Par Jacques-Henri Robert, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas. Expert du Club des juristes.

Quelles sont, en l’espèce, les conditions d’application de la peine d’inéligibilité ?

Les faits de détournement reprochés à Mme Le Pen se sont produits « entre 2004 et 2016 » sans autre précision. Or, la peine d’inéligibilité attachée à ce délit n’est devenue obligatoire qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 qui a modifié à cet effet l’article 432-17 du Code pénal. Cette aggravation de la peine ne pourra être appliquée à la prévenue que si le tribunal relève expressément un acte de détournement commis après le 10 décembre 2016. Et alors, la non-application de l’inéligibilité devrait être motivée par le tribunal.  

À défaut de faits postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi de 2016 dûment constatés, Mme Le Pen n’en encourrait pas moins l’inéligibilité, car le délit de détournement de biens publics, du chef duquel elle est poursuivie (art. 432-15 C. pén.), était dès avant cette loi, puni de l’interdiction des droits civiques, civils et de famille (art. 432-17 du C. pén.), dont un des éléments est justement l’inéligibilité (art. 131-26, 2° C. pén.). La peine était alors facultative. Que le tribunal prononce ou ne prononce pas cette peine, il respectera donc la loi.

S’il la prononce, il devra la motiver spécialement, comme d’ailleurs l’emprisonnement éventuel, « en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine ». (art. 132-1 C. pén.). S’il ne la prononce pas, il n’aura pas à s’en expliquer.

À quelles conditions le tribunal peut-il prononcer l’exécution provisoire ?

Il est de principe qu’en matière pénale, l’appel et le pourvoi sont suspensifs. Une très ancienne tradition législative qui remonte au Code d’instruction criminelle de 1808 apporte une exception à ce principe au préjudice des prévenus condamnés à l’emprisonnement (art. 465 CPP) : le tribunal peut les placer ou les maintenir en détention provisoire, mais comme la liberté est le principe et sa privation, l’exception, la juridiction doit justifier cette mesure. Le condamné qui fait appel ou forme un pourvoi en cassation est alors considéré comme détenu provisoirement et n’est pas réputé exécuter sa peine tant que son appel ou son pourvoi ne sont pas jugés.

Les peines autres que l’emprisonnement et l’amende (suspension du permis de conduire, la confiscation, les interdictions professionnelles etc.), qu’elles s’y substituent ou qu’elles s’y ajoutent, peuvent, elles aussi, faire l’objet d’une exécution provisoire, en application du 4ème alinéa de l’article 471 du Code de procédure pénale et c’est le cas de l’interdiction des droits civils, civiques et politiques, peine complémentaire du détournement de biens publics. Même si elle était obligatoire, cette peine ne devrait pas pour autant être appliquée immédiatement et à titre provisoire.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a été saisie de deux questions prioritaires de constitutionnalité contre cet article et a refusé de les renvoyer au Conseil constitutionnel,  mais on peut lire dans ses arrêts l’énoncé des seuls motifs qui justifient l’exécution provisoire :  « La faculté pour la juridiction d’ordonner l’exécution provisoire répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive » (Cass. crim. 4 avr. 2018, n° 17-84.577 ; Cass. crim. 21 sept. 2022, n° 22-82.377). Comme la récidive de Mme Le Pen est peu probable et que l’éventuelle inéligibilité dont elle serait frappée n’interromprait pas son actuel mandat de député, le seul effet de l’exécution provisoire de cette sanction serait de la priver de la possibilité de se présenter à l’élection présidentielle en « assurant l’exécution de la peine » malgré un appel et malgré une réformation du jugement du tribunal par la cour d’appel.. Les magistrats ne peuvent pas l’ignorer ni le dissimuler au public.

Une troisième question prioritaire de constitutionnalité a été posée, et cette fois renvoyée au Conseil constitutionnel. Quoiqu’elle ne concerne pas directement l’article 471, al. 4 du Code de procédure pénale, la réponse qu’a faite le Conseil s’applique à l’interprétation de ce texte : l’objet en était la démolition des ouvrages édifiés en contravention au Code de l’urbanisme qui peut être ordonnée à titre provisoire (art. L. 480-7, al. 1er  C. urb.) (Cons. const. 10 juillet 2024, n° 2020-1099 QPC). Quoique le Conseil ait rejeté la question prioritaire de constitutionnalité, les considérants de sa décision sont assez généraux pour orienter la décision des juges qui s’interrogent sur l’exécution provisoire des peines proprement dites : « L’exécution provisoire d’une mesure de restitution ne peut être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation…Il revient au juge d’apprécier si le prononcé de l’exécution provisoire de la mesure de restitution est nécessaire au regard des circonstances de l’espèce ».

Avant de statuer sur l’exécution provisoire, le tribunal correctionnel qui juge Mme Le Pen devra s’assurer qu’au cours des débats, il a bien suivi ces directives.

Quels sont les recours contre l’exécution provisoire ?

L’absence de recours spécifique dirigé contre l’exécution provisoire est ce qui avait inspiré les QPC qu’on vient d’évoquer et, à propos de l’article L. 480-7 du Code de l’urbanisme, la chambre criminelle avait jugé que l’argument était assez sérieux pour que le Conseil constitutionnel en fût saisi : « Ni les dispositions critiquées ni aucune autre disposition ne permettent à la personne condamnée de solliciter la suspension de cette exécution provisoire, ce qui est de nature à la priver du droit à un recours juridictionnel effectif et à porter une atteinte excessive à sa vie privée et à son droit de propriété » (Cass. crim, 22 mai 2024, n° 24-81.666). Et en effet, l’exécution provisoire ordonnée en application de l’article 471, al. 4 du Code de procédure pénale ou de l’article L. 480-7 du Code de l’urbanisme, ne peut pas être suspendue avant l’examen au fond, par la cour d’appel, des poursuites, et le prévenu peut craindre une longue attente. En revanche, la détention provisoire après jugement peut être contestée, avant l’audience d’appel, par une demande de liberté présentée à la juridiction qui a ordonné le maintien ou le placement du prévenu en détention ; et le versement de provisions à valoir sur les dommages et intérêts peut être suspendu par un référé spécial porté devant le premier président de la cour d’appel (art. 515-1 C. proc. pén.).

Les justiciables auxquels est appliqué l’article 471 al. 4 sont donc plus maltraités et seraient donc privés du droit à un recours juridictionnel effectif en violation de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La chambre criminelle, dans ses arrêts de non-lieu à renvoi, rendus en 2018 et 2022, avait rejeté l’argument au motif, un peu sommaire, que « le caractère non-suspensif du recours, lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, assure une juste conciliation entre cet objectif et celui à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice » (Cass. crim. 21 sept. 2022, n° 22-82.377, préc.). Le Conseil constitutionnel n’en disconvient pas en affirmant, à propos de l’exécution provisoire de la démolition que « le législateur a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public » mais, en cela plus prudent que la Cour de cassation, il fonde sa décision sur les garanties dont doit jouir le prévenu avant le prononcé de cette mesure : «  Au regard des conditions dans lesquelles l’exécution provisoire peut être ordonnée par le juge, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté ».

L’acte de juger est terrifiant.