Par Sophie Paricard, Professeure à l’Institut National Universitaire d’Albi

Qu’est-ce que la loi Veil ?

La loi no 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse, dite loi « Veil » en ce qu’elle a été portée (avec beaucoup de courage et de détermination) par Simone Veil alors Ministre de la Santé, est une loi décisive dans l’histoire des femmes en ce qu’elle leur a permis d’interrompre légalement leur grossesse sous certaines conditions.

Elle est en effet venue suspendre l’application de l’article 317 du code pénal incriminant l’avortement lorsque certaines conditions posées par la loi sont réunies. L’interruption volontaire de grossesse est ainsi permise lorsqu’elle est pratiquée dans les dix premières semaines de la grossesse par un médecin dans un établissement hospitalier. Une clause de conscience est prévue à l’égard des médecins afin de leur permettre de ne pas pratiquer cette intervention médicale qui n’est alors qu’instrumentale.

Cette loi a eu pour objet de réaliser une sorte de compromis entre deux intérêts opposés : d’une part, le respect de la vie et, d’autre part, l’intérêt des femmes à pouvoir disposer librement de leur corps. C’est l’auteur même du projet de loi, Mme Veil, qui expose le mieux l’esprit de cette loi : « la philosophie de la nouvelle loi est toute empreinte de pragmatisme : l’avortement est un mal qu’il importe de combattre. Malheureusement c’est un mal largement répandu et la répression pratiquée jusqu’ici a eu pour effet de provoquer une extension alarmante des avortements clandestins. Une autre tactique doit donc être essayée, plus libérale, qui consiste à tolérer et à organiser une catégorie d’avortements désormais licite ».

Le grand apport de la loi Veil est d’avoir dépénalisé partiellement l’avortement. La femme peut désormais, dans les dix premières semaines, interrompre sa grossesse à l’aide d’un médecin dans un établissement de santé ce qui met fin à des siècles d’isolement des femmes et de violences pratiquées dans le cadre d’avortement clandestins qui pouvaient s’avérer fatales à leur égard. Les femmes ont ainsi pu bénéficier d’une plus grande maîtrise de leurs corps et de leur volonté de procréer.

Quelles ont été les modifications apportées à cette loi ?

Cette loi a connu beaucoup de modifications ultérieures qui s’inscrivent toutes dans la même volonté de faciliter l’accès à l’IVG.

L’évolution de la législation postérieure se traduit d’abord par une meilleure prise en charge financière de l’interruption légale de grossesse, ce qui est essentiel. En effet l’interruption volontaire de grossesse n’était initialement pas prise en charge par la Sécurité sociale. Aujourd’hui, les IVG sont prises en charge à 100 % par l’assurance-maladie et peuvent même bénéficier du tiers payant.

Les conditions même de l’IVG se sont aussi assouplies. La loi du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception a allongé le délai légal de 10 à 12 semaines, puis récemment à 14 semaines de grossesse (Loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement). Le délai de réflexion de 7 jours initialement imposé à la femme a été supprimé ainsi que l’entretien psycho-social. Enfin la notion de détresse purement symbolique mais utilisée dans la loi Veil à l’égard de la femme enceinte a disparu. C’est la femme qui décide seule d’interrompre sa grossesse sans qu’un quelconque jugement puisse être porté sur sa situation.

L’une des évolutions les plus importantes concerne d’ailleurs la femme mineure. Alors que la loi Veil n’autorisait l’interruption de sa grossesse qu’avec l’accord d’un de ses parents, elle peut désormais décider seule d’interrompre sa grossesse. 

La mise en œuvre de l’IVG a également été grandement facilitée. Les IVG peuvent désormais être pratiquées en dehors des établissements de santé et sous la forme médicamenteuse qui n’existait pas en 1975. La mise en œuvre de l’IVG est donc désormais très large : médicamenteuse ou instrumentale, en établissement de santé ou bien encore en consultation chez un professionnel de santé. La méthode médicamenteuse, autorisée depuis 2001, est la plus souple notamment en ce qu’elle peut même être pratiquée, depuis le covid, à domicile dans le cadre d’une téléconsultation avec un professionnel de santé. Cependant, l’IVG médicamenteuse ne peut être pratiquée que durant les sept premières semaines de grossesse, l’expulsion du fœtus étant plus difficile passé ce délai, et elle peut s’avérer difficile à vivre puisqu’elle est faite le plus souvent dans une certaine solitude.  Le choix entre les deux méthodes reste donc primordial pour les femmes.

De même, alors que seul un médecin pouvait réaliser des IVG dans le cadre de la loi Veil, les sages-femmes ont été largement associées à la réalisation des IVG. Autorisées à pratiquer depuis longtemps des IVG médicamenteuses, elles peuvent depuis une loi récente pratiquer également des IVG instrumentales. Cette ouverture à ces professionnelles de santé s’explique notamment par le manque de médecins acceptant de pratiquer des IVG.

Même la clause de conscience des médecins a évolué, les médecins étant désormais obligés de « communiquer rapidement le nom des praticiens susceptibles de réaliser cette intervention ».

L’IVG de 2024 n’est donc plus celle de 1975 : plus souple dans ses conditions, plus variée dans sa mise en œuvre et très bien prise en charge, elle est incontestablement plus facile pour les femmes qu’en 1975. Elle fait même l’objet d’une protection pénale par le biais de deux infractions, un délit d’entrave matériel qui vient réprimer toute entrave matérielle à l’IVG et un délit d’entrave numérique qui vient réprimer notamment toute désinformation à son égard. L’IVG n’est donc plus simplement tolérée comme en 1975, elle s’est incontestablement « normalisée » pour reprendre l’expression du Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes.

Quel est l’impact de la constitutionnalisation de l’IVG ?

La loi constitutionnelle du 8 mars 2024 réalise une avancée symbolique majeure en ajoutant dans l’article 34 de la Constitution que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Cette inscription de l’IVG dans la Constitution participe incontestablement à consolider l’importance que revêt cette liberté pour les femmes dans notre société démocratique, ce qui est essentiel au regard des régressions que connaissent d’autres pays et notamment les Etats-Unis. Cette constitutionnalisation est d’ailleurs une réaction à l’arrêt Dobbs rendu par la Cour suprême des Etats-Unis en juin 2022 ayant autorisé les États à pouvoir restreindre ou interdire l’accès à l’IVG. 

Cependant l’impact juridique est plus mesuré. Cette constitutionnalisation n’est pas de nature à consacrer une clause de non-régression dans la mesure où il appartient toujours au législateur de garantir l’exercice de cette liberté et donc d’en déterminer les conditions d’exercice. Il pourrait éventuellement en réduire le délai par exemple. Le bouclier voulu à travers l’affirmation de cette constitutionnalisation garantirait tout de même à travers la notion de « liberté » l’autonomie de la femme dans sa prise de décision. C’est sans conteste l’esprit de la loi Veil qui est ainsi constitutionnalisé puisque Simone Veil déclarait déjà en 1974 lorsqu’elle présentait son projet de loi à l’Assemblée Nationale que « le gouvernement a estimé préférable d’affronter la réalité et de reconnaître qu’en définitive la décision ultime ne peut être prise que par la femme ». Mais le doute persiste sur les autres acquis de notre législation (prise en charge, délai, choix de la méthode…)

Cette constitutionnalisation ne doit d’ailleurs pas faire oublier que l’accès à l’IVG en France « demeure fragile et inégal » selon le dernier rapport rendu par le Sénat en octobre 2024.