Union européenne / Mercosur : pourquoi ça patine
Voici maintenant plus de deux décennies que l’Union européenne et les pays membres du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay Paraguay) négocient cet accord d’association pour une zone de libre-échange. Maintes fois retardées, ce processus a été, dès l’origine, sujet à de fortes crispations, tant en Europe qu’en Amérique latine, en particulier sur la question agricole.
Par Alan Hervé, Professeur à SciencesPo Rennes.
Alan Hervé a récemment publié chez Bruylant l’ouvrage « Les accords de libre-échange de l’Union européenne Contribution de l’Union à un nouveau modèle de régulation du commerce international ».
Pourquoi la question de la signature d’un accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur se pose-telle aujourd’hui ?
Les négociations de la partie commerciale de l’accord ont été officiellement clôturées en juin
2019 mais des tractations se sont poursuivies sur certaines questions sensibles, la Commission
ayant ainsi proposé en mars 2023 un « instrument additionnel » censé renforcer le volet dit
« développement durable » du texte. On peut raisonnablement penser que la signature de
l’accord ne concernerait à brève échéance que la partie commerciale de l’accord, qui organise
la libéralisation des échanges commerciaux, le volet politique de l’accord d’association
n’ayant pas été rendu public à ce jour. En tout état de cause, il paraît peu réaliste, tant du point
de vue européen que latino-américain, de repousser indéfiniment le processus de conclusion
de ce texte. La Commission, dont la fin de mandat approche à grand pas, et sous les
encouragements de la présidence espagnole au second semestre 2023, a d’ailleurs tout fait ces
derniers mois pour rendre possible la signature et l’application du volet libre-échange de cet
accord d’association, au moins à titre provisoire.
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La France peut-elle s’opposer seule à la signature de ce texte ?
Les règles intéressant la signature des accords de l’Union sont énoncées à l’article 218 § 5 du
traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Cette disposition prévoit que, sur
proposition de la Commission, le Conseil « adopte une décision autorisant la signature de
l’accord et, le cas échéant, son application provisoire avant l’entrée en vigueur ». Il reviendra
en conséquence au Conseil de l’UE, institution représentative des États membres, d’en
décider. Dans le silence du traité et à défaut de précision contraire, en cas de passage au vote,
la procédure de la majorité qualifiée est ici applicable (article 16 § 3 du traité sur l’Union européenne). Toutefois, la signature des accords commerciaux a toujours été décidée de façon consensuelle, la mise en minorité d’un État membre ayant été raisonnablement jugée contreproductive, ne serait-ce que parce
que la collaboration des autorités nationales sera ensuite cruciale à la bonne mise en œuvre du
texte. Il est assez peu probable que la Commission ou la présidence du Conseil décident de
passer en force et d’ignorer la position française. Il est plus réaliste de penser que les
négociateurs feront tout pour essayer de répondre aux inquiétudes exprimées à l’égard de cet
accord, en essayant de trouver un compromis qui apparaisse politiquement acceptable sur le
plan environnemental ou agricole. Celui-ci pourrait prendre la forme de nouveaux protocoles
ou de nouveaux instruments interprétatifs, assortis de déclarations unilatérales des États comme
cela avait été le cas au moment de la signature du CETA en octobre 2016, elle aussi très
controversée à l’époque. Il n’est pas certain toutefois que les pays latinos-américains soient
prêts à faire davantage de concessions, et il est encore moins évident que ces solutions
parviennent à convaincre les autorités et l’opinion française.
Quels seraient les effets de la signature du texte ?
Juridiquement, les effets de la signature d’un traité demeurent limités, les parties étant alors
tenues, au titre d’une obligation de bonne foi, de s’abstenir de compromettre les buts et l’objet
du traité. Cependant, en pratique, la signature d’un accord de libre-échange est souvent
accompagnée d’une décision d’application provisoire, en particulier lorsque la partie
commerciale s’inscrit dans un accord plus large d’association, comme cela a pu être le cas de
l’accord UE-Ukraine entre 2014 et 2017. Cette procédure de l’application provisoire autorise
ainsi l’application de l’accord sans l’approbation du Parlement européen, sans la conclusion
du Conseil et surtout, en cas d’accord mixte, sans avoir à attendre une laborieuse ratification
par les 27 États membres. Depuis le CETA, la Commission a toutefois pris soin de
conditionner l’application provisoire à son approbation préalable par le Parlement européen et
il serait politiquement risqué de la part de la Commission de revenir sur ce précédent dans le
contexte de l’accord UE-Mercosur, même si aucune hypothèse ne doit être écartée à ce stade.
Tout autant que la position française, celle des députés européens devra être regardée de très
près. Enfin, on ne doit pas non plus oublier que les Européens ne décident pas seuls, la
signature nécessitant aussi l’appui des pays du Mercosur. Or, le soutien à ce texte, notamment
de l’Argentine et de son nouveau président Javier Milei, reste à ce jour assez incertain, surtout
dans l’hypothèse où l’Union tenterait d’accroître la portée des engagements sur le plan social
et environnemental. Il faut être deux pour danser le tango…