Affaire Hubert Falco : quelles conséquences pour Marine Le Pen ?
La Cour de cassation a confirmé, le 28 mai, la peine de cinq ans d’inéligibilité infligée à Hubert Falco par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans l’affaire dite du « frigo ». La juridiction a toutefois annulé l'exécution provisoire dont l'avait assortie les juges du fond. Une décision qui fait écho à la situation de Marine Le Pen.

Par Marthe Bouchet, Professeur de droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord
Dans quelles hypothèses la peine d’inéligibilité peut-elle être assortie de l’exécution provisoire ?
La peine d’inéligibilité prévue par l’article 131-26 du code pénal est prévue en matière de détournement de fonds publics (depuis la loi Sapin II, inapplicable à l’époque des faits, l’article 432-17 du code pénal la rend même obligatoire dans ce cas, sauf motivation spéciale, selon l’article 121-26-2 du code pénal). Hubert Falco ayant été condamné pour cette infraction, la cour d’appel avait retenu une peine d’inéligibilité d’une durée de cinq ans. Plus, encore elle l’avait assortie de l’exécution provisoire en application de l’article 471 du code de procédure pénale. L’exécution provisoire empêche immédiatement le condamné de se présenter à toute élection, quand bien même la condamnation serait frappée de recours. Pour ce qui est des mandats en cours, il faut distinguer mandats nationaux et locaux. Quant aux mandats nationaux, une déchéance est prévue par l’article LO136 du code électoral, mais elle doit être constatée par le Conseil constitutionnel, lequel s’y refuse tant que les voies de recours ne sont pas épuisées ; en attendant le condamné peut donc continuer à les assumer. Quant aux mandats locaux en revanche, selon les articles L. 236 et L. 230 du code électoral et la jurisprudence du Conseil d’État, le condamné est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet. Ainsi, Hubert Falco a été démis d’office de ses fonctions de conseiller municipal, malgré le recours formé contre la décision le condamnant.
Quelle motivation pour l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité ?
Il faut se reporter à la jurisprudence constitutionnelle pour le savoir. Dans une décision du 28 mars 2025 (n° 2025-1129 QPC), le Conseil constitutionnel a validé le principe de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, considérant qu’elle poursuivait l’objectif constitutionnel de sauvegarde de l’ordre public en permettant l’exécution des décisions de justice en matière pénale et en renforçant l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Il note également que le juge n’est pas contraint de prononcer une telle exécution provisoire et qu’il le fait après un débat contradictoire, respectueux des droits de la défense. Il a toutefois émis une réserve d’interprétation, selon laquelle il revient au juge pénal d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur (considérant n° 17). La chambre criminelle devait donc, pour la première fois, faire application de cette réserve d’interprétation en contrôlant la qualité de la motivation des juges du fond.
En l’espèce, les juges du fond avaient justifié l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité au regard de « la gravité des manquements qui portent profondément atteinte à l’image des fonctions électives, aux circonstances de l’infraction qui mettent en cause la capacité de l’intéressé à exercer un mandat public électif à court ou moyen terme et à la nécessité de prévenir le risque de renouvellement de l’infraction par une réponse rapide et efficiente ». Nulle mention donc, comme le soulignait le pourvoi, d’une éventuelle atteinte à l’exercice d’un mandat en cours, ni à la préservation de la liberté d’expression. Il faut dire que la décision du Conseil constitutionnel n’avait pas encore été rendue lorsque la cour d’appel s’était prononcée. Logiquement donc, la chambre criminelle censure l’arrêt d’appel sur ce point.
Quelle est la portée de la décision rendue ?
Dans l’affaire Falco, la chambre criminelle opte pour une cassation sans renvoi. En effet, même si la motivation des juges du fond était insuffisante pour justifier l’exécution provisoire, la chambre criminelle rend la condamnation, et par conséquent la peine d’inéligibilité, définitive : Hubert Falco est inéligible jusqu’en 2028. Dès lors, il n’était plus possible de revenir sur l’exécution provisoire de cette peine, et la haute juridiction prononce seulement le retranchement de la disposition de l’arrêt qui l’avait retenue.
Au-delà de l’affaire Falco, la décision de la chambre criminelle était très attendue en raison de la portée qu’elle pourrait avoir dans l’affaire Le Pen, également condamnée pour détournement de fonds publics. Dans les deux cas, une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire a été prononcée. Marine Le Pen a d’ailleurs déjà été démissionnée d’office par le préfet de ses fonctions locales (une décision contestée devant le tribunal administratif). Elle a cependant interjeté appel du jugement rendu en première instance. Il reviendra donc à la cour d’appel de confirmer la peine d’inéligibilité, ainsi que son exécution provisoire. Pour cela, les juges du fond devront suivre les exigences énoncées par la chambre criminelle, c’est-à-dire évaluer l’atteinte portée à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur. En première instance, cette exigence a bien été rappelée, mais peu développée, le tribunal ayant retenu « le trouble majeur à l’ordre public démocratique » engendré par la candidature notamment à l’élection présidentielle d’une personne condamnée, possiblement définitivement, à une peine d’inéligibilité. En appel, une nouvelle appréciation devra être faite, in concreto, au regard de la situation de Madame Le Pen, nettement distincte de celle d’Hubert Falco, puisqu’elle bénéficie d’un mandat national, en tant que députée, et est candidate à la prochaine élection présidentielle. Elle pourra par ailleurs former un pourvoi pour faire contrôler la qualité de cette motivation par la chambre criminelle. Mais cela prendra du temps, un temps pendant lequel la peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire pourrait s’appliquer.
Cette décision nous renseigne donc sur la motivation qui devra être retenue pour que l’inéligibilité soit valablement assortie de l’exécution provisoire, mais elle ne nous permet pas de dire avec certitude si Marine Le Pen pourra être candidate aux prochaines élections présidentielles.