Par Yvonne Muller, Professeure de droit à l’Université Paris-Nanterre

Les arrêts, rendus en matière de violences conjugales commises dans le cadre d’un mariage ou d’un concubinage, actuel ou passé, ont sanctionné, selon les cas d’espèces, les infractions de violences, de violences en présence d’un mineur, de violences habituelles, de menaces de mort et de harcèlement conjugal. Sont prononcées des peines d’emprisonnement fermes, assorties ou non de sursis probatoire ou sursis simple, ainsi que deux retraits d’autorité parentale.,

Les cinq arrêts de la Cour d’appel de Poitiers, sont symboliquement forts et juridiquement singuliers en ce qu’ils consacrent la notion de contrôle coercitif comme le schéma des violences conjugales caractérisées dans les cas d’espèce. Ainsi, dans chacun des arrêts, la Cour d’appel précise analyser « l’ensemble de ces faits comme la mise en place d’un contrôle coercitif sur la personne de Madame dans lequel le délit reproché se contextualise ». Or, si la notion est érigée en infraction dans plusieurs pays de droit anglo-saxon (Angleterre, Pays de Galles, Irlande, Écosse, Australie), et légalement définie dans d’autres (en Belgique depuis une loi du 13 juillet 2023), elle n’est pas consacrée en droit français, tout en étant au cœur des débats. Nul doute que la prise en compte, par la Cour d’appel de Poitiers, du schéma de contrôle coercitif dans les cinq espèces soumises, porte le débat sociétal et doctrinal vers, ce que la Présidente de la Cour d’appel de Poitiers, appelle dans son article de 2022, la « conversation des juges ».

Des arrêts symboliquement forts

Dans les cinq arrêts, la Cour d’appel souligne que les faits s’inscrivent « dans un mécanisme historique et collectif d’inégalités structurelles entre les femmes et les hommes et leurs manifestations dans le couple et la famille ». Les violences faites aux femmes, ajoute la Cour, « s’adossent à un système de pensée, de représentation qui encadrent les conduites humaines, masculines comme féminines. D’où l’affirmation selon laquelle la violence intrafamiliale est une « forme de violence sociale » avec, pour principe, « la domination » de l’un des conjoints sur l’autre.

Dans les cinq arrêts, la Cour d’appel affirme que le contrôle coercitif est « une atteinte aux droits humains en ce qu’il empêche la victime de jouir de ses droits fondamentaux », comme la liberté d’aller et venir, de s’exprimer, de penser, d’entretenir des liens familiaux ou encore la liberté d’entretenir des liens personnes, professionnels et sociaux.  Ainsi pour la première fois, une décision judiciaire traduit, dans le domaine des violences conjugales, l’évolution du couple conjugal (mariés, concubins ou pacsés), lequel n’est plus encastré dans la dimension institutionnelle de la famille – traditionnellement hiérarchique, intime et privée – mais comme une forme nouvelle et multiple de conjugalité au sein de laquelle domine un ordre public individuel. Dès lors les violences conjugales ne sont plus traitées sous l’angle de la protection de la famille mais, faisant écho aux Conventions internationales de l’ONU et européennes (v. Convention d’Istanbul de 2011), sous celui de l’atteinte aux droits fondamentaux des victimes.

Des arrêts juridiquement singuliers

Dans les cinq arrêts, la Cour d’appel prend soin d’identifier ce qu’elle appelle « les outils de contrôle coercitif », lesquels permettent de dégager une définition de la notion qui fait écho à celle proposée en doctrine (v. notre article, en corédaction, AJ pénal mai 2022). La Cour relève ainsi que « les agissements…  (de l’auteur) sont divers et cumulés » et que, « pris isolément, ils peuvent être relativisés. Identifiés, listés et mis en cohérence, ils forment un ensemble ».  C’est précisément là l’intérêt du contrôle coercitif que de réunir, sous une même notion, un ensemble d’actes tendus vers le même objectif de contrôle et d’assujettissement de la victime et qui, sans cette notion commune, seraient traités de manière isolée, voire seraient ignorés. Dès lors qu’est identifié un schéma de contrôle coercitif, les violences conjugales révèlent, selon la Cour d’appel, « la relation d’obéissance et soumission » de la victime à l’auteur, lequel « s’érige en maitre » du domicile, de la maison et/ou du fonctionnement familial.

Pour autant, et parce que le contrôle coercitif est un schéma de violence, sans être encore une qualification pénale, les cinq arrêts prennent soin de caractériser en tous leurs éléments les infractions réalisées, celles-ci étant différentes selon les cas d’espèce. Elle replace ensuite chacune des infractions dans le contexte plus global de contrôle coercitif dans lequel elle s’inscrit. Pour reprendre les termes de la Cour d’appel, celle-ci constate que l’ensemble des faits s’analyse comme « la mise en place d’un contrôle coercitif » dans lequel l’infraction caractérisée « se contextualise ».  Se combinent ainsi rigueur (de la légalité pénale) et évolution (de la famille).

Vers la conversation des juges

La conversation des juges implique, pour paraphraser la Présidente de la Cour d’appel, une progression dans les idées. Il est ici question de la prééminence des valeurs portées par une jurisprudence attentive aux évolutions de la société. Concrètement, le passage de l’institution familiale à un droit commun du couple oblige à inclure le nouveau paradigme de la protection des droits humains dans la lutte contre les violences conjugales, sans oublier la protection des enfants qui en sont les témoins et victimes.

La construction des cinq arrêts autour de la notion de contrôle coercitif, avec la répétition de paragraphes visant à expliquer la notion, n’enlève donc pas à chacun des arrêts, sa singularité, dans le respect du principe de la légalité pénale. Et l’on relèvera que si le quantum des peines a souvent été aggravé en appel compte tenu de la gravité des faits, de la personnalité et/ou de la situation du prévenu, la Cour a également confirmé, dans l’une des décisions, la peine d’emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel. De même, la prise en compte d’un schéma de violence, et non pas de faits séparés de violence, explique sans doute le retrait de l’autorité parentale conçu à la fois comme une sanction et une mesure de protection de l’enfant dans deux des arrêts, la Cour jugeant, dans l’un d’eux, que les actes de l’auteur « font douter de sa capacité à investir les fonctions éducatives ». Pour autant, la Cour confirme, dans l‘un des autres arrêts, la décision du tribunal disant n’y avoir lieu au retrait de l’autorité parentale.

Ces arrêts, par leur pertinence sur le fond et la qualité de leur rédaction, marquent un tournant dans la réponse judiciaire aux violences conjugales.