Par Mathilde Laporte, Professeur de droit public à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour

Comment se déroule le processus habituel de validation des nominations ? Comment est-il encadré ?

L’élection du Président Trump lui offre la possibilité de procéder à la nomination de nombreux membres de l’Administration fédérale. La politisation de l’Administration, liée au spoil system, lui permet d’exercer un pouvoir de direction de la branche exécutive, en faisant usage tant de son pouvoir de nomination que de révocation des membres de son Cabinet. La nomination de ces personnalités présente un intérêt réel pour M. Trump. Les « secrétaires » exercent des fonctions de direction des agences administratives fédérales. Placer à leur tête des personnalités peu conciliantes à l’égard de l’État administratif est un levier d’action essentiel pour affaiblir le Gouvernement fédéral. Étant situés au sommet de la hiérarchie administrative, ces directeurs disposent d’une marge de manœuvre importante pour définir les politiques publiques de régulation de la société et pour interpréter, de manière plus ou moins extensive, les compétences de l’agence telles que définies par la loi d’habilitation. Ils pourront non seulement défendre médiatiquement les nouveaux programmes de régulation mais aussi infléchir la puissance des agences fédérales. Ce projet avait déjà été entrepris à l’occasion de de la nomination de membres de la Cour suprême. Il a d’ores et déjà porté ses fruits au niveau jurisprudentiel et sera poursuivi par la création, souhaitée par M. Trump, d’un nouveau Département d’État sur l’efficacité de l’action gouvernementale, piloté par Elon Musk et Vivek Ramaswamy, tous deux partisans d’un démantèlement progressif de la bureaucratie fédérale.

Les nominations qui ont retenu l’attention des médias ne sont que partiellement surprenantes. En effet, le Président est habilité à choisir ses conseillers politiques de manière discrétionnaire (political appointees) : la nomination prend ainsi, de manière attendue, la forme d’une récompense pour la loyauté des candidats au Président en exercice. Sans tenir compte du critère du mérite, le Président les a choisis parce qu’ils lui ont apporté leur soutien alors qu’il était candidat à la Maison Blanche, par le biais de dons ou de soutien médiatique. Si les prises de position médiatiques et le manque d’expertise de certains des candidats (comme pour Pete Hegseth, ancien militaire et présentateur sur Fox News, à la Défense) a retenu l’attention, ils ne sont pas les seuls problèmes de droit soulevés par ces nominations. La procédure de nomination envisagée par M. Trump est en effet pour le moins peu orthodoxe. La Constitution organise la procédure ordinaire, pour la nomination des « officiers principaux », choisis par le Président et confirmés par le Sénat (advice and consent). Cette procédure s’applique aux secrétaires, car ils sont des officiers principaux exerçant une « autorité exécutive importante ». Habituellement, ils font l’objet de plusieurs enquêtes, du FBI, de l’Office of Government Ethics, et des comités sénatoriaux spécialisés,pour s’assurer de leur exemplarité. Au Sénat, des enquêtes et des auditions publiques sont organisées, pour que le candidat précise entre autres la ligne politique qu’il entend suivre. Cette phase préalable est importante, parce qu’elle est l’occasion pour le Président de négocier de manière informelle avec les sénateurs, pour s’assurer de leur soutien et remplacer le cas échéant un candidat impopulaire. Par exemple, la candidature de Matt Gaetz, d’abord pressenti pour le poste d’Attorney General pour le Département de la Justice, a fait l’objet de réserves de la part de sénateurs républicains en raison de suspicions d’obstruction à la justice et de délits à caractère sexuel. Ce soutien mitigé a incité M. Trump à soutenir Pam Pondi, qui l’avait défendu lors de la première tentative d’impeachment et qui est restée active au sein d’un think tank conservateur auquel ont appartenu plusieurs candidats en lice.

Si les dernières élections législatives ont offert au parti Républicain la majorité des sièges au Sénat et qu’il fait peu de doute que les sénateurs républicains soutiendront sans grande difficulté la majeure partie des candidatures, M. Trump envisage de ne pas suivre la procédure ordinaire en raison des lenteurs excessives qu’il lui impute. Effectivement, même si l’obstruction parlementaire (filibustering) a été largement contrainte pour la confirmation des nominations présidentielles et bien que les auditions de confirmation débutent avant que le nouveau Président prête serment, force est de constater que ces nominations ne deviennent effectives qu’après plusieurs semaines, parfois plusieurs mois, de procédure. Ayant subi ces délais lors de son premier mandat, M. Trump a demandé aux sénateurs de le dispenser de la procédure d’approbation.

Quelles sont les stratégies envisagées par Donald Trump ? Sa demande a-t-elle des chances d’aboutir ?

Deux scénarios sont envisageables, mais la demande de M. Trump a peu de chance d’aboutir.

La première option : l’abandon indirect du droit de confirmation par le Sénat. La Constitution autorise le Président à procéder aux nominations sans l’accord du Sénat, en cas d’interruption de celui-ci (recess) à condition, selon la Cour suprême, que cette interruption dure au moins 10 jours. Pour s’en prémunir, les sénateurs organisent des sessions de travail « pour la forme » tous les trois jours, assez largement factices, mais suffisantes pour paralyser l’action présidentielle. En cas de recess supérieur à 10 jours, les nominations seraient alors temporaires, jusqu’à la fin de la prochaine session du Sénat. Ce premier scénario est assez peu probable. Outre le fait que les sénateurs démocrates risquent de ne pas abandonner les sessions « pour la forme », il faudrait d’abord s’assurer que le Sénat décide d’interrompre ses travaux. S’il le fait volontairement au service de M. Trump, il envoie le signal qu’il consent à un déséquilibre entre les branches du Gouvernement. M. Trump pourrait également chercher à ajourner le Sénat, ce qu’il peut faire à partir de sa prestation de serment du 20 janvier 2025, mais selon une procédure complexe : un désaccord entre les chambres doit exister en la matière. M. Trump pourrait chercher à le provoquer, mais en profiter pour ajourner le Congrès resterait inédit dans l’histoire politique américaine.

La seconde option : l’abandon explicite du droit de confirmation par le Sénat. Bien que la loyauté des parlementaires républicains soit certaine, cet abandon du droit de confirmation au profit du Président altèrerait la séparation des pouvoirs, pourtant conçue pour prévenir des dérives autoritaires. Sans que cet abandon soit formellement interdit, il risquerait d’affaiblir sur le long terme le Sénat. Devrait-il également s’abstenir de confirmer les membres de la Cour suprême au profit du Président ? Faudrait-il qu’il délaisse le filibustering pour faciliter la mise en œuvre de la politique présidentielle ? Sans être retranscrites dans la Constitution écrite, ces transformations risqueraient de façonner durablement l’ordre constitutionnel américain et pourrait faciliter la concentration du pouvoir dans les mains du Président. Pour ces raisons, il est incertain que le Sénat accède à la demande du Président Trump.