Mort d’Antoine Alleno : Vers la création d’un délit d’homicide routier ?
Le Tribunal correctionnel de Paris a condamné, jeudi 28 novembre, le chauffard accusé d’avoir tué Antoine Alléno à sept ans de prison. Ce drame avait relancé le débat autour de la création d'un délit d'homicide routier.
Didier Rebut, Directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris, Membre du Club des juristes, expose les arguments en faveur de cette création et le contenu de la proposition de loi en cours d’adoption devant le Parlement. Didier Rebut est membre du Comité des sages de l’Association Antoine Alleno.
L’Association Antoine Alleno
Le drame de la mort d’Antoine Alleno a conduit Yannick Alleno à fonder avec ses proches l’Association Antoine Alleno qui agit pour prévenir les actes de violences routières et venir en aide aux victimes ainsi qu’à leur famille. L’Association Antoine Alleno est engagée en faveur de la création d’un délit d’homicide routier qui remplace la qualification d’homicide involontaire appliquée actuellement aux automobilistes ayant tué autrui, alors qu’ils conduisaient dans un état alcoolique ou sous l’effet de stupéfiants.
Qu’est-ce que l’homicide routier ?
L’homicide routier est l’appellation donnée aux homicides causés dans le cadre d’un accident de route quand son auteur était dans un état alcoolique ou sous l’effet de stupéfiants. Il s’agit de souligner par cette appellation la particularité criminologique de cet homicide qui ne correspond pas à la qualification d’homicide involontaire qui lui est actuellement appliquée en droit pénal français.
En effet, l’homicide causé par un automobiliste ayant absorbé de l’alcool ou des stupéfiants a une composante délibérée qui réside précisément dans cette absorption et dans la conscience qu’a nécessairement cet automobiliste que sa conduite sera, du fait de cette absorption, éminemment dangereuse pour autrui. Cette composante délibérée antérieure à l’accident distingue résolument cet homicide de celui qui est causé par une imprudence ou même par la violation d’une règle de sécurité routière, lesquelles interviennent, par hypothèse, au moment de l’accident. La notion d’homicide routier vise donc à restituer la particularité de l’homicide causé sous l’empire de l’alcool ou de l’effet des stupéfiants qui n’est pas assimilable à un homicide involontaire au sens où son auteur, s’il n’a certes pas voulu causer la mort d’autrui, a absorbé volontairement des substances incompatibles avec la conduite d’un véhicule et a, nonobstant la conscience nécessaire de cette incompatibilité, pris le volant d’un véhicule exposant autrui, en connaissance de cause et de ce seul fait, à un risque mortel dont il est incapable d’avoir la maîtrise.
Il s’agit par la notion d’homicide routier d’extraire les homicides qui présentent ces caractères de la catégorie des homicides involontaires dans laquelle ils sont actuellement rangés et jugés parce qu’ils n’ont pas la nature d’un homicide involontaire même si -cela n’est pas remis en cause bien sûr- ils ne constituent pas des homicides volontaires. C’est, en quelque sorte, une catégorie intermédiaire entre l’homicide involontaire stricto sensu et l’homicide volontaire. Cette catégorie intermédiaire s’applique à des faits ayant un caractère délibéré commis antérieurement à l’homicide causé qui sont en eux-mêmes créateurs d’un risque mortel pour autrui et alors que ce risque échappe à la maîtrise de son auteur. Dans cette hypothèse, la qualification d’homicide d’involontaire n’est pas juste, parce que l’homicide causé résulte d’une suite d’actes délibérés de son auteur dont la nature est d’être dangereuse pour la vie d’autrui.
La notion s’applique aussi au cas où l’automobiliste conduisant sous l’empire d’un état alcoolique ou ayant fait usage de stupéfiants n’a pas causé la mort mais a blessé autrui. Son appellation est celle de blessures routières du fait même qu’il n’y a pas eu mort de la victime. Mais elle présente les mêmes particularités que celles de l’homicide routier à laquelle elle est parfaitement assimilable. C’est pourquoi la réclamation en faveur de la création d’un délit d’homicide routier se double de celle de la création conjointe d’un délit de blessures routières applicables au cas où la victime a été blessée.
Il convient d’ajouter que la notion d’homicide routier répond à une demande très forte des proches des victimes d’homicides causés dans ces circonstances qui contestent que le décès subi par ces victimes soit qualifié d’homicide involontaire, alors qu’il résulte d’actes délibérés qui portaient en eux-mêmes leur conséquence mortelle. Cette demande est portée par l’Association Antoine Alleno depuis sa création, laquelle s’est faite la porte-parole des très nombreux témoignages qui la partagent. Cette action de l’Association Antoine Alleno en faveur de la création d’un délit d’homicide routier est directement à l’origine de la proposition de la loi sur la création d’un homicide routier qui a été déposée à l’Assemblée nationale en octobre 2023.
Quel est le contenu de la proposition de loi sur l’homicide routier ?
La proposition de loi prévoit la création des nouvelles qualifications pénales d’homicides et de blessures routiers. Ces qualifications seraient prévues dans des sections nouvelles qui seraient séparées des sections définissant les infractions d’homicides involontaires et d’atteintes involontaires à l’intégrité physique. Cette séparation vise à mettre fin à l’assimilation de l’homicide et des blessures routiers à un cas d’homicide involontaire même aggravé. Elle consacre la nature criminologique particulière de l’homicide et des blessures routiers qui est le fondement de la demande de création de ces qualifications. La catégorie des homicides et blessures routiers trouveraient ainsi place entre les homicides volontaires et les homicides involontaires.
Les délits d’homicide et de blessures routiers créés par la proposition de loi ne s’appliquent pas seulement aux automobilistes ayant tué ou blessé autrui alors qu’ils ont agi sous l’empire d’un état alcoolique ou en ayant volontairement consommé des stupéfiants. Elle applique aussi ces qualifications à la violation de certaines règles de sécurité routière comme la conduite sans permis, le dépassement de la vitesse autorisée de plus de 30 km/h, l’usage d’un téléphone portable tenu en main ou le port d’une oreillette, la fuite après un accident ou le refus d’obtempérer à une sommation de s’arrêter.
Les nouvelles qualifications pénales d’homicide et blessures routiers de la proposition de la loi débordent donc les seuls cas de conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou de consommation volontaire de stupéfiants pour intégrer des violations de règles de sécurité routière. Cette intégration a été justifiée par la dangerosité et la nature délibérée de ces violations qui les assimileraient à la conduite sous l’emprise de l’alcool ou des stupéfiants. Ces violations ont assurément une gravité qui justifie qu’elles soient distinguées. On peut cependant regretter qu’elles soient assimilées aux homicides et blessures routiers causés sous l’empire d’un état alcoolique ou après consommation volontaire de stupéfiants. Comme cela a été dit, l’automobiliste alcoolisé ou sous l’effet de stupéfiants est dangereux pour autrui au moment où il commence sa conduite et est à cet instant même créateur d’un risque mortel pour autrui dont il n’a pas la maîtrise. Cela n’est pas le cas de l’automobiliste qui viole une règle de sécurité routière dont la dangerosité naît au moment de cette violation, laquelle intervient dans le cours sa conduite. Il y a de ce fait un mélange entre une situation liée à l’absorption de substances -dont les stupéfiants qui présentent assurément une spécificité compte-tenu de la banalisation de leur usage- et une situation liée à la violation des règles de sécurité routière, alors que ces situations ne sont pas de même nature.
La proposition de loi n’aggrave pas les peines actuellement applicables à un homicide ou à des blessures routiers causés sous l’empire d’un état alcoolique ou après consommation volontaire de stupéfiant, ce qui a parfois conduit à la dénoncer comme relevant de la communication politique. L’Association Antoine Alleno n’a pas davantage préconisé cette aggravation. Ces positions s’expliquent par le constat de la différence actuelle entre les peines prononcées et les peines encourues. Les statistiques montrent en effet que les auteurs d’homicides ou de blessures routiers sont condamnés à des peines bien en-deçà des maximums prévus par les qualifications qui leur sont actuellement applicables. Aussi n’y-a-t-il pas besoin d’aggraver ces peines mais de sensibiliser les autorités judiciaires à l’extrême gravité des actes en cause pour qu’elles réclament et prononcent des peines à sa mesure. L’idée est que la création de nouvelles qualifications d’homicide et de blessures routiers conduira nécessairement le juge à prononcer des peines plus sévères qu’actuellement parce que ces qualifications l’auront conduit à mettre en avant l’extrême gravité des actes condamnés.
Où en est la proposition de loi ?
La proposition de loi a été votée par les deux assemblées : le 31 janvier 2024 par l’Assemblée nationale et le 27 mars 2024 par le Sénat. Le texte voté au Sénat présentant des différences avec celui de l’Assemblée nationale, une deuxième lecture est donc nécessaire. L’Assemblée nationale a été initialement saisie de cette deuxième lecture le 28 mars 2024 mais celle-ci a été empêchée par la dissolution. La proposition a de nouveau été déposée à l’Assemblée nationale et un rapporteur -qui est l’un des auteurs de la proposition de loi- a été désigné le 22 octobre dernier.
La dissolution a donc ralenti le processus d’adoption de la proposition de loi mais cette adoption devrait intervenir car la proposition de loi rencontre un large consensus. Il faut rappeler qu’elle a initialement fait l’objet d’une présentation transpartisane puisqu’elle a été déposée par des députés de la majorité présidentielle et du groupe Les Républicains. Elle a de surcroît été adoptée à une très large majorité et sans aucune opposition, puisqu’elle n’a fait l’objet d’aucun vote contre. L’adoption au Sénat n’a pareillement pas suscité d’opposition. On peut donc escompter que la proposition sera adoptée dès lors qu’elle sera réintégrée à l’agenda parlementaire. La désignation récente d’un rapporteur à l’Assemblée nationale fait espérer que cette réintégration devrait intervenir prochainement.