Par Nathalie Peterka et Claudia Ghica-Lemarchand, professeures à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC, Paris 12)

L’enfant à naître est-il doté de la personnalité juridique ?

En droit français, la personnalité juridique s’acquiert par la naissance. L’enfant à naître n’est donc pas une personne. Pour autant, il ne saurait être réduit à une chose. Le CCNE le qualifie de « personne potentielle », tout en précisant qu’« il ne peut en aucun cas être considéré comme un déchet » (Avis CCNE, n° 89, 22 sept. 2005). C’est dire qu’il défie la summa divisio des personnes et des choses. La naissance désigne l’enfant qui naît vivant et viable. Le droit français refuse la personnalité juridique à l’enfant né sans ces qualités. La viabilité repose sur des critères de nature médicale et biologique. Son appréciation emporte des conséquences cruciales, ce qui confère un rôle considérable au médecin.

En droit pénal, si l’application de la qualification d’homicide involontaire à l’enfant à naître était autrefois admise (Cass. crim., 19 août 1997, n° 96-82.648), elle est aujourd’hui exclue au motif que l’article 221-6 c. pén. définit cet homicide comme une faute non-intentionnelle ayant causé le décès « d’autrui » (Cass. crim. 30 juin 1999, Bull. crim. n° 174). La rigueur terminologique exige que cette question soit envisagée sous l’angle de l’homicide involontaire de l’enfant à naître, c’est-à-dire en la restreignant à l’enfant qui a dépassé le seuil de viabilité ayant, dès lors, la capacité d’acquérir une autonomie et la personnalité juridique, sans extension à l’embryon ou au fœtus en général. Confirmé par l’Assemblée plénière (29 juin 2001, n° 99-85.973), le refus se fonde sur « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale ». La Cour de cassation considère que la décision d’étendre l’incrimination à l’enfant à naître ne relève pas d’une simple application jurisprudentielle mais d’une direction de politique pénale qui doit être assumée par le législateur. Il semble qu’elle soit rejointe dans cette analyse par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, Gde Ch., 8 juin 2004, Vo c/ F), laquelle retient que « le point de départ du droit à la vie relève de la marge d’appréciation des Etats » et souligne que les décisions de la Cour de cassation doivent être interprétées « comme une invitation faite au législateur à combler un vide juridique ».  

Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence française soulève plusieurs questions. L’invocation de l’interprétation stricte de la loi pénale, indiscutable sur le plan des principes, exclut l’enfant à naître puisque, n’étant pas une personne, il ne saurait être « autrui » protégé par l’article 221-6. Mais, ce faisant, la Cour de cassation ajoute au texte une exigence qui ne correspond ni à l’analyse comparative des incriminations, ni à l’application de ce terme par d’autres infractions s’y référant. Les craintes exprimées par certaines associations, assimilant l’enfant à naître au fœtus, de voir remise en cause l’interruption volontaire de grossesse, peinent à convaincre car, dans les situations évoquées, l’interruption de grossesse est subie par une femme voulant la continuer (elle n’est pas volontaire) et porte sur un enfant viable (ayant dépassé les 24 semaines), alors que l’I.V.G., en vertu d’une liberté constitutionnellement garantie, ne s’y superpose pas (temps, motifs). Surtout, la chambre criminelle applique une seule des deux conditions d’acquisition de la personnalité juridique à la naissance – être né vivant – occultant la viabilité et produisant une distorsion dans l’application de l’article 221-6. Si l’homicide involontaire est exclu lorsque l’enfant est mort-né (Cass. crim. 27 juin 2006, n° 05-83.767), il est admis dans le cas de l’enfant né vivant et décédé une heure après sa naissance des suites des lésions vitales irréversibles infligées lors de l’accident subi par sa mère (Cass. crim 2 décembre 2003, n° 03-82.344). Si cette différence est justifiée du point de vue de la légalité pénale, puisque la qualification pénale des atteintes involontaires repose sur la gravité du dommage subi, sa légitimité interroge car le droit pénal punit la faute commise. Or, cette dernière est, par hypothèse, commise avant la naissance. De la même manière, lorsque la faute du prévenu a causé à l’enfant à naître des lésions irréversibles dont les séquelles ont été constatées après la naissance, la Cour de cassation approuve la qualification de « délit de coups et blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois » (Cass. crim. 2 octobre 2007, n° 07-81.259).

