Donald Trump et la justice : on en est où ?
Deux procédures concernant des infractions fédérales et deux procédures pour des infractions commises au niveau des États fédérés se sont heurtées à l’immunité dont jouit un président des Etats-Unis en exercice. Questions, à deux semaines de la prise de fonction de Donald Trump : ces procédures sont-elles définitivement abandonnées ? Et Donald Trump peut-il s’auto-gracier ?
Par Benjamin Fiorini, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Paris 8 Vincennes et spécialiste de droit pénal comparé France/ Etats-Unis.
Où en sont les poursuites pénales contre Donald Trump au niveau fédéral ?
Avant sa réélection, Donald Trump était visé par deux procédures concernant des infractions fédérales.
Premièrement, le 8 juin 2023, un grand jury l’a inculpé pour sept infractions fédérales liées à la conservation illicite de documents classifiés dans sa résidence privée de Mare-a-Lago, à la suite de sa défaite à l’élection présidentielle de 2020. Après des retards et des reports répétés du procès, la juge Aileen Cannon a classé l’affaire le 15 juillet 2024, au motif que la nomination du procureur spécial Jack Smith, en charge du dossier, violait la clause de nomination (Appointements Clause) prévue par la Constitution américaine. Le 26 août 2024, le procureur spécial Smith a formé un appel contre cette décision – un appel logique, tant la décision de la juge Cannon a été décriée pour son apparente partialité et son incohérence avec la jurisprudence antérieure. Néanmoins, le 26 novembre 2024, après la réélection de Donald Trump, la cour d’appel fédérale a mis fin à la procédure sur demande du même Jack Smith. Ce dernier s’est montré soucieux de respecter la politique constante du Department of Justice qui, depuis 1973 et le scandale du Watergate, estime que poursuivre pénalement un président en exercice serait contraire à la Constitution. Les poursuites contre Donald Trump pour ces infractions fédérales sont donc, pour le moment, abandonnées.
Secondement, le 1er août 2023, un grand jury a inculpé Donald Trump pour quatre infractions fédérales liées à sa tentative de renverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020 et à sa conduite lors de l’attaque du Capitole le 6 janvier de la même année. Cette procédure a ensuite été affectée par la décision retentissante Trump v. United States rendue par la Cour suprême des États-Unis le 1er juillet 2024, qui a considérablement élargi le champ de l’immunité pénale présidentielle. Cette décision a obligé la juge Tanya Chutkan, en charge du dossier, à distinguer les faits pouvant être poursuivis de ceux ne le pouvant plus, à la lueur d’une série de critères dont le principal est le caractère officiel ou privé des actes accomplis par Donald Trump. Le 27 août 2024, avant même que la juge Chutkan ne se prononce, le procureur spécial Smith a modifié les termes de son acte d’accusation dans l’espoir qu’il réponde aux exigences de la Cour suprême. Toutefois, le 25 novembre 2024, une fois connu le résultat des élections, la juge Chutkan a mis fin à la procédure sur demande du procureur spécial Smith, pour les mêmes raisons que celles évoquées à propos de l’affaire précédente. Là encore, les poursuites sont abandonnées.
Dans les deux cas, le procureur spécial Smith a précisé que sa position sur le fond des dossiers n’avait pas évolué, le seul obstacle aux poursuites étant l’immunité dont jouit désormais Donald Trump. Ces poursuites pourraient donc être relancées à l’expiration du mandat présidentiel, soit en janvier 2029 – ce qui soulèverait de nouveaux problèmes juridiques, notamment en matière de prescription.
Où en sont les poursuites pénales contre Donald Trump au niveau étatique ?
Avant de remporter les dernières élections présidentielles, Donald Trump était également ciblé par deux procédures pour des infractions commises au niveau des États fédérés.
Premièrement, le 30 mai 2024, un jury new-yorkais l’a unanimement déclaré coupable de trente-quatre chefs d’accusation dans l’affaire dite Stormy Daniels. En résumé, les jurés ont estimé qu’à l’occasion de sa campagne présidentielle victorieuse de 2016, Donald Trump avait tenté de dissimuler le paiement de la somme de 130.000 dollars à une actrice de films pornographiques, pour éviter que n’éclate un scandale sexuel portant sur ses relations extraconjugales. Le juge Juan Merchan, en charge de ce dossier, devait initialement prononcer la peine consécutive à cette condamnation en juillet 2024 – la peine maximale encourue étant de quatre ans d’emprisonnement. Ce calendrier a néanmoins été bouleversé par la décision précitée de la Cour suprême ayant accru la portée de l’immunité présidentielle. S’appuyant sur cette décision, Donald Trump a introduit un recours pour faire annuler le verdict de condamnation. Après plusieurs reports, le juge Merchan a finalement décidé de rejeter ce recours le 16 décembre 2024. Puis, le 3 janvier 2025, il a annoncé que la peine sera prononcée le 10 janvier de cette année, avant la prise de fonction du président réélu. Le juge avait indiqué ne pas être enclin à prononcer une peine de prison ferme, il a finalement prononcé une dispense de peine pour le président élu.
