États-Unis : Joe Biden gracie son fils Hunter Biden
Le président américain Joe Biden a gracié son fils, Hunter Biden, le 1er décembre dernier alors qu’il avait été reconnu coupable d’infractions fédérales dans deux procédures distinctes.
Par Benjamin Fiorini, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Paris 8 Vincennes et spécialiste de droit pénal comparé France/ Etats-Unis. Auteur de la thèse, L’enquête pénale privée : étude comparée des droits français et américain.
Pour quelles infractions le président Joe Biden a-t-il gracié son fils Hunter Biden ?
Le 1er décembre 2024, le président Joe Biden a accordé une grâce « totale et inconditionnelle » à son fils Hunter Biden. Ce dernier avait été reconnu coupable d’infractions fédérales dans deux procédures distinctes : l’une concernant des faits de fraude fiscale (pour lesquels il avait plaidé coupable), l’autre concernant des faits d’achat et de détention illicite d’arme à feu (pour lesquels il a été condamné par un jury fédéral). Le système pénal américain pratiquant le mécanisme de la césure – la question de la peine est examinée postérieurement à celle de la culpabilité –, les sanctions répondant à ces condamnations n’avaient pas encore été prononcées ; elles auraient dû intervenir le 12 et le 16 décembre de cette année.
La portée de cette grâce est particulièrement large, puisqu’elle inclut tous les crimes fédéraux potentiellement commis par Hunter Biden entre le 1er janvier 2014 et le 1er décembre 2024. Elle ne se limite donc pas aux faits ayant donné lieu à ses deux condamnations, en empêchant la mise en œuvre à son encontre de nouvelles poursuites pénales pour d’autres infractions fédérales commises durant cette décennie.
Cette décision a surpris – et choqué – les Américains, dans la mesure où elle trahit les promesses de Joe Biden, qui avait explicitement fait savoir qu’il n’utiliserait pas son pouvoir de grâce au bénéfice son fils. Pour justifier cette volte-face, il a déclaré que ce dernier était victime d’une « erreur judiciaire » (miscarriage of justice) et avait été « poursuivi de manière sélective et injuste ».
Le pouvoir de grâce présidentiel aux États-Unis est-il illimité ?
La grâce présidentielle est prévue à l’article II, section 2, clause 1 de la Constitution américaine, qui dispose que « Le président […] aura le pouvoir d’accorder des sursis et des grâces pour les infractions contre les États-Unis, sauf en cas d’impeachment. »
Ce texte contient le pouvoir de grâce dans certaines limites : il ne peut être activé en cas de procédure d’impeachment et ne peut s’appliquer qu’aux infractions fédérales, à l’exclusion des infractions commises au niveau des États fédérés. Dans un arrêt United States v. Wilson (1833), la Cour suprême a ajouté que la grâce ne pouvait prendre effet en cas d’opposition de la personne graciée : un condamné ne peut donc pas être pardonné contre son gré.
Toutefois, ces quelques exceptions mises à part, la portée théorique de la grâce présidentielle demeure extrêmement large. Tout d’abord, rien ne semble imposer un timing particulier au président pour décider d’une grâce. Au contraire, la Cour suprême des États-Unis, dans un arrêt Ex Parte Garland (1866) rendu à une courte majorité (5 contre 4), a indiqué qu’en cas de commission d’une infraction fédérale, le pouvoir de grâce pouvait certes être exercé après une décision de condamnation, mais également en cours de procédure, et même avant le déclenchement des poursuites judiciaires. C’est pourquoi des grâces présidentielles ont déjà été accordées dans des hypothèses où des personnes étaient simplement menacées de poursuites judiciaires (presumptive cases). Ce fut notamment le cas lorsque le président Gerald Ford a gracié Richard Nixon pour d’éventuelles infractions fédérales liées au scandale du Watergate, alors que formellement, ce dernier n’avait pas été mis en accusation.
Ensuite, rien ne s’oppose juridiquement à ce que le président des États-Unis, par pur népotisme ou calcul politique, utilise son pouvoir de grâce au bénéfice de sa famille, de ses amis ou de ses alliés politiques. L’histoire américaine est émaillée de controverses nées d’une telle pratique. Ainsi, en 1868, il fut reproché au président Andrew Johnson d’avoir gracié des milliers d’anciens responsables et militaires confédérés après la guerre de Sécession (1861-1865). Plus récemment, le 20 janvier 2001, le président Bill Clinton a décidé de gracier 140 personnes le dernier jour de son mandat, dont le millionnaire Marc Rich – qui avait généreusement financé le parti Démocrate – et son demi-frère Roger Clinton. Encore plus récemment, le président Donald Trump a notamment gracié 26 de ses amis et alliés le 23 octobre 2020, dont Charles Kushner, le père de son gendre.
Enfin, la possibilité de l’auto-grâce (self-pardon) du président des États-Unis, qui déciderait de s’absoudre de ses propres crimes, donne lieu à de vifs débats. Longtemps oublié, ce sujet est réapparu le 4 juin 2018 suite à un tweet du président Donald Trump : « Comme l’ont déclaré de nombreux juristes, j’ai le droit absolu de me pardonner », et « tous conviennent que le président américain a tout pouvoir de grâce. » Cette question reste non résolue, la Cour suprême n’ayant pas encore statué sur ce point.
Quelles sont les conséquences de cette décision de grâce prise par Joe Biden en faveur de son fils ?
En termes d’image, cette décision est désastreuse pour Joe Biden et le Parti Démocrate.
D’abord, parce qu’en confirmant la formule de Montesquieu voulant que « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser », elle montre que l’absence de vertu en politique n’est pas l’apanage du Parti Républicain, alors que les Démocrates avaient construit une partie de leur stratégie de communication en s’attribuant cette vertu, par opposition à la figure de Donald Trump.
Ensuite parce qu’en dénonçant l’ « erreur judiciaire » dont aurait été victime son fils dans le cadre d’une procédure pénale fédérale, Joe Biden désavoue sa propre administration, puisque c’est bien un procureur fédéral, David Weiss, qui a engagé les poursuites contre son fils. Ce dernier s’est d’ailleurs ému des déclarations présidentielles, défendant l’intégrité de son travail et niant toute motivation politique.
Enfin, parce qu’en adoptant une telle mesure, Joe Biden légitime politiquement par avance toute utilisation abusive du pouvoir de grâce par le président réélu Donald Trump, tout en rendant le camp démocrate peu crédible pour en dénoncer le mésusage.
On sait qu’aux États-Unis, la coutume veut qu’une dinde soit graciée pour Thanksgiving par le président américain. La décision de Joe Biden fait état d’une autre coutume : celle faisant du principe d’égalité des citoyens devant la loi le dindon de la farce.