Soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy : ouverture du procès devant le Tribunal correctionnel de Paris
Définitivement condamné dans l’affaire des écoutes par la Cour de cassation le 18 décembre, Nicolas Sarkozy va de nouveau être jugé (ainsi que onze autres prévenus) devant le Tribunal correctionnel de Paris du 6 janvier au 10 avril dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. L’ancien chef de l’État est poursuivi pour plusieurs délits : corruption passive, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne électorale et association de malfaiteurs. Jean-Marie Brigant, maître de conférences en droit privé à l’Université Le Mans, nous aide à décrypter la poursuite dont l’ancien Président de la République fait l’objet.
Par La rédaction.
Quel est le contexte de l’affaire ?
Dans cette affaire, Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir financé une partie de sa campagne présidentielle de 2007 avec des fonds provenant du régime libyen de Mouammar Kadhafi.
Nicolas Sarkozy comparaitra, ainsi que onze autres prévenus (les juges d’instruction avaient initialement renvoyé treize personnes devant la justice, mais l’avocat malaisien Sivajothi Rajendram est décédé), devant le Tribunal correctionnel de Paris du 6 janvier 2025 au 10 avril.
L’affaire trouve son origine dans une note datée du 10 décembre 2006, dans laquelle l’ex-chef des services de renseignement extérieur de la Libye évoque un accord de principe pour « appuyer la campagne électorale du candidat pour un montant d’une valeur de 50 millions d’euros ». Cette note, publiée par Mediapart, marque le début de l’enquête. Bien que Nicolas Sarkozy ait porté plainte contre le journal, un non-lieu avait été prononcé en faveur de Mediapart.
Après dix ans d’enquête, les investigations ont conduit au renvoi de Nicolas Sarkozy et de douze autres prévenus devant le Tribunal correctionnel de Paris, sur décision de deux magistrates financières, le 25 août 2024.
Parmi les onze autres prévenus, figurent trois anciens ministres : Claude Guéant, Brice Hortefeux, et Éric Woerth, ancien trésorier de la campagne présidentielle.
Pour quelles infractions Nicolas Sarkozy est-il poursuivi ?
Le Parquet National financier a demandé le renvoi devant le Tribunal correctionnel de Paris de Nicolas Sarkozy pour les infractions suivantes :
L’ancien chef de l’État est tout d’abord poursuivi du chef de corruption passive au sens de l’article 432-11 du Code pénal. Jean-Marie Brigant, maître de conférences en droit privé à l’Université Le Mans rappelle que « le délit de corruption passive fait partie de la catégorie des manquements au devoir de probité qui sanctionnent les abus de fonction commis par des personnes exerçant une fonction publique. En tant que serviteur de l’Etat, tout fonctionnaire est tenu à un devoir de probité dont le fondement n’est pas contractuel mais bien social. S’il ne fait aucun doute que Nicolas Sarkozy, président de la République, puisse être qualifié de personne exerçant une fonction publique (que ce soit en qualité de dépositaire de l’autorité publique, chargé de mission de service public ou tout simplement de personne investie d’un mandat électif public), il reviendra au tribunal correctionnel le soin de caractériser les éléments constitutifs du délit de corruption passive ». L’infraction consiste matériellement dans le fait pour la personne exerçant une fonction publique de « solliciter ou d’agréer, sans droit, à tout moment directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui » (C. pén., art. 432-11). En outre, la corruption passive requiert un dol général (conscience et volonté d’agir en violation du devoir de probité) auquel s’ajoute un dol spécial, c’est-à-dire la volonté d’accomplir ou de ne pas accomplir un acte de la fonction ou mission ou facilité par celle-ci.
