Par Michel Degoffe, Professeur de droit public à l’Université Paris Cité

Quel est l’intérêt de l’accord ?

Le multilatéralisme en matière commerciale dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est en recul. Il est à craindre que la présidence Trump ne le relance pas. L’Union européenne a donc, a priori, beaucoup à gagner d’un accord qui lui ouvre les marchés les plus dynamiques d’Amérique du Sud. Pourtant, la classe politique française, le président de la République en premier lieu, est aujourd’hui hostile à l’accord. Même si ce ne sont pas les arrière-pensées de tous les politiques, cette opposition illustre la progression d’une hostilité à l’égard du commerce international. Alors qu’on enseignait couramment que le développement des échanges était le meilleur antidote pour éviter la récession, des mouvements hostiles au développement économique, fort logiquement se montrent allergiques aux échanges. Mais la politique commerciale extérieure est une compétence exclusive de l’Union européenne (art. 3 du TFUE) et, en ce domaine, le Conseil statue à la majorité qualifiée (art. 207 par. 4). La France ne pourra donc pas s’opposer à l’accord si elle ne trouve pas l’appui d’autres Etats.

L’accord prend-il suffisamment en compte les objectifs environnementaux ?

La France se veut en pointe sur les engagements environnementaux, en particulier en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’accord de Paris de 2015 fixe l’objectif de contenir l’augmentation des températures en-dessous de 2 degrés par rapport au niveau préindustriel. Pour atteindre cet objectif, il faut réduire la consommation des énergies fossiles et maintenir le stockage du carbone. Les forêts doivent jouer un grand rôle en la matière. Faciliter les importations de bœuf en Europe en provenance d’Amérique du Sud risque donc d’inciter les producteurs sud-américains à déforester pour augmenter les prairies nécessaires. La France s’est déjà montrée attentive à cette argumentation. Par exemple, la production de biocarburants bénéficie d’avantages fiscaux puisque ce carburant se substitue aux énergies fossiles. Fort logiquement, le législateur a exclu de cet avantage fiscal, le biocarburant produit à partir d’huile de palme, car la Malaisie ou l’Indonésie abattent leurs forêts pour planter des palmiers. En vertu de l’accord de Paris, les parties doivent protéger les forêts (art. 5-1). L’accord d’association Mercosur évoque bien l’accord de Paris. « Les Parties reconnaissent l’importance de poursuivre l’objectif ultime de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), afin de répondre à la menace pressante que constitue le changement climatique, et le rôle du commerce à cette fin » (art. 6 de l’accord). Mais il ne soumet pas la violation de ses stipulations au mécanisme de règlement juridictionnel. En cas de non-respect supposé de l’accord de Paris, des experts seront simplement chargés de proposer une solution. Et l’accord d’association ne comporte aucune stipulation concrète de mise en œuvre de l’Accord de Paris, en matière, par exemple de protection des forêts.

L’accord place-t-il les agriculteurs français dans une concurrence inégale ?

C’est le reproche principal adressé par les syndicats agricoles à l’accord Mercosur. L’Union européenne (et la France qui, parfois, surtranspose) impose des normes aux agriculteurs que ne respectent pas leurs homologues sud-américains. Les syndicats réclament l’instauration de clauses miroirs. En vertu de celles-ci, un produit agricole ne pourrait pas entrer sur le territoire européen s’il ne respecte pas des normes identiques à celles imposées aux produits européens. On n’en est pas là. Certes, l’accord Mercosur se réfère au principe de précaution. « Dans les cas où les preuves ou informations scientifiques sont insuffisantes ou peu concluantes et qu’il existe un risque de dégradation grave de l’environnement ou de la santé et de la sécurité au travail sur son territoire, une Partie peut adopter des mesures fondées sur le principe de précaution » (art. 10-2). Mais cette stipulation donne un contenu étriqué au principe de précaution puisqu’il n’est pas question de la sécurité sanitaire des aliments. Il est clair que le Brésil, par exemple, a des normes sanitaires plus souples que celles qui prévalent en Europe, plus souples même que les standards internationaux. Le Brésil a déjà indiqué dans le cadre d’instances portées devant l’OMC que les normes européennes lui semblaient trop strictes. On peut donc envisager des conflits à terme lorsque l’accord sera appliqué, d’autant plus qu’en cette matière, les Etats se sont tout au plus engagés à dialoguer sans imposer un règlement juridictionnel.

L’Argentine a déjà obtenu d’un juge de l’OMC, la condamnation de l’Union européenne qui imposait l’étiquetage des produits comportant des OGM. Le juge OMC n’a pas retenu la position européenne qui défendait « le droit de chaque pays de prendre ses propres décisions sur chacun des OGM en fonction de ses grands objectifs légitimes ».

Le Brésil autorise encore certains antibiotiques comme promoteurs de croissance, alors que l’Union européenne les interdit depuis 2006. Dans le même temps, l’Union européenne et la France renforcent les exigences, ce qui a provoqué le mouvement des agriculteurs en début d’année. Ces évolutions divergentes peuvent donc inquiéter les agriculteurs français, puisque l’accord ne prévoit pas de convergence, c’est-à-dire d’exportation des normes agricoles européennes en Amérique du Sud.