matérialité du viol n’est ici pas contestée : les accusés ne nient pas avoir eu des rapports sexuels avec la victime, ayant tous été filmés par le mari. Le moyen du viol est la surprise : certainement le plus méconnu du grand public, le viol par surprise consiste pour un auteur à tromper sa victime en abusant de sa faiblesse. Le consentement de la victime n’est alors pas forcé, à la différence des autres moyens du viol, il est soit vicié, soit tout simplement inexistant. En l’occurrence, la prise massive de médicaments privait l’épouse de sa capacité à consentir. Ce procès a même été présenté par les médias comme celui de la soumission chimique.

Le code pénal incrimine-t-il la soumission chimique ?

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) définit la soumission chimique comme « l’administration à des fins criminelles (viol, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives à l’insu de la victime ou sous la menace ». Cette terminologie n’est pas juridique, mais le droit pénal intègre indirectement la notion de soumission chimique. Déjà au stade de la constitution de l’infraction car, comme on l’a vu, l’administration de substances psychoactives à la victime est de nature à constituer un stratagème caractéristique de la surprise (aux termes de l’article 222-30-1 du code pénal, il s’agit également d’une infraction autonome lorsque l’auteur n’est pas parvenu à ses fins). Ensuite, au stade de la répression de l’infraction, car si le viol fait encourir 15 ans de réclusion criminelle (art. 222-23 c. pén.), les peines sont portées à 20 ans « lorsqu’une substance a été administrée à la victime, à son insu, afin d’altérer son discernement ou le contrôle de ses actes » (art. 222-24, 15°, depuis la loi n° 2018-703 du 3 août 2018). On peut à cet égard regretter que les circonstances aggravantes, nombreuses en l’espèce, ne se cumulent pas pour élever le quantum de la peine.

Les accusés peuvent-ils utilement invoquer leur ignorance de l’absence de consentement de la victime ?

Il convient avant tout de rappeler que le viol est un crime. Or, au terme de l’article 121-3 du code pénal, tout crime suppose l’intention (il n’en est pas de même des délits qui peuvent par exception être non-intentionnels, comme l’homicide involontaire). On ne conçoit pas de devenir criminel par maladresse ou négligence. En matière de viol, l’intention suppose la connaissance, chez l’auteur, d’imposer à la victime des rapports non consentis. Pour l’heure, l’absence de consentement ne figure pas expressis verbis dans l’incrimination de viol (pour mémoire, la question d’une réécriture du texte en ce sens est d’actualité). Elle participe pourtant de l’essence du viol, tant au regard de la matérialité de l’infraction (l’utilisation de violence, menace, contrainte ou surprise traduisant que le consentement de la victime était absent ou forcé) qu’au regard de l’élément moral (l’infraction supposant la conscience du refus de la victime). Autrement dit, sans élément moral, point d’infraction. C’est ce qui a fait dire, (très) maladroitement, à l’un des avocats de la défense qu’« il y a viol et viol… et sans l’intention de le commettre, il n’y a pas viol ». En réalité, soit il y a viol, soit l’infraction n’est pas constituée faute d’élément moral et l’acquittement s’impose. L’erreur de fait, en cas de méprise de l’auteur, peut être synonyme de bonne foi, et anéantir l’intention. Pour preuve, la jurisprudence a approuvé un non-lieu prononcé au profit d’un mis en examen fruste qui avait pu considérer « l’attitude de la plaignante comme une invitation à un rapport sexuel » (Crim. 20 oct. 1999, n° 98-88.079). Pour notre affaire, si l’auteur a légitimement cru à un jeu libertin consenti par l’épouse, l’élément moral fait défaut. Et c’est là qu’apparaît un paradoxe aux yeux du non pénaliste : un rapport sexuel imposé n’est pas nécessairement un viol car si l’auteur n’a pas conscience de forcer le consentement, l’infraction n’est pas constituée. C’est bien du point de vue de l’auteur des faits que la caractérisation de l’infraction doit être opérée, et non du point de vue de la victime.

Toutefois, l’erreur de fait ne saurait être admise trop facilement. L’auteur aurait sinon beau jeu d’invoquer sa propre bêtise ou sa négligence grossière. De non vigilantibus non curat praetor a-t-on coutume de dire en droit civil : le droit ne protège pas les imbéciles. En matière d’infractions sexuelles, il faut se féliciter de la sévérité de la jurisprudence. C’est ainsi qu’a été condamné un conseiller politique qui avait eu recours à une prostituée mineure et invoquait sa méprise sur son âge (Crim. 29 mars 2006, n° 05-81.003, bull.). En l’espèce, les juges devront s’appuyer sur des éléments factuels pour apprécier si les auteurs avaient conscience d’imposer le rapport sexuel à la victime ou s’ils ont pu légitimement la croire consentante. Les éléments relayés par les médias laissent, semble-t-il, peu de place à l’erreur légitime : la victime était dans un état de sommeil profond, les hommes recevaient pour consigne d’attendre dans leur voiture le temps qu’elle s’endorme sous l’effet des médicaments, ils devaient ne pas se parfumer ou ne pas fumer pour ne pas laisser de traces de leur passage, le forum s’appelait « à son insu »… Gageons que la cour criminelle ne se laisse pas conter la Belle au bois dormant.