En l’espèce, il est reproché à Nicolas Sarkozy en qualité de corrompu, d’avoir sollicité des fonds publics libyens pour financer sa campagne électorale de 2007 en contrepartie de l’accomplissement d’actes de sa fonction ou facilités par sa fonction de président de la République. Trois catégories de contreparties sont évoquées dans cette affaire : les premières d’ordre diplomatique (promesse d’aider la Libye à sortir de son isolement international et à restaurer son image, via notamment la libération des infirmières bulgares), les deuxièmes de nature économique (avec la conclusion de partenariats et contrats d’envergure dans les domaines pétroliers, nucléaires, etc.) et les dernières de nature judiciaire (tractations sur le réexamen judiciaire du gendre de Kadhafi). En revanche, il n’est pas inutile de souligner que les mobiles sont juridiquement inopérants pour caractériser l’infraction, qu’il s’agisse de l’appât du gain ou justement du financement d’une campagne électorale ou d’un parti politique (Cass. crim., 16 juin 2010, no 09-86.280).
Nicolas Sarkozy est également poursuivi pour recel de détournement de fonds publics. Jean-Marie Brigant, précise qu’ « il n’est donc pas reproché à N. Sarkozy d’avoir détourné des fonds publics mais uniquement d’en avoir tiré profit – au moins pour une partie de ces sommes qui auraient été « décaissées en espèces ». En l’espèce, pour ce soupçon de recel-profit, l’ancien Président aurait en connaissance de cause, bénéficié, par tout moyen, du produit d’un détournement de fonds publics provenant de l’Etat Libyen. Néanmoins, le recel défini et réprimé à l’article 321-1 du Code pénal est une infraction de conséquence qui ne pourra être retenue si n’est pas établie de manière précise l’existence de l’infraction d’origine qu’est le détournement de fonds publics en relevant tous ses éléments constitutifs (Cass. crim. 27 juin 2018, n° 18-80.069). Le tribunal devra également démontrer que ces faits de commission ont été accomplis personnellement par le prévenu et surtout que ce dernier avait connaissance de l’origine frauduleuse des fonds. En raison des difficultés à rapporter la preuve de la mauvaise foi du receleur, le juge pénal n’hésite pas à recourir à des déductions (circonstances des faits, montant, modalité et clandestinité de l’opération, …) et présomptions (expérience professionnelle) qui le conduit à décider que le prévenu « ne pouvait ignorer » (Cass. crim., 30 janv. 2019, n° 17-85.304) ».
La troisième qualification retenue à l’encontre de Nicolas Sarkozy est celle de financement illégal de campagne électorale qui vise tout candidat à une élection qui aura accepté des fonds en violation des dispositions L. 52-7-1, L. 52-8 ou L. 308-1 du Code électoral (C. élect., art. L. 113-1, 2°). Jean-Marie Brigant souligne qu’ « à l’occasion d’une autre affaire Sarkozy – le financement de la campagne présidentielle de 2012 – le Conseil constitutionnel a précisé que ces dispositions pénales sanctionnant la méconnaissance des règles de financement des campagnes, visent « les éventuels manquements à la probité des candidats et des élus », à la différence des sanctions financières prononcées par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques qui ont pour objectif d’assurer le bon déroulement de l’élection du Président de la République et, en particulier, l’égalité entre les candidats au cours de la campagne électorale (Cons. const. 17 mai 2019, no 2019-783 QPC, § 12). En l’espèce, les investigations du PNF ont permis de relever « des circuits opaques de circulation de fonds libyens » qui auraient conduit à des décaisses d’espèces dans une temporalité et une chronologie compatibles avec un usage occulte lors de la campagne présidentielle. Il est ainsi reproché à Nicolas Sarkozy plusieurs manquements aux règles de financement de la campagne présidentielle : le recueil des fonds en violation de l’article L. 52-4 du code électoral en vue de financer une campagne électorale, l’acceptation des fonds en violation des articles L. 52-8 ou L. 308-1 du code électoral, le dépassement du plafond des dépenses électorales fixé en application de l’article L. 52-11 du code électoral, le non-respect des formalités d’établissement du compte de campagne prévues aux articles L. 52-12 et L. 52-13, la mention dans le compte de campagne ou dans ses annexes, d’éléments comptables sciemment minorés. Il convient de relever au passage que deux protagonistes de cette affaire ont déjà été condamnés en 2020 pour des faits fondés sur un mode opératoire similaire lors de la campagne présidentielle de 1995 en faveur d’Edouard Balladur (voir not. Ass. Plén., 13 mars 2020, n°18-80.162) ».
Enfin, l’ancien chef d’État est poursuivi pour « association de malfaiteurs », qualification généralement employée pour sanctionner l’activité dangereuse des délinquants qui se groupent, indépendamment du résultat ou de l’infraction projetée. Jean-Marie Brigant, rappelle que l’association de malfaiteurs est une infraction-obstacle qui permet d’incriminer l’accomplissement d’actes préparatoires à la commission d’autres infractions qui se situent avant même le commencement d’exécution qui fonde la tentative punissable. Atypique, cette qualification pénale est également transversale « puisqu’elle peut apparaître en préambule d’un nombre important d’infractions (contre les biens, contre l’État, la Nation et la paix publique) à la seule condition que celles-ci soient punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement » (A. Vitu, Fasc. 20 : Participation à une association de malfaiteurs, Lexisnexis, Juris-Cl. Pénal Code, Art. 450-1, § 5). En l’espèce, il s’agit de la préparation de plusieurs délits punis de dix ans d’emprisonnement : détournements de fonds publics commis par un agent public au préjudice de l’Etat libyen, corruption active et passive d’agent public ainsi que le blanchiment de ces délits. Si la durée du groupement, l’existence d’une hiérarchie et le nombre ainsi que l’identité des participants sont indifférents pour caractériser l’infraction, il faut en revanche apporter la preuve d’une résolution d’agir en commun qui doit être extériorisée par des faits matériels. En l’espèce, il ressort des investigations menées que plusieurs proches de Nicolas Sarkozy auraient « avec constance, agi en qualité d’intermédiaires » dans le but « d’obtenir des soutiens financiers des autorités libyennes dans la perspective de l’élection présidentielle » ou « pour faciliter la mise en œuvre des contreparties du pacte de corruption », autant d’agissements qui n’auraient pas pu se faire sans l’aval et la parfaite connaissance du candidat ».
Que risque Nicolas Sarkozy dans cette affaire ?
Dans cette affaire, l’ancien chef de l’État et les onze autres personnes jugées avec lui encourt des peines élevées. En effet, Nicolas Sarkozy encourt jusqu’à dix ans d’emprisonnement, 375 000 euros d’amende et une privation de certains de ses droits civiques dont une peine d’inéligibilité pouvant aller jusqu’à 5 ans.
En raison de leur gravité, les délits de corruption passive, de recel de détournement de fonds publics et d’association de malfaiteurs sont punis de dix ans d’emprisonnement. En revanche, à l’époque des faits, entre 2005 et 2011, la peine d’amende pour corruption passive et détournement de fonds publics n’était que de 150 000 euros. En vertu du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, les mis en cause échapperaient à « l’amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction », introduite par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013.
Pour le recel, la loi pénale prévoit la possibilité de prononcer une « amende proportionnelle » : si le délit de recel est puni d’une amende de 375 000 euros, il est possible d’élever cette peine au-delà de ce montant « jusqu’à la moitié de la valeur des biens recelés »
Quant au délit de financement illégal de campagne électorale, il faisait l’objet à l’époque des faits d’une répression beaucoup plus modeste : l’amende n’étant que de 3 750 euros et l’emprisonnement d’une année.
En effet, postérieurement aux faits de l’espèce, depuis la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, les sanctions pénales ont été portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 € d’amende. L’objectif du législateur étant (à nouveau) de « s’attaquer à la racine de la défiance de l’opinion, qui demande des garanties sur l’intégrité de ceux qui exercent des responsabilités politiques, et une plus grande efficacité dans la lutte contre la corruption (…) » (Projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique, 14 juin 2017, p. 22).
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