Secondement, en août 2023, un grand jury géorgien a inculpé Donald Trump – ainsi que dix-huit autres personnes – pour avoir tenté de renverser le résultat de l’élection présidentielle de 2020 dans l’État de Géorgie. Les poursuites se fondent sur une loi géorgienne relative à l’extorsion et l’association de malfaiteurs, qui prévoit des peines de cinq à vingt ans d’emprisonnement. Toutefois, là encore, la décision de la Cour suprême Trump v. United States a eu pour effet de retarder le procès et d’affaiblir le dossier d’accusation, en contraignant la procureure Fani Willis à écarter tous les éléments de preuve où Donald Trump agissait en sa qualité de président des Etats-Unis – sur les treize chefs d’accusation initialement retenus contre lui, il n’en subsiste que huit. Autre fait majeur : le 19 décembre 2024, la cour d’appel de Géorgie a dessaisi de l’affaire la procureure Willis en raison de sa partialité apparente, offrant une immense victoire à Donald Trump. Sauf à ce que la procureure Willis remporte son recours contre cette décision devant la Cour suprême de Géorgie, c’est donc un autre procureur étatique qui sera désigné pour reprendre le flambeau. Or, il estimera probablement impossible de faire juger Donald Trump, sauf à prendre le risque considérable de ne pas s’aligner sur la politique fédérale susmentionnée du Department of Justice, selon laquelle il est inconstitutionnel de poursuivre pénalement un président en exercice. Les poursuites seront donc vraisemblablement abandonnées et mises en sommeil jusqu’à la fin du mandat présidentiel, au terme duquel Donald Trump sera âgé de 82 ans.
Donald Trump pourrait-il se gracier lui-même pour échapper définitivement à toutes ces affaires pénales ?
La grâce présidentielle est prévue à l’article II, section 2, clause 1 de la Constitution américaine, qui dispose que « Le président […] aura le pouvoir d’accorder des sursis et des grâces pour les infractions contre les États-Unis, sauf en cas d’impeachment. » Ce texte contient le pouvoir de grâce dans deux limites explicites : il ne peut être activé en cas de procédure d’impeachment et il ne peut s’appliquer qu’aux infractions fédérales, à l’exclusion des infractions commises au niveau des États fédérés. Il s’ensuit que Donald Trump ne pourra s’auto-gracier ni dans l’affaire new yorkaise dite Stormy Daniels, ni dans l’affaire géorgienne.
En revanche, s’agissant des infractions fédérales, la Cour suprême des États-Unis a indiqué dans un arrêt Ex Parte Garland (1866) que le pouvoir de grâce pouvait être exercé non seulement après une décision de condamnation, mais aussi en cours de procédure, que ce soit avant ou pendant le déclenchement des poursuites judiciaires. A priori, les procédures pénales fédérales entamées contre Donald Trump pourraient donc déboucher sur une grâce.
Toutefois, l’épineuse question juridique qui se pose est de déterminer si Donald Trump pourrait utiliser le pouvoir de grâce à son propre profit, ce qui revient à interroger la possibilité de l’auto-grâce présidentielle (self-pardon). Ce point, qui n’a jamais été tranché par la Cour suprême, donne lieu à des débats enflammés. Plusieurs arguments généraux ont été avancés en doctrine contre la constitutionnalité du self-pardon. Sans que la liste soit exhaustive, la doctrine a pu invoquer la violation du principe selon lequel nul ne peut être juge et partie en matière pénale ; la violation de la confiance publique ; l’impossibilité de s’accorder (grant) une grâce à soi-même, la notion d’accord supposant une altérité ; ou encore l’impossibilité de se pardonner soi-même, le mot pardon impliquant là aussi deux personnes. Pour autant, une interprétation purement littérale de la Constitution conduit certains auteurs à conclure que le self-pardon n’étant pas explicitement interdit par les dispositions constitutionnelles, il est autorisé. Nul doute que la Cour suprême devra explicitement trancher cette question, si Donald Trump venait à être touché par « sa » grâce…