Affaire Palmade : l’humoriste jugé pour « blessures involontaires »
Largement médiatisée, en raison de la personnalité du suspect et de la nature des faits, l’affaire dite « Palmade » est audiencée le 20 novembre 2024. Ce fait divers remet en évidence la dangerosité du comportement consistant à conduire un véhicule sous l’emprise de stupéfiants et certaines interrogations relatives au statut du fœtus, dont la « mort » n’est pas constitutive du délit d’homicide involontaire.
Par Jean-Baptiste Perrier, Professeur à Aix-Marseille Université, Président de l’Association française de droit pénal
Quelles sont les peines encourues pour un accident de la circulation provoqué par un auteur ayant fait usage de stupéfiants ?
Il convient avant tout de rappeler que l’alcool et la drogue sont les premières causes d’accidents de la circulation, en particulier pour les accidents mortels (ils se retrouvent respectivement dans 30 % et 21 % des accidents mortels). Pour lutter contre ces comportements, le législateur a prévu des peines lourdes, pour dissuader, ou à défaut, pour sanctionner.
Lorsque les faits sont accidentels, c’est-à-dire non-intentionnels, deux qualifications trouvent à s’appliquer : les blessures involontaires, si l’accident n’a pas causé le décès d’une victime, ou l’homicide involontaire, si l’une des victimes (ou plusieurs) est décédée des suites de l’accident. Dans un cas comme dans l’autre, le fait que les blessures ou l’homicide aient été causés par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur est à lui seul une circonstance aggravante. Pour les blessures involontaires ayant causé une ITT supérieure à trois mois, les peines sont portées à 3 ans d’emprisonnement (et non 2 ans) et 45 000 euros d’amende (art. 221-19-1 du code pénal). De même, pour l’homicide involontaire, les peines sont portées à 5 ans d’emprisonnement (et non 3 ans) et 75 000 euros d’amende (art. 221-6-1 du code pénal).
À cette première circonstance aggravante, d’autres peuvent s’ajouter, notamment la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, l’état d’ivresse manifeste de l’auteur de l’accident ou encore l’usage de stupéfiants. Lorsque le décès résulte d’un accident de la circulation commis avec l’une de ces circonstances, les peines sont portées à 7 ans d’emprisonnement, voire à 10 ans lorsque deux de ces circonstances se retrouvent (s’agissant des débats sur la qualification d’« homicide routier », ces peines seraient conservées ; Une nouvelle qualification pénale : l’homicide routier, par Yves Mayaud). De même, lorsque les blessures résultent d’un accident commis avec l’une de ces circonstances aggravantes, les peines sont portées à 5 ans d’emprisonnement, voire 7 ans si deux de ces circonstances se cumulent.
À ces circonstances aggravantes « réelles », peuvent encore s’ajouter des circonstances aggravantes « personnelles », notamment l’état de récidive qui conduit à doubler la peine encourue. Tout ceci explique pourquoi, pour des faits de blessures involontaires ayant causé une ITT supérieure à 3 mois, à l’occasion d’un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur, avec deux circonstances aggravantes, dont l’usage de stupéfiants, et en état de récidive, Pierre Palmade encourt une peine de 14 ans d’emprisonnement et 200 000 euros d’amende.
Pourquoi la qualification d’homicide involontaire n’a pas été retenue dans l’affaire Palmade, alors que l’une des victimes de l’accident a perdu l’enfant qu’elle attendait ?
La question est délicate, car elle renvoie au statut de l’embryon ou du fœtus (pour certains à la détermination du « commencement de la vie »), mais elle a fait l’objet d’une position claire de la Cour de cassation, régulièrement rappelée à l’occasion d’accidents de la circulation ou d’accidents médicaux. Selon les juges, qui appliquent ici les termes de l’article 221-6 du Code pénal, l’homicide involontaire suppose de causer la mort d’ « autrui » ; or, « autrui » ne peut désigner qu’une personne née et vivante, ce qui exclut le fœtus (Crim., 30 juin 1999, n° 97‑82.351 ; Ass. plénière, 29 juin 2001, n° 99‑85.973). En d’autres termes, seules les personnes nées et vivantes peuvent être, selon les termes du Code pénal, victimes d’un homicide involontaire, qu’il soit le résultat d’un accident de la circulation ou de tout autre cause. Cette solution a été souvent critiquée, y compris devant la Cour européenne des droits de l’homme (sans succès, v. CEDH, 8 juillet 2004, Vo c/ France), mais elle demeure applicable et elle se fonde sur la rédaction des textes et le principe d’interprétation stricte. Il convient toutefois d’apporter deux précisions. D’une part, si le fœtus subit des lésions in utero, en raison de l’accident, et que malgré ces lésions, il naît vivant, il devient « autrui » du fait de sa naissance et peut être considéré comme victime de blessures involontaires, voire d’homicide involontaire, s’il décède quelque temps plus tard et que le décès résulte bien de l’accident. D’autre part, même dans l’hypothèse où le fœtus meurt in utero, si l’état du droit ne permet pas de qualifier ce fait d’homicide involontaire, le juge peut en tenir compte dans le choix de la peine et de son quantum pour les blessures infligées à la mère, la peine étant fixée en tenant compte des « circonstances » de l’infraction (art. 132-1 du Code pénal).
Serait-il possible de faire évoluer le droit pour punir l’auteur d’un accident qui aurait provoqué l’interruption d’une grossesse ?
L’évolution de la définition de l’infraction d’homicide involontaire pour appréhender la « mort » du fœtus soulèverait certaines difficultés. Certains considèrent, selon nous à tort, qu’une telle évolution pourrait remettre en cause le droit à l’avortement, en conférant le statut de personne au fœtus. D’autres observent, à plus juste titre, qu’une telle évolution supposerait de déterminer si toute interruption de grossesse provoquée par un accident – qu’il soit médical ou de la circulation – est susceptible de constituer un homicide involontaire ou s’il faut fixer des seuils, et si oui lesquels (nombre de semaines de grossesse, développement du fœtus etc. Voir sur ce point la proposition de loi déposée fin 2023 visant à étendre la qualification d’homicide aux violences ou négligences ayant causé le décès in utero d’un fœtus viable, qui fixe des critères qui peuvent être discutés).
Face à ces questionnements, l’évolution de la définition de l’homicide involontaire ne paraît pas être une solution opportune. D’autres propositions avaient et ont été avancées, notamment celle visant à incriminer l’interruption involontaire de grossesse causée par un accident de la circulation. Formulée à l’occasion d’une première proposition de loi déposée en 2003, puis d’une autre en 2023 (dans le cadre d’un texte sur la protection pénale de la femme enceinte), cette infraction permettrait d’appréhender l’accident qui provoque l’interruption d’une grossesse, sans intention de la part de l’auteur ; cette infraction pourrait permettre d’appréhender ce comportement, en l’incriminant comme tel et sans dénaturer la définition de l’homicide involontaire. Pour autant, et alors que l’auteur de l’affaire jugée le 20 novembre encourt, en l’état des textes applicables, une peine de 14 ans d’emprisonnement, c’est-à-dire une peine importante, la question peut se poser de savoir s’il est nécessaire d’emprunter cette voie, pour répondre à l’émotion légitime suscitée par ce qui reste un fait « divers », aussi triste soit-il.
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