Par Lyna Maaziz, Docteure en droit public, Enseignante-chercheure contractuelle à l’Université Paris-Panthéon-Assas, résidente à Galatasaray Üniversitesi (GSÜ)

Les États-Unis d’Amérique peuvent-ils décider seuls de changer le nom du golfe du Mexique en golfe d’Amérique ?

Cette mer bordière de l’océan Atlantique, qui communique avec la mer des Caraïbes au sud, est une destination de tourisme balnéaire très prisée en plus d’être riche en ressources (énergies comme halieutiques). Elle compte trois États côtiers : les États-Unis d’Amérique, les États-Unis du Mexique, et la République de Cuba. Pourtant, l’acte au cœur de la présente analyse est marqué par son caractère unilatéral.

Le décret présidentiel révèle en effet que la décision est prise par le Président Donald Trump, à son initiative. En revanche, à l’échelle interne, la mesure dépend également d’autres instances au stade de la mise en application. Le secrétaire de l’intérieur, un membre du cabinet présidentiel, est mandaté pour opérer le changement de nom sous trente jours et actualiser une base de données, le Geographic Names Information System (GNIS). Or, cette étape nécessite, comme le démontre le décret présidentiel, un accompagnement du US Board on Geographic Names, une agence ici chargée de superviser le changement de nom dans les sources fédérales officielles, notamment les cartes, les contrats et tout autre document (section 4, b) du décret).

L’éventuel contrepoids que le US Board on Geographic Names aurait pu constituer dans ce projet – le panel relatif à l’uniformisation des noms étant théoriquement investi d’une capacité d’approbation des propositions (section 2, d) du décret) – est neutralisé dès les premières lignes qui énoncent que la composition va être revue en raison de la désignation de nouveaux membres (section 2 du décret).

Il apparaît clairement, en vertu de la législation nationale, qu’il n’y a aucun obstacle au fait de renommer l’espace en question, « golfe d’Amérique ». L’existence d’un organe international chargé des toponymes, à savoir le Groupe d’experts des Nations Unies sur les noms géographiques, est sans incidence sur l’opération étudiée, car celui-ci est exclusivement compétent pour la standardisation des noms de lieux. Il exerce un rôle de conseil dans l’harmonisation linguistique des appellations données aux espaces géographiques, et ne peut émettre que des recommandations sur des demandes soumises par les États.

Quelles sont les implications pour le Mexique, Cuba, et les États tiers ?

Le décret présidentiel veille à préciser les zones spécifiques qui seront rebaptisées « golfe d’Amérique ». Il en va ainsi du plateau continental étatsunien qui est le prolongement en mer du territoire terrestre des États fédérés côtiers : Texas, Louisiane, Mississipi, Alabama et Floride. De plus, le changement de nom s’étendra aux eaux à la frontière avec le Mexique, et Cuba.

Si la plupart des tracés de délimitation entre ces parties ont été opérés – pour citer un exemple, il peut être fait référence à l’accord bilatéral États-Unis – Mexique du 9 juillet 2000 sur la délimitation du plateau continental dans la partie occidentale du golfe du Mexique au-delà de 200 milles marins, en vigueur depuis le 17 janvier 2001 – deux accords de délimitation relatifs à la partie orientale du golfe restent en suspens. Ceux-ci ont été conclus par les États-Unis lors des derniers jours de la présidence de Barack Obama le 18 janvier 2017 – l’un avec Cuba concernant le plateau continental, l’autre avec le Mexique pour les espaces maritimes – et soumis par le Président Joe Biden au Sénat le 18 décembre 2023. À ce jour, ils ne semblent toujours pas avoir été ratifiés, et le message adressé par le 46ème Président à la Chambre haute n’est d’ailleurs même plus accessible sur le site internet officiel.

On peut en tirer deux conclusions. D’abord, il est clair qu’il n’était pas question pour Donald Trump de renommer les espaces qui relèvent de la souveraineté ou de la juridiction des États côtiers voisins. La mesure américaine est sous doute à relativiser sur sa portée impérialiste, et reste sans conséquence pour les États-Unis du Mexique et Cuba. Ensuite, sans aller jusqu’à remettre en cause les accords conclus et en se gardant bien de lui prêter des ambitions de conquête ou toute autre revendication de cet ordre, l’immobilisme de l’administration Trump tout au long du premier mandat à l’égard des accords de délimitation dans la partie orientale du golfe du Mexique, appréciés à la lumière des récentes déclarations matérialisées dans un décret, n’est pas de bon augure pour la relation trilatérale.

