Le contrôle coercitif dans les violences intrafamiliales, une affaire de qualification !
La proposition de loi n° 669 du 3 décembre 2024 vise à introduire la définition du contrôle coercitif dans le Code pénal. Elle s’inscrit dans une filiation assumée avec les arrêts de la cour d’appel de Poitiers du 31 janvier 2024 ayant, pour la première fois, introduit la notion de contrôle coercitif dans la jurisprudence.
Par Yvonne Muller, Professeure de droit pénal, Université Paris Nanterre
Des qualifications dans les violences intrafamiliales
Identifier, nommer, qualifier les violences conjugales, c’est concrètement sortir les faits de la sphère familiale intime et privée et les faire exister en tant que telles en droit. L’intrusion du droit pénal dans l’ordre domestique ne s’est faite que progressivement et pendant longtemps, les faits ont été réduits à des conflits conjugaux. Le droit pénal ne se mobilise pleinement qu’au début des années 2000 dans le cadre de ce qui doit être, principalement, une lutte contre les violences faites aux femmes. Les faits, appréciés plus largement, conduisent à de nouvelles qualifications et aggravations pénales : la circonstance aggravante de viol conjugal (2006), les violences psychologiques et le harcèlement conjugal (2010), plus récemment le suicide forcé (2020). C’est dans ce contexte d’intense production législative que la proposition de loi du 3 décembre 2024 entend consacrer, dans le Code pénal, la définition du contrôle coercitif, nouvelle forme de violence conjugale.
De l’introduction de la définition du contrôle coercitif dans le Code pénal…
Présentée par plus d’une centaine de députés et portée par la députée Aurore Bergé, la proposition de loi comprend trois articles dont l’intérêt est justifié dans un court exposé des motifs. L’article 3, qui seul nous intéresse ici, est présenté comme faisant entrer la définition du contrôle coercitif dans le Code pénal. A l’appui de la proposition est opportunément cité le sociologue américain E. Starck dont on rappellera toutefois qu’il n’a pas « théorisé » mais simplement diffusé la notion par la publication d’un ouvrage en 2007. De même sont cités quelques-uns des pays ayant incriminé le contrôle coercitif dont le Canada. Soulignons pour celui-ci que l’incrimination de la notion fait, pour l’instant, l’objet d’un projet de loi arrivé en 2ème lecture au Sénat. Enfin l’exposé des motifs mentionne les cinq arrêts historiques rendus par la Cour d’appel de Poitiers le 31 janvier 2024 qui ont, pour la première fois, introduit la notion de contrôle coercitif dans la jurisprudence pénale. La proposition de loi s’inscrit directement dans leur filiation.
…à la critique de la définition proposée du contrôle coercitif
L’article 3 de la proposition de loi inscrit la définition du contrôle coercitif à l’article 222-14-3 du Code pénal lequel dispose que « Les violences (…) sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques ». L’article est complété par un alinéa destiné à accueillir la définition du contrôle coercitif entendu comme « Les manœuvres délibérées et répétées de déstabilisation psychologique, sociale et physique ayant pour effet de diminuer la capacité d’action de la victime et de générer un état de vulnérabilité ou de sujétion », étant précisées que ces manœuvres « constituent des violences psychologiques ». Cette définition est directement recopiée d’un paragraphe répété à l’identique dans les cinq arrêts de la cour d’appel de Poitiers. Les auteurs de la proposition de loi se saisissent ainsi du concept psychosocial de contrôle coercitif défini dans les arrêts pour en faire la définition d’une forme spécifique de violence psychologique dont la sanction dépendra, comme pour toutes violences, de la gravité du dommage subi par la victime, avec ici la circonstance aggravante du lien conjugal (lato sensu) actuel ou passé.
S’il faut saluer l’initiative, la définition proposée nous paraît critiquable en ce que :
-Elle réduit le contrôle coercitif à des violences psychologiques. Or, la jurisprudence définit largement ces dernières et pourrait rendre inutile l’ajout législatif. Ainsi, les violences psychologiques peuvent être répétées et englober une variété de faits comme des gifles, heurts, crachats, insultes entraînant une perturbation psychique ou une emprise psychologique de la victime. Dans un arrêt récent de la chambre criminelle (crim. 15 mai 2024, n° 23-83439), le prévenu est condamné pour violences psychologiques répétées à l’encontre de son ex concubine pour l’avoir (entre autres) menacée et surveillée, sans la laisser libre de ses mouvements.
-Elle est proche de la définition du harcèlement conjugal (lequel exige une répétition des faits ainsi qu’une dégradation des conditions de vie avec altération de la santé de la victime, C. pénal, art. 222-33-2-1) dont il pourrait être, selon les cas d’espèce, difficile de la distinguer.
-Surtout seule une incrimination autonome de contrôle coercitif englobant toutes violences – sexuelles, physiques, psychiques, économiques et/ou administratives- permettrait de prendre en compte, au-delà des matérialités distinctes, l’intention unique de l’auteur de contrôler et soumettre la victime. La réponse pénale serait plus adaptée qui prendrait en compte la gravité des faits replacés dans une même stratégie. A défaut, le droit pénal continuera de se saisir d’une pluralité de faits justifiant un cumul de qualifications, au risque d’ignorer le schéma global de coercition mis en place par l’auteur ayant pour conséquence la privation des libertés et droits fondamentaux de la victime.
Et demain… ? Les lois gagnent à avoir été pensées, écrivait Guy Carcassonne. Faisons confiance au mouvement législatif en cours et gageons que la présente proposition de loi s’ajoutera à celles en préparation, l’une portée par une députée (groupe socialistes et apparentés), l’autre par une sénatrice (groupe Union centriste), pour aboutir à un texte transpartisan qui permettra d’introduire avec rigueur et efficacité la notion de contrôle coercitif dans le droit français.