Marine Le Pen conteste en justice sa démission d’office de conseillère départementale : une voie de droit possible pour contester son inéligibilité ?
Condamnée à cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire dans l'affaire des assistants parlementaires européens, Marine Le Pen a contesté la démission d'office de son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais devant le Tribunal administratif de Lille.

Par Romain Rambaud, Professeur à l’Université Grenoble Alpes
Qu’est-ce que la démission d’office d’un élu local et pourquoi celle-ci concerne-t-elle Marine Le Pen ?
Le code électoral prévoit, dans son article L.205, que « Tout conseiller départemental qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d’inéligibilité prévus par les articles L.195, L.196, L.199 et L.200 ou se trouve frappé de l’une des incapacités qui font perdre la qualité d’électeur, est déclaré démissionnaire par le représentant de l’Etat dans le département (…) ». Il existe la même disposition pour les conseillers municipaux à l’article L.236 et pour les conseillers régionaux à l’article L.341.
Ainsi, lorsqu’un élu local est déclaré inéligible, notamment en application d’une sanction pénale complémentaire d’inéligibilité, il doit être démis de ses fonctions par le représentant de l’Etat dès lors que cette sanction est définitive ou, ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat, dès lors que cette peine complémentaire d’inéligibilité a été prononcée par le juge pénal avec exécution provisoire, c’est-à-dire application immédiate (à la différence d’un député ou d’un sénateur, pour lesquels la déchéance doit être définitive, en application de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel). C’est la solution rendue à l’occasion de l’arrêt du Conseil d’Etat Simonpieri du 20 juin 2012 (CE, n°356865, concl. V. Daumas). Dans cet arrêt, la juridiction administrative suprême a estimé que des dispositions combinées des art. L.230 et L.236 du code électoral (et de l’art. L.5211-7, II CGCT) résulte la solution suivante : « dès lors qu’un conseiller municipal ou un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer démissionnaire d’office ». Il en a déduit que si un tribunal pénal a décidé vis-à-vis d’un élu, en application de l’art. 471, al. 4 du code de procédure pénale, de l’exécution par provision de la peine complémentaire de privation des droits électoraux et d’éligibilité, c’est à bon droit que le préfet constate que ce dernier est privé du droit électoral et, en application de l’art. L.236 du code électoral, le déclare immédiatement démissionnaire de ses mandats locaux. Dans ce cas, le préfet a compétence liée. Cette jurisprudence a été confirmée en 2013 (CE, 20 nov. 2013, n°367600), 2019 (CE, 20 dec. 2019, n° 432078), 2022 (CE, 14 avril 2022, n°456540) et mai 2024 (CE, 29 mai 2024, n°492285). En dernière analyse, sa constitutionnalité a été validée par la décision du Conseil constitutionnel n°2025-1129 QPC du 28 mars 2025 (v. infra).
Dans son fameux jugement du 31 mars 2025, le Tribunal correctionnel de Paris a déclaré Marine Le Pen inéligible avec exécution provisoire pour 5 ans. Dès lors, elle entre dans le cadre de ces dispositions et c’est très logiquement que le préfet du Pas-de-Calais a prononcé sa démission d’office de son mandat de conseillère départementale.
Quels sont les recours dont dispose Marine Le Pen ?
L’article L.205 précité déclare que le préfet est tenu de déclarer démissionnaire d’office l’élu inéligible, « sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d’Etat, conformément aux articles L.222 et L.223. Lorsqu’un conseiller départemental est déclaré démissionnaire d’office à la suite d’une condamnation pénale définitive prononcée à son encontre et entraînant, de ce fait, la perte de ses droits civiques et électoraux, le recours éventuel contre l’acte de notification du préfet n’est pas suspensif ». Il en résulte qu’il existe une voie de recours devant le tribunal administratif, puis le Conseil d’Etat, qui est suspensive dans le cas où la condamnation pénale n’est pas définitive, comme c’est le cas quand l’exécution provisoire a été prononcée en première instance (CE, 9 mai 2007, n° 291932 ; CE, 14 avril 2022, n°456540), et qui n’est pas suspensive dans le cas où la condamnation est définitive. Pour ce qui concerne Marine Le Pen, elle a formé un recours devant le Tribunal administratif de Lille qui, à ce stade, est suspensif puisque sa condamnation est non définitive : elle résulte d’un jugement de première instance dont elle a interjeté appel. Cette suspension s’appliquera jusqu’à l’arrêt du Conseil d’Etat le cas échéant rendu en appel.
Combien de temps durera cette procédure ? Dans sa décision n°2025-1129 QPC du 28 mars 2025 précitée, le Conseil constitutionnel a rejeté un argument d’inconstitutionnalité de l’article L.236 du code électoral tiré de l’atteinte au droit à un recours effectif, estimant d’une part que la démission d’office n’a pas d’incidence sur l’exercice des voies de recours ouvertes contre la décision de condamnation au niveau pénal et, d’autre part, que l’intéressé peut former contre l’arrêté prononçant la démission d’office une réclamation devant le tribunal administratif ainsi qu’un recours devant le Conseil d’État, qui est suspensif quand la décision n’est pas définitive. Sur ce point la décision du Conseil constitutionnel est discutable en raison de la différence naturelle de calendrier entre les juridictions administratives et pénales. En principe, le Tribunal administratif de Lille doit statuer dans les deux mois et le Conseil d’Etat doit rendre sa décision d’appel dans les six mois (art. L.223-1 du code électoral), mais là où le tribunal administratif est dessaisi s’il ne respecte pas le délai légal (art. R. 121 du code électoral), ce n’est pas le cas du Conseil d’Etat pour lequel il n’existe pas de dessaisissement dans le cas où il ne respecterait pas le délai de six mois.