Qu’en est-il des États tiers ? Google Maps indique que les utilisateurs géolocalisés aux États-Unis d’Amérique verront apparaître la mention « golfe d’Amérique », que pour ceux situés au Mexique il sera affiché « golfe du Mexique », et que pour les autres les deux noms seront visibles. À l’échelle des administrations, en revanche, la question de l’opposabilité se pose. Les États tiers doivent-ils, à leur tour, procéder à la modification du nom du golfe en ce qui concerne les zones américaines couvertes par la mesure, et réviser par conséquent les documents officiels et autres sources pertinentes ? On ne cèdera pas à la tentation de faire le parallèle avec le refus de la France d’adopter le nom de Beijing pour Pékin, résistant à l’appel de la 3ème Conférence des Nations Unies sur la normalisation des noms géographiques de 1977 à retranscrire les noms de villes chinoises selon l’alphabet phonétique pinyin (un autre cas est Nankin, s’écrivant aussi Nanjing). La situation se prête peu à la comparaison car il y a eu une recommandation faite par la Conférence, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle pour le « golfe d’Amérique », et de plus l’argument invoqué par la France est justifié par des raisons propres à son histoire et à une « spécificité linguistique » alléguée. Une hypothèse probable est plutôt que les États optent pour la double dénomination : golfe du Mexique et golfe d’Amérique, comme certaines nations le font pour le Myanmar (Birmanie, Burma). Les pouvoirs publics d’États tiers ont également recours à l’emploi successif de plusieurs noms en cas de prétentions de souveraineté en conflit, à l’instar des îles que les Japonais appellent Senkaku (尖閣), les Taïwanais Tiaoyutai (釣魚臺) et les Chinois Diaoyu (钓鱼) (v. C.-E. Detry, La justiciabilité du droit international dans l’affaire de la mer de Chine méridionale, Thèse de doctorat, Université Paris-Panthéon-Assas, 2025), toutefois cela reste éloigné du cas du golfe du Mexique / golfe d’Amérique.

Du reste, on constate l’absence d’obligation juridique pesant sur les États d’intégrer un toponyme, les choix reposent sur des considérations politiques et, le cas échéant, seules des recommandations peuvent être faites.

Le toponyme est-il l’indicateur d’une souveraineté territoriale étatique sur cet espace ? À défaut, quels pourraient être les effets recherchés par ce changement de nom ?

Compte tenu des observations qui viennent d’être faites, le changement de nom dont il est question n’altère pas la souveraineté étatique dans les mers territoriales correspondantes. Les droits pouvant être exercés dans les zones économiques exclusives (ZEE) et le plateau continental demeurent tout autant inchangés (v. J. Combacau, Le droit international de la mer, « Que sais-je ? », Paris, PUF, 1985).

D’une manière plus générale, la terminologie est décorrélée d’une quelconque autorité étatique pertinente. Ainsi le toponyme mer du Japon ne confère pas de droits particuliers à l’archipel nippon, bien que les deux Corées appellent à la rebaptiser « mer de l’Est » depuis la fin du XXème siècle, ce qui est un facteur de blocage des travaux de l’Organisation hydrographique internationale (OHI) d’actualisation de la 4ème édition des Limites des océans et mers (2002).

Dès lors, quelles pouvaient être les motivations à l’origine du décret présidentiel ? Un indice est contenu dans le titre, assez évocateur, qui est « Restoring names that honor American greatness ». Cette formulation s’inscrit dans une stratégie politique plus large de réaffirmation de la puissance américaine. Parmi les justifications, on retient les notes historiques et les allusions à la naissance de l’État : « [t]he area formerly known as the Gulf of Mexico has long been an integral asset to our once burgeoning Nation and has remained an indelible part of America », ou encore « [t]he Gulf was a crucial artery for America’s early trade and global commerce ». Il y a là la manifestation d’une volonté de retravailler son image de marque, on se permet d’employer à cette fin l’anglicisme de « rebranding ».

Néanmoins, la démarche reste peu convaincante, et présente l’écueil du « whitewashing ». Les bienfaits du golfe, au regard de ses ressources halieutiques et de sa situation géographique privilégiée, étaient déjà bien connus des populations indiennes, raison pour laquelle il peut être fait grief à la déclaration de donner une version erronée de l’histoire.

Il semble aussi possible d’y voir une posture colonialiste ayant une valeur purement symbolique, puisque les toponymes ont évolué au gré des arrivants qui se sont appropriés les lieux. Le nom de Mexico – vraisemblablement tiré de la langue nahuatl – aurait été donné à l’ancienne capitale de l’Empire aztèque à l’arrivée des colons espagnols. Mexico devint la capitale de la vice-royauté de la Nouvelle Espagne. Ainsi, une carte du XVIème siècle représentant Veracruz faisait clairement état d’une désignation sous le nom « golfe de la Nouvelle Espagne ». L’année 1821 vit la naissance de la « nación mexicana » (suite à la déclaration d’indépendance du 28 septembre), subdivisée en intendances parmi lesquelles figuraient notamment les Californies, le Nouveau Mexique, le Texas – anciennement Tejas – , Utah – dérivé de Yutta, ou Ute -, entre autres. La Nouvelle Espagne disparut au profit des États-Unis du Mexique (v. Constitution de 1824), ce qui a eu pour conséquence un changement de nom du golfe, devenu golfe du Mexique. Or, au fil de la construction des États-Unis d’Amérique (v. T. Fleury Graff, État et territoire en droit international. L’exemple de la construction du territoire des États-Unis (1789-1914), Paris, Pedone, 2013, 528 p.), et à la suite de la cession de plusieurs territoires mexicains en 1848, les noms précités de territoires terrestres et de l’espace maritime ont été conservés, comme en atteste une carte de 1913. Pour le Président Donald Trump, revêtir l’habit de Cortés en quelque sorte, n’est pas dénué de toute connotation politique, et c’est bien là qu’est le problème.