Par Guillaume Le Floch, Professeur à l’Université de Rennes (IDPSP)

D’où viennent les velléités du président Trump ?

Pour Donald Trump, le canal de Panama et le Groenland sont des espaces « très importants pour la sécurité économique » des Etats-Unis. Le premier est une voie de passage maritime cruciale pour le commerce international tandis que le second regorge de ressources naturelles et a une importance géostratégique considérable. Ce sont, du reste, deux espaces sur lesquels les Etats-Unis ont pu exercer certaines compétences par le passé.

En 1903, une quinzaine de jours seulement après avoir aidé le Panama à acquérir son indépendance vis-à-vis de la Colombie, les Etats-Unis ont conclu un traité avec ce dernier qui, pour l’essentiel, leur octroyait le monopole de la construction et de la gestion du canal, le droit d’en assurer la sécurité ainsi qu’une zone large de 10 miles autour du canal à perpétuité. En contrepartie de ce qui s’assimile à un quasi-transfert de souveraineté, les Etats-Unis s’engageaient à verser 10 millions de dollars et un loyer annuel de 250 000 dollars. Le 15 août 1914 marqua l’ouverture officielle du canal de Panama. Par la suite, et durant une grande partie du XXe siècle, les autorités panaméennes n’eurent de cesse de revendiquer leur volonté de prendre en charge la gestion du canal. Après d’intenses et longues négociations, les Etats-Unis et le Panama se mirent d’accord, dans deux traités bilatéraux conclus en 1977, pour que les premiers rétrocèdent progressivement au second la gestion du canal d’ici le 31 décembre 1999 et abandonnent tout contrôle sur la zone. Pour Donald Trump, cet abandon fut une « terrible erreur ».

Mutatis mutandis, bien que le Groenland fasse partie du continent américain, les Etats-Unis, le 4 août 1916, déclarèrent qu’ils n’avaient aucune objection à ce que le Danemark étende ses intérêts politiques et économiques à l’ensemble de ce territoire. Cette déclaration eut un rôle décisif dans la reconnaissance de la souveraineté danoise sur le Groenland. Si, durant la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis y établirent des bases militaires alors que le Danemark était occupé par l’Allemagne Nazie, ils s’en retirèrent à la fin du conflit. Un accord de défense conclu en 1951 avec le Danemark leur a néanmoins permis de conserver celle de Thulé.

Quel est le statut actuel du canal de Panama et du Groenland ?

Le statut du canal de Panama est dépourvu de la moindre ambiguïté. Depuis le 1er janvier 2000, le canal relève de la souveraineté du Panama. La seule limite qui s’impose à ce dernier est de garantir le transit pacifique des navires – y compris militaires – de tous les Etats. La gestion du canal est exercée par une agence du gouvernement panaméen.

Le statut du Groenland, quant à lui, a connu plusieurs évolutions et pourrait en connaître d’autres à l’avenir. Après avoir longtemps été une colonie danoise, le Groenland est devenu une province du Danemark en 1953. Cette évolution institutionnelle n’est néanmoins pas parvenue à faire taire les velléités autonomistes. Aussi, en 1979, le Groenland a obtenu le statut de territoire autonome. Ce changement statutaire s’est traduit par un transfert de compétences dans de nombreux domaines non régaliens. En 1985, le Groenland s’est retiré des Communautés européennes. Il relève aujourd’hui de la catégorie des pays et territoires d’outre-mer (PTOM). Ses relations avec l’Union européenne sont encadrées par le Protocole n° 34 annexé au TFUE. En 2009, une nouvelle étape fut franchie avec la reconnaissance à la population groenlandaise du statut de « peuple » et du droit à l’autodétermination. La marche vers l’indépendance se précise progressivement. En 2023, une commission nommée par le gouvernement groenlandais a publié un projet de constitution pour un Groenland indépendant. Nul doute que cette question sera au cœur des discussions lors des prochaines élections locales qui se dérouleront le 6 avril 2025.

Quelles suites envisageables aux prétentions territoriales de Donald Trump ?

Depuis l’entrée en vigueur de la Charte des Nations Unies en 1945, toute acquisition territoriale par la contrainte armée est contraire au droit international. A l’instar de la Russie en Ukraine, rien ne permet aux Etats-Unis d’employer le recours à la force armée pour s’emparer tant du canal de Panama que du Groenland.

Cette interdiction du recours à la force n’empêche cependant pas des transferts pacifiques de territoire. Un Etat peut en effet renoncer en faveur d’un autre aux droits et titres qu’il possédait jusque-là sur un espace donné. En 1867, par exemple, la Russie a vendu l’Alaska aux Etats-Unis. La cession territoriale peut aussi être provisoire et ne pas entraîner de transfert de titre. C’est le procédé de la cession à bail qui a notamment été utilisé pour Guantanamo.

En l’espèce, cependant, il est peu probable qu’une cession territoriale, qu’elle soit provisoire ou définitive, survienne. La ministre des Affaires étrangères du Panama, a clairement averti que la souveraineté de son Etat sur le canal n’était « pas négociable ». De son côté, la première ministre danoise a rappelé que « le Groenland est aux Groenlandais » et qu’en conséquence, le Danemark ne saurait vendre ce territoire. C’est au peuple groenlandais de décider s’ils veulent ou non exercer leur droit à l’autodétermination et, dans l’affirmative, s’ils veulent être annexés par les Etats-Unis. Ces décisions ne peuvent être prises qu’à la suite de différentes consultations électorales organisées de manière régulière. Pour l’heure, le premier ministre Groenlandais se dit favorable à un rapprochement plus étroit avec les Etats-Unis et non à une quelconque annexion ou absorption.

Ces déclarations tonitruantes de Donald Trump qui remettent au goût du jour la doctrine Monroe, ont suscité de nombreuses critiques et inquiétudes de la part de plusieurs Etats occidentaux. Reste à voir désormais s’il ne s’agit que de paroles d’un homme d’affaires redevenu président et rodé à la négociation ou si le futur locataire de la Maison-Blanche entend réellement en venir aux actes.