Les juridictions administratives, en particulier le Conseil d’Etat, interprèteront-ils la décision du Conseil constitutionnel comme signifiant que la juridiction administrative devrait caler son agenda sur l’agenda pénal ? C’est loin d’être certain. D’un autre côté, dans la mesure où la Cour d’appel de Paris a annoncé un procès en appel rapide dès 2026, on pourrait imaginer que le Conseil d’Etat décide d’attendre jusque-là. Il existe des précédents où le Conseil d’Etat s’est, dans des cas de figure de ce type, prononcé après la Cour d’appel (CE, 20 décembre 2019, n° 432078 ; CE, 14 avril 2022, n°456540, v. infra).
Marine Le Pen pourrait-elle profiter de cette procédure contentieuse pour remettre en question son inéligibilité ?
Sur le plan de la constitutionnalité de l’article L.205 du code électoral, on voit mal comment. En effet, dans sa décision n°2025-1129 QPC précitée du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité, sous réserve de l’interprétation constante du Conseil d’Etat, de l’article L.236 du code électoral, identique à l’article L.205. Il a jugé que les dispositions en cause « visent à garantir l’effectivité de la décision du juge ordonnant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité afin d’assurer, en cas de recours, l’efficacité de la peine et de prévenir la récidive », en cela reprenant la jurisprudence de la Cour de cassation (Crim. 23 août 2017, n° 17-80.459), et que ce « Ce faisant, d’une part, elles mettent en œuvre l’exigence constitutionnelle qui s’attache à l’exécution des décisions de justice en matière pénale. D’autre part, elles contribuent à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Ainsi, elles mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public », reprenant en cela sa jurisprudence associée aux lois de transparence et de moralisation de la vie publique de 2013 et de 2017 (décisions n°2013-675 DC, 9 octobre 2013 et n°2017-753 DC, 8 septembre 2017). Dès lors, si Marine Le Pen était tentée de former une QPC contre l’article L.205 du code électoral, il y a tout lieu de penser que le tribunal administratif et le Conseil d’Etat jugeraient cette question non nouvelle et non sérieuse et refuseraient de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel.
Certes, le Conseil constitutionnel a, dans cette même décision, fait une réserve d’interprétation sur l’office du juge pénal tenant à l’examen de la proportionnalité entre la peine complémentaire d’inéligibilité avec exécution provisoire et la préservation de la liberté de l’électeur, ayant estimé que, « Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur » et que « Il résulte de ce qui précède que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité ». Cependant, quoi qu’on pense de cette réserve et de la question de savoir si le tribunal judiciaire de Paris l’a ou non correctement appliquée le 31 mars 2025 concernant Marine Le Pen – et il existe sur ce point des controverses, alors qu’il l’a appliquée positivement pour Louis Aliot – il n’en résulte pas moins que le juge administratif, dans son office de juge de la démission d’office, ne peut pas revenir sur la décision du juge pénal et qu’en application de la jurisprudence précitée, il doit nécessairement tirer les conséquences du prononcé de l’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité. Dans le cadre du délai de jugement qui est le sien, on ne voit donc pas comment le tribunal administratif pourrait s’opposer à la démission d’office de Marine Le Pen.
Au niveau du Conseil d’Etat, il existe plus d’incertitude en fonction du moment où il statuera, avant ou après la Cour d’appel de Paris, et en fonction de ce que décidera cette dernière, et en fonction de ce qu’il décidera lui-même. Sur ce point en effet, il existe une problématique juridique. Selon une certaine jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. Crim., 28 septembre 1993, n° 92-85473, au Bull.), reprise par le Conseil d’Etat dans son office de juge de la démission d’office en 2019 (CE, 20 décembre 2019, n° 432078), la formation d’un pourvoi en cassation contre une décision d’appel aurait pour effet de faire revenir à l’exécution provisoire prononcée en première instance. Dans ce cas, Marine Le Pen se trouverait piégée : soit la Cour d’appel confirme l’exécution provisoire et, dans ce cas, le pourvoi n’est pas suspensif, soit elle ne la confirme pas mais, dans ce cas, Marine Le Pen prend le risque, en formant un pourvoi en cassation, de se voir réappliquer l’exécution provisoire initiale (piège juridique), ce qui l’empêcherait donc de facto de former un pourvoi en cassation pour contester sa culpabilité et sa condamnation (piège politique). Cependant, dans un arrêt ultérieur de 2022, le Conseil d’Etat a jugé qu’un pourvoi en cassation contre un arrêt d’appel ne prononçant pas l’exécution provisoire à la différence du jugement de première instance avait pour effet que cette peine complémentaire n’est pas définitive et que son exécution est suspendue jusqu’à ce que la Cour de cassation se soit prononcée, de sorte que la démission d’office doit être annulée (CE, 14 avril 2022, n°456540).
Cette incertitude ne fait que s’ajouter aux autres, nombreuses dans cette affaire : que jugeront la Cour d’appel et, le cas échéant, la Cour de cassation concernant notamment la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel ? Que déciderait le Conseil constitutionnel lui-même au moment de l’examen de la liste des candidats présentés (Cons. const, n°74- 26 PDR, 21 avril 1974, v. avant pour un contrôle de l’éligibilité n°69-18 PDR du 17 mai 1969) ? Le feuilleton n’est donc pas terminé.