La nouvelle politique fiscale internationale des Etats-Unis
Au premier jour de son mandat, le Président Trump a publié deux «Executive Orders » qui remettent en cause toute forme de soutien des Etats-Unis aux travaux menés sous les auspices de l’OCDE en vue de mettre en place une imposition minimale des entreprises multinationales. Point d’étape sur les objectifs poursuivis par les Etats-Unis et sur les effets potentiels de cette nouvelle politique fiscale.

Par Daniel Gutmann, Professeur de droit fiscal à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne
Pourquoi les Etats-Unis se retirent-ils du « Global Tax Deal » ?
Ironie de l’histoire, le principe d’une imposition minimale des multinationales est une invention de la première administration Trump. En 2017, le taux de l’impôt sur les sociétés américain passe de 35 % à 21%, cependant que pour lutter contre la sous-imposition des grands groupes, un dispositif d’imposition minimale est introduit. Cette initiative conduira, dès 2018, l’OCDE à entamer une concertation multilatérale sur les règles « GloBE » (pour « Global Anti-Base Erosion Rules »). Elle débouchera en 2021 sur un modèle de règles approuvé par environ 140 Etats. Ce modèle n’est pas juridiquement contraignant et a vocation à être transposé par voie législative interne. Les Américains ont d’abord soutenu cette initiative, considérant qu’il était de leur intérêt que tous les groupes (et pas seulement les groupes américains) soient soumis à un impôt minimal.
Le principe de base des règles GloBE est simple : lorsqu’une société mère est établie dans un Etat A et dispose d’une ou plusieurs filiales dans un Etat B où elles sont soumises à un taux effectif d’imposition inférieur à 15% (par exemple 10%), il appartient à la société mère établie dans l’Etat A de payer la différence entre le taux réel et le minimum de 15% (5% dans l’exemple). Ce principe de base repose sur un postulat : celui que dans l’Etat de la société mère, les règles GloBE ont été correctement transposées. Si ce postulat n’est pas respecté, le dispositif GloBE comporte un filet de sécurité, à savoir que le supplément doit être payé par une autre société du groupe, où qu’elle soit établie. Ainsi, si la société mère dispose d’une autre filiale dans un Etat C, c’est sur celle-ci que retombera la charge fiscale, même si cette autre filiale supporte déjà un impôt supérieur à 15%.
Selon le diagnostic fait (bien avant l’élection présidentielle) par les autorités américaines, la conjonction de la règle de base et du filet de sécurité est sérieusement préjudiciable aux groupes américains. En effet, s’il existe bien un dispositif d’imposition minimal aux Etats-Unis, celui-ci comporte de grandes différences techniques avec les règles GloBE. Le droit américain ne respecte donc pas à la lettre les règles GloBE. Supposons, dans l’exemple précité, que la société mère soit américaine, que la ou