Par Arthur Etronnier, doctorant contractuel à l’Université Paris XII et Laurence Dubin, Professeure de droit international à l’Université Paris 1

Par cette nouvelle stratégie, l’Union ambitionne d’impulser un changement de paradigme dans l’organisation de la libéralisation des échanges en intégrant les enjeux environnementaux et sociaux, ce qui va à contre-courant de la doxa néolibérale selon laquelle le droit du libre-échange doit se tenir à distance des préoccupations de justice sociale et environnementale2.

Quel impact sur les réglementations environnementales et sociales de l’Union ?

Ce nouvel accord oscille entre innovation et « classicisme » juridique.

En effet, il transpose les accords de l’OMC en matière de normes sanitaires et phytosanitaires (SPS) et d’obstacles techniques au commerce (OTC). Avancée notable, le chapitre SPS prend en compte les enjeux actuels relatifs aux dangers de la résistance aux antimicrobiens (RAM) en promouvant l’arrêt des antibiotiques en tant que facteur de croissance.

Ces obligations sont, par ailleurs, approfondies car elles prévoient des coopérations renforcées en matière de transparence et d’échanges d’informations dès lors qu’une Partie souhaite adopter une mesure entrant dans leur champ d’application. Cela peut, a priori, conduire à un nivellement des exigences de l’Union en la matière. Ces dispositions sont d’ailleurs souvent pointées du doigt, comme en témoigne l’abondante jurisprudence de l’ORD de l’OMC en la matière.

En ce qui concerne les innovations les plus notables, il convient de citer les chapitres 7 (concernant les systèmes alimentaires durables) et 19 (ayant trait au commerce et au développement durable). En substance, le chapitre 7 prévoit une coopération entre l’UE et la Nouvelle Zélande afin de permettre l’existence « d’un système alimentaire qui garantit l’accès à une alimentation sûre, nutritive et suffisante tout au long de l’année ». Ce chapitre semble assez programmatique dès lors qu’il ne saurait, par exemple, obliger une Partie à modifier ses exigences à l’importation. Cela implique donc que l’Union européenne comme la Nouvelle Zélande n’auront, en dehors de toute coopération, ni à abaisser ni à augmenter leurs exigences en vue de réaliser les objectifs de ce chapitre.

Le chapitre 19 prévoit, quant à lui, un certain nombre de disciplines et d’obligations en matière sociale et environnementale et mobilisent de nombreuses normes internationales de référence, allant de l’Accord de Paris à la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale et la mondialisation, en passant par les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. Ce chapitre, s’il garantit le droit de réglementer des Etats parties (i.e. de librement déterminer leur niveau de protection sociale et environnementale), leur interdit néanmoins d’affaiblir, de déroger, de réduire ou d’omettre d’appliquer leurs normes sociales et environnementales afin d’encourager le commerce et les investissements (ce qui est somme toute classique au regard des accords de libre-échange adoptés précédemment par l’Union).

En parallèle, l’accord stipule que les Etats parties ne devraient pas non plus utiliser leurs réglementations nationales en la matière pour imposer des restrictions déguisées au commerce ou aux investissements. Enfin, en tant qu’accord de libre-échange, il consacre une suppression totale des droits de douane sur les produits liés à la protection de l’environnement ou qui contribuent à améliorer les conditions sociales, tout en prévoyant une libéralisation accrue des échanges sur des biens tels que le lait et la viande.

De quelle façon l’effectivité de la protection des normes sociales et environnementales est-elle assurée ?

Les disciplines et obligations sociales et environnementales portées cet accord resteraient lettre morte si elles n’étaient pas intégrées dans un système visant à garantir leur suivi par les partenaires. A ce titre, chaque chapitre prévoit la mise en place d’un comité d’experts chargé de sa mise en œuvre, qui pourra adopter des décisions contraignantes pour les parties. Ces entités constituent également un moyen de désamorcer de potentiels différents, en constituant une enceinte de dialogue sur l’interprétation des dispositions des chapitres en cause.

Mais l’innovation en matière environnementale et sociale réside surtout dans le fait que le Comité du développement durable n’est plus le seul à superviser l’application des dispositions sociales et environnementales. Dorénavant, les panels du mécanisme commercial de règlement des différends peuvent être convoqués (en cas d’échec des consultations, voir article 26§4 de l’accord). Et si les membres du panel de règlement des différends (qui devront être composés de personnalités compétentes en droits du travail et de l’environnement, voir article 26§6.1.b) établissent que les droits sociaux fondamentaux de l’OIT ou les objectifs de l’accord de Paris ont été malmenés, alors des mesures de sanction commerciale pourront être prises3.

Il reste que la pratique américaine des accords de libre-échange enseigne que la greffe des disciplines sociales et environnementales sur un mécanisme commercial de règlement des différends n’est guère porteuse ; elle implique, en effet, de conditionner la sanction commerciale par la preuve quantifiée des effets commerciaux des violations sociales ou environnementales sur les échanges. Or, ce sont précisément les difficultés rencontrées par l’administration américaine pour chiffrer les effets commerciaux des violations des droits sociaux par les Etats parties à leur accord de libre-échange qui ont expliqué qu’aucune sanction commerciale n’ait pu être imposée par elle4 et qu’elle se soit tournée vers une toute autre approche en sanctionnant les entreprises exportatrices opérant dans la zone de libre-échange5. L’accord UE-Nouvelle Zélande marque une rupture certaine avec la pratique antérieure de l’Union, qui consistait à enchâsser les disciplines sociales et environnementales dans un régime coopératif conçu en marge du régime coercitif de règlement des différends commerciaux. Mais il apparaît déjà dépassé à l’aune de la pratique américaine, beaucoup plus à même de domestiquer les chaînes de valeur en bâtissant des accords de dernière génération6.

Quid des clauses miroirs proposées lors de la Présidence française du Conseil ?

Les dispositifs dits « miroirs » permettent à l’Union d’exiger de leur partenaire commercial de ne pas importer des marchandises produites avec des substances et pratiques interdites en UE (pesticides, antibiotiques activateurs de croissance…) Ici, cela reste un vœu pieu, étant donné qu’ils risquent d’être considérés comme une restriction déguisée au commerce interdite par l’ensemble des chapitres de l’accord. Pour autant, la prise en compte des RAM, les possibilités offertes par le chapitre 19 en matière de non-abaissement des exigences et les quelques concessions tarifaires à l’importation (comme le bœuf issu d’élevage sans engraissement commerciaux, paradoxe étant donné que la Nouvelle Zélande ne dispose pas de parc d’engraissement7) laissent présager une première étape. Gageons que des dispositifs réglementaires puissent être adoptés par l’Union au titre du principe de précaution.

On le voit, les incertitudes et débats persistent, sans compter ceux qui sont relatifs à l’empreinte carbone attachée aux trajets effectués par les marchandises. Si l’accord avec le pays du long nuage blanc présente des innovations certaines en matière de protection des droits environnementaux et sociaux, on peut regretter qu’à à l’aube de son entrée en vigueur, des innovations plus tangibles n’aient pas été tentées. Cela est d’autant plus dommageable que des innovations sont par ailleurs constatées dans le cadre de négociations entre la Nouvelle Zélande et le Costa Rica, la Suisse ou encore l’Islande.