Par Charlotte Dubois, Professeur en droit privé à l’Université Paris-Panthéon-Assas

Quelles sont les conditions de saisine de la Cour européenne ?

Depuis 1981, le recours individuel est ouvert devant la Cour européenne : un justiciable peut saisir la Cour s’il estime avoir été victime d’une violation d’un droit fondamental protégé par la Convention européenne ou par ses protocoles additionnels. Des conditions sont posées : d’une part, l’épuisement des voies de recours internes ; d’autre part, la saisine doit être rapide puisqu’elle doit intervenir dans les quatre mois suivant la décision nationale définitive.

Ces conditions ne posent pas de difficulté dans l’affaire Sarkozy : d’une part, la décision de la Cour de cassation ayant été rendue, les voies de recours internes sont bien épuisées ; d’autre part, la condition de délai sera indéniablement respectée dans la mesure où l’avocat de Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir saisir la Cour « dans les semaines à venir ».

La Cour européenne devra ainsi statuer sur la conformité de la décision française aux droits fondamentaux qu’elle protège ; en l’occurrence, c’est la légalité des écoutes téléphoniques présentées à titre probatoire qui est contestée.

Que peut décider la Cour européenne ?

Naturellement, une décision de la Cour européenne ne peut en aucun cas remettre en cause une décision interne : il en va ainsi en droit civil comme en droit pénal. La Cour EDH ne peut pas établir un lien de filiation, remettre en cause une dévolution successorale ou encore décider de l’innocence ou de la culpabilité d’un prévenu. Elle ne peut pas davantage modifier ou abroger une loi nationale ni forcer un État-membre à changer sa législation. En décider autrement serait attentatoire à la souveraineté des États et érigerait la Cour européenne en ultime degré de juridiction. Alors, que peut décider la Cour ? Son pouvoir est limité à l’allocation d’une « satisfaction équitable » laquelle prend la forme d’une somme d’argent que l’État doit verser au justiciable pour compenser la violation de ses droits fondamentaux. C’est ainsi que si la Cour européenne considère que la décision de condamnation rendue par la Chambre criminelle a violé les droits fondamentaux de Nicolas Sarkozy (son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention ou encore son droit au respect de la vie privée tel que garanti par l’article 8), ce dernier pourra obtenir une condamnation de la France à l’indemniser.

Au-delà de la portée inter partes de la décision, on ne saurait nier la portée symbolique d’une condamnation d’un État-membre avec la stigmatisation que cela entraîne. L’État condamné peut ainsi être incité à modifier son droit afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour et se prémunir de futures condamnations.

Quelles sont les conséquences internes d’une éventuelle condamnation par la Cour européenne ?

Depuis la loi du 15 juin 2000 (refondue sur ce point par la loi du 20 juin 2014), il est possible au requérant se prévalant d’une décision de condamnation de l’État français de demander un réexamen de l’affaire. Aux termes de l’article 622-1 du Code de procédure pénale, le réexamen peut être demandé « au bénéficie de toute personne reconnue coupable d’une infraction lorsqu’il résulte d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme que la condamnation a été prononcée en violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels ». Le réexamen porte soit sur la décision de condamnation au fond, soit sur la décision de rejet de pourvoi par la Cour de cassation. Des conditions sont posées : la violation doit avoir entraîné des conséquences dommageables qui n’ont pas pu être réparées par la satisfaction équitable accordée. En outre, la demande de réexamen doit être formulée dans un délai d’un an à compter de la décision rendu par la Cour européenne. Elle est alors examinée par la Cour de cassation réunie en qualité de « cour de révision et de réexamen ». La décision de cette juridiction est alors insusceptible de recours. Elle peut rejeter la demande ou annuler la condamnation.

Toutefois, dans le cas de Nicolas Sarkozy, cette possibilité de réexamen ne remettra pas en cause la peine prononcée. Et pour cause : sa peine est immédiatement exécutoire de sorte qu’il aura cessé de porter son bracelet électronique au jour de la décision de réexamen (à supposer qu’une telle décision soit rendue dans l’hypothèse d’une condamnation par la Cour européenne). Si la pleine exécution de la peine prononcée n’est pas de nature à conduire au rejet de la demande de réexamen, elle en amoindrit indéniablement la portée. Restent des intérêts multiples à une telle décision comme l’effacement du casier judiciaire (article 624-7 al. 6 c. proc. pén.). Nicolas Sarkozy pourrait également, en cas d’annulation de sa condamnation, demander la réparation intégrale du préjudice que cette condamnation lui a causé.