Par Arnaud de Nanteuil, Professeur à l’Université Paris Est Créteil

Le président Trump peut-il augmenter librement les droits de douane de manière unilatérale comme annoncé ?

La réponse à cette question dépend essentiellement de l’existence ou non d’un accord de libre-échange entre les États-Unis et l’État vis-à-vis duquel les droits de douane sont augmentés. La situation peut varier car plusieurs États sont visés, ainsi que l’Union européenne. Mais, dans tous les cas, l’on peut affirmer sans difficulté le caractère illicite de cette augmentation unilatérale.

Un accord existe par exemple avec le Canada et avec le Mexique : l’accord États-Unis/Mexique/Canada qui a remplacé l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) en 2020 et prévoit l’application de droits de douane préférentiels entre les États parties. L’augmentation unilatérale des droits de douane constitue, sauf disposition particulière de l’accord, une violation de cet instrument pouvant ouvrir le droit d’engager certaines procédures sur son fondement.

En l’absence d’un tel accord – tel est le cas au moins avec l’Union européenne – c’est alors le « droit commun » du commerce international qui trouverait à s’appliquer, c’est-à-dire le droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Or, celui-ci repose sur le principe simple de la « consolidation des concessions » suivant lequel un membre ne peut augmenter les droits de douane unilatéralement car leurs montants sont négociés dans un cadre multilatéral.

Dans un cas comme dans l’autre, une augmentation unilatérale constitue donc une violation du droit international, sans le moindre doute possible.

Quelles réactions ou conséquences une telle augmentation pourrait-elle entrainer ?

Compte tenu du caractère a priori illicite de ces augmentations, les réactions possibles sont de deux ordres et sont très étroitement imbriquées.

La première, d’ordre institutionnel, serait l’enclenchement de procédures de règlement des différends sur le fondement des textes méconnus. Il existe dans les accords de libre-échange (et notamment dans l’accord États-Unis / Mexique / Canada) des dispositifs de règlement des litiges commerciaux, aussi bien que dans le droit de l’OMC qui les inspire d’ailleurs très largement. Ces mécanismes ont prouvé leur utilité par le passé, mais leur enclenchement demande un peu de temps et l’Organe de règlement des différends de l’OMC est en partie paralysé en raison, précisément, d’une opposition systématique des États-Unis à la désignation de nouveaux membres. Cela dit, ces dispositifs peuvent aboutir à autoriser les partenaires concernés à adopter des contre-mesures qui peuvent être relativement efficaces, celles-ci pouvant par ailleurs être enclenchées à titre provisoire.

C’est là la seconde option, qui est généralement celle à laquelle font appel les États en attendant que le mécanisme de règlement des différends ait été activé : il s’agit de mettre en place des contre-mesures temporaires, sous la forme d’une augmentation des droits de douane sur les produits américains. Cette possibilité est reconnue à la fois par le droit de l’OMC et par tous les accords de libre-échange. Leur but est de neutraliser l’avantage économique créé par l’augmentation initiale des droits de douane. Celle-ci a en effet pour conséquence de freiner l’entrée de produits étrangers aux États-Unis, mais la surtaxe douanière établie en réaction par les partenaires freine la possibilité pour les produits américains d’être vendus à l’étranger. Cela peut donc aboutir à un jeu à somme nulle conduisant l’État à l’origine de la première augmentation des droits de douane à la retirer, faute d’intérêt économique. Tel est en tout cas la finalité du système.  

Ensuite, au-delà de cette présentation schématique et un peu simpliste, il y a bien sûr une réalité économique autrement complexe : l’augmentation des droits de douane constitue une mesure dont les effets sont toujours incertains, et notamment dont il est difficile de dire qu’ils sont toujours bénéfiques. D’abord du côté des États-Unis, la mesure présentée comme « de bon sens » ne l’est peut-être pas tant que cela : l’augmentation des droits de douane par les États-Unis ne sera pas neutre pour les entreprises américaines, qui pourraient en être les premières victimes, l’une de leur conséquence pouvant être de renforcer la place des entreprises chinoises notamment dans les États du Sud faute pour les entreprises américaines de pouvoir y exporter autant qu’elles le font aujourd’hui. En outre, la réaction sous la forme de surtaxes douanières au titre de contre-mesures n’entraine pas systématiquement une augmentation automatique du prix des marchandises ou services affectés et, lorsqu’elle se produit, cette augmentation des prix ne se traduit pas toujours par une diminution mathématique des parts de marché. Au surplus, cette augmentation des droits de douane à titre de contre-mesure, peut bien sûr avoir un effet sur les entreprises et les consommateurs ressortissants des États qui les adoptent : en définitive, les consommateurs de ces territoires pourraient se trouver face à une augmentation considérable des prix de certains produits, soit directement en raison de l’augmentation des droits de douane (qui peut entraîner une augmentation du prix des produits importés), soit indirectement (les droits de douane peuvent avoir pour effet de limiter l’offre sur le marché, et donc une augmentation du prix).

L’augmentation des droits de douane par les États-Unis, qui est présentée par le président Trump comme une réaction au comportement de certains de ses partenaires commerciaux, ne pourrait-elle pas être considérée comme une contre-mesure justifiée en droit international ?

Il faudrait déjà, pour cela, parvenir à identifier le motif réel, raisonnable et rationnel de ces mesures, ce qui avec le président Trump est toujours délicat. Mais si vraiment l’Union européenne, par exemple, se livrait à une concurrence déloyale via une pratique interdite (par exemple en subventionnant des entreprises pour qu’elles puissent exporter vers les États-Unis), alors oui le droit international donnerait aux États-Unis le droit de riposter via une augmentation des droits de douane sur ces produits. Mais il reste qu’en pareille hypothèse, les droits de douane sont soumis au respect du principe de proportionnalité et ne peuvent être que temporaires, ce qui ne parait pas être l’approche de l’administration américaine. En outre, il ne semble pas que l’analyse de la Maison blanche soit aussi subtile : le but de ces mesures est de protéger le marché américain à court terme, en ignorant délibérément ses effets dévastateurs à moyen et à long terme pour le monde entier. En ce sens, ces mesures sont un bon résumé de la pensée de leur auteur.