En droit civil, l’enfant conçu est réputé né toutes les fois qu’il y va de son intérêt, s’il naît vivant et viable. Ce que traduit la maxime « Infans conceptus… ». Celle-ci permet à l’enfant conçu de recueillir une succession ou un legs ouvert ou une donation consentie avant sa naissance (C. civ., art. 725, al. 1er et 906). La maxime fonde également la reconnaissance prénatale qui permet aux parents ou à l’un d’entre eux de reconnaître l’enfant avant l’accouchement de la mère. La loi de bioéthique du 2 août 2021 a franchi un pas supplémentaire, en imposant dans le cadre de l’AMP effectuée sein d’un couple de femmes, une reconnaissance conjointe anticipée préalable à la conception de l’enfant.

Vers un statut de l’enfant mort-né ?

L’enfant mort-né a été pendant longtemps ignoré par le droit. Il a été peu à peu pris en compte afin de tenir compte de la douleur des parents. La loi a permis, dans un premier temps, l’établissement d’un double acte d’état civil (de naissance et de décès) si l’enfant mort avant sa reconnaissance était né vivant et viable. Elle a autorisé ensuite, indépendamment de ces critères, l’inscription de l’enfant mort-né à l’état civil, au moyen d’un « acte d’enfant sans vie » dressé au vu d’un certificat d’accouchement. Ce dernier est défini comme « le recueil d’un corps formé – y compris congénitalement malformé – et sexué, quand bien même le processus de maturation demeure inachevé et à l’’exclusion des masses tissulaires sans aspect morphologique ». Ce qui exclut les IVG et les fausses couches intervenant au cours du premier trimestre de grossesse (Circ. interministérielle DGCL/DACS/DHOS/DGS, 19 juin 2009). Depuis 2021, les parents sont autorisés à faire figurer sur cet acte le ou les prénoms de l’enfant ainsi que son nom de famille (C. civ., art. 79‑1, al. 2). Cette inscription n’emporte aucune conséquence juridique. L’enfant n’acquiert pas la personnalité juridique et sa filiation n’est pas établie. L’acte ne préjuge pas du point de savoir s’il a survécu ou non. Tout intéressé peut néanmoins saisir le tribunal judiciaire afin qu’il soit statué sur cette question.

L’enfant à naître est-il protégé par le droit ?

Cette protection existe, mais elle n’est pas absolue. Le droit français encadre le recours à l’IVG ainsi que la destruction et les recherches sur l’embryon que la loi et la jurisprudence européenne ne considèrent ni comme une personne ni comme une chose (CJUE, gde ch., n° C 34/10, 18 oct. 2011). Le Code de la santé publique permet, toutefois, la destruction d’embryons surgelés ayant plus de cinq ans d’existence (CSP, art. L. 2141-4). La destruction fautive d’embryons in vitro par un établissement médical ne constitue un préjudice réparable que s’ils étaient destinés à une AMP (CAA Douai, 6 déc. 2005, 2ème ch., Formation A3, n° 04DA00376). La loi bioéthique de 2021 a assoupli les recherches sur l’embryon. Celles-ci sont désormais subordonnées, non plus à une finalité médicale, mais à l’amélioration de la connaissance de la biologie humaine. Ces dispositions ont été jugées conformes à la Constitution au motif qu’elles permettent des recherches ne présentant pas un intérêt médical immédiat, sans déroger à l’interdiction des pratiques eugéniques et au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine. Il en a été de même de la substitution à l’interdiction de la création d’embryons transgéniques ou chimériques de celle de modifier un embryon humain par l’adjonction de cellules provenant d’autres espèces (Cons. const., 29 juill. 2021, n° 2021-821 DC).

Enfin, la protection de l’enfant à naître soulève la question du diagnostic pré-implantatoire (DPI) où le risque de dérives eugénistes est particulièrement à redouter. Ce diagnostic n’est possible que dans des conditions strictes. La possibilité – un temps envisagée – de recourir à titre expérimental au DPI-A, c’est-à-dire à la recherche d’une anomalie chromosomique de l’embryon avant implantation, dans le cadre d’une AMP, a été rejetée lors de l’adoption de la dernière loi bioéthique. La crainte de la recherche de l’enfant parfait l’a ici emporté.