Par Jean-Claude Planque, Docteur en droit privé et sciences criminelles, MCF – HDR, Université de Lille

La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique, du 8 mars 2022, devrait engendrer sinon un enthousiasme général, tout au moins une large adhésion. Comment ne pas soutenir l’utilité et même la nécessité d’harmoniser la répression d’actes tels que le viol, les mutilations génitales, le « revenge porn », les « deepfakes pornographiques » ou encore le cyberharcèlement ?

En l’état, le texte européen aurait peu d’incidence sur le droit pénal français qui est déjà en adéquation avec une grande partie des propositions formulées. Sur certains points le Code pénal va même plus loin en incriminant plus largement ou en punissant plus sévèrement les comportements visés. Néanmoins, l’introduction du consentement dans la définition du viol, qui est une des dispositions majeures de la proposition, représente une sévère pierre d’achoppement.

Nous ne ferons qu’évoquer la discussion relative à la compétence de l’Union Européenne en la matière, qui n’aurait compétence que pour certaines infractions désignées comme les « eurocrimes » (corruption, terrorisme), dont le viol ne fait pas clairement partie, mais peut néanmoins y être rattaché par le recours à l’exploitation sexuelle. Ce désaccord au sein des vingt-sept Etats s’explique peut-être moins par une question de souveraineté attachée à la matière répressive que par l’obligation faite par le projet de directive d’intégrer la notion de consentement dans la définition du viol.

Quelle est la définition du viol en droit français ?

En droit répressif français, la définition du viol a évolué, afin d’élargir le champ des actes visés (ajout de la pénétration de la victime par l’auteur  et de l’acte bucco-génital imposé), mais le législateur français, depuis la loi de 1980, est resté fidèle à la nécessité de démontrer que ces actes ont été « commis avec violence, contrainte, menace ou surprise » (Art. 222-23 du C. pén.). La notion de consentement, ou d’absence de consentement, n’apparaît donc pas expressément dans le texte incriminateur. C’est ce qui nourrit, depuis quelques années, les critiques qui émanent de certaines associations féministes ou de défense de victimes d’infractions sexuelles. L’introduction, par quelques pays (dont certains sont pourtant opposés au projet de directive sur ce point), du consentement pour définir le viol ne faisant que renforcer la détermination à l’introduire en droit français.

Il convient, pour traiter correctement cette délicate question, d’écarter tout militantisme ou toute velléité revendicative pour ne raisonner qu’en termes d’efficacité juridique et répressive.

L’introduction de la notion de consentement serait de nature, selon certains de ses défenseurs, à mettre le consentement de la victime « au cœur du dispositif » (voir, par exemple, cette tribune parue dans Le Monde le 22 novembre). Il l’est pourtant assurément, même si c’est en filigrane. La combinaison des deux parties de l’élément matériel du viol, les adminicules et la pénétration sexuelle ou l’acte bucco-génitale, et de l’intention requise conduit bien à réprimer un acte réalisé en se passant du consentement de la victime.

Une inversion de la charge de la preuve ?

Les adminicules sont des révélateurs du défaut de consentement de la victime et présentent l’avantage d’être clairs et précis, à l’inverse de la notion de consentement, que l’on peine à définir en des termes susceptibles de satisfaire les exigences constitutionnelles en matière de texte pénal. Sauf, à l’image du droit belge, à maintenir le recours aux adminicules comme moyen de mettre l’absence de consentement en lumière, ce qui ne permet pas d’écarter une des principales critiques faites, à tort selon nous, au texte actuel selon laquelle les moyens visés obligent la victime à manifester son refus de l’acte sexuel.

Plus surprenante est l’idée selon laquelle le refus français d’intégrer le consentement dans la définition du viol serait motivé par le refus d’imposer au mis en cause pour viol de démontrer qu’il a obtenu l’accord de sa ou de son partenaire avant tout acte sexuel. On ne comprend pas comment la simple introduction de la notion de consentement dans la définition du viol permettrait d’aboutir à ce qui constituerait une inversion de la charge de la preuve. Ou alors, il faut comprendre que le viol ne serait plus un acte sexuel non consenti, mais pour lequel il n’y a pas la preuve de l’obtention du consentement ! Cela reviendrait à présumer qu’un acte sexuel est, a priori, non voulu et donc cause un trouble à l’ordre public. L’activité sexuelle deviendrait alors extrêmement risquée, mettant les protagonistes face au risque de se voir reprocher l’impossibilité de prouver un consentement qui aura pu être donné par une attitude ou une participation active à l’acte sans « formalisation ».

Le risque de l’acte sexuel comme relation contractuelle

L’activité sexuelle, privée de toute spontanéité, deviendrait une véritable relation contractuelle plus exigeante que la moyenne, puisqu’elle nécessiterait une multitude de preuves des consentements et d’ajustements ou de retraits au fur et à mesure de l’acte. De plus, cela engendrerait un encouragement au recours aux applications de consentement qui, outre le fait de réduire le consentement à « cocher des cases » et accepter, de façon anticipée, telle ou telle pratique, peuvent aussi être de nature à rendre plus complexe le refus d’une pratique durant l’acte, tout en renforçant l’autre protagoniste dans son idée qu’il a « le droit » puisqu’il a obtenu le consentement « formel ».

On peut même craindre que la répression soit affaiblie, comme dans certaines hypothèses de viol par surprise telle que celle retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 23 janvier 2019. L’individu avait prétexté un jeu érotique pour parvenir à avoir un rapport sexuel avec la victime sans qu’elle s’aperçoive qu’il n’était pas le bel éphèbe décrit lors des échanges électroniques. Le mis en cause pourrait prouver l’obtention du consentement à ce « jeu sexuel » consistant à ne découvrir son partenaire qu’après les ébats et soutenir que ce consentement recouvre la possibilité d’être confronté à une « mauvaise surprise » lors de la découverte du partenaire, qui ne pouvait être ignorée de l’autre protagoniste qui l’a intégré dans son consentement. Dès lors, le viol ne pourrait pas être constitué, faute de l’élément intentionnel requis. 

L’introduction de la notion de consentement dans la définition du viol ne semble donc ni utile, ni nécessaire et pourrait même se révéler contreproductive ce qui peut amplement justifier le rejet de la disposition de la directive européenne sur ce point. En matière d’agressions sexuelles, les évolutions nécessaires se situent bien plus dans le traitement des affaires (faciliter la dénonciation des faits, améliorer l’écoute et la prise en charge des victimes, redonner la compétence aux cours d’assises pour juger les viols…), dans l’éducation (sensibilisation scolaire, mécanismes efficaces de restriction de l’accès des mineurs aux sites pornographiques, désexualisation de la publicité) que dans des modifications hasardeuses du droit pénal de fond, qui a déjà été fortement ébranlé par de récentes réformes empreintes de bonne volonté, mais qui ont déstabilisé l’édifice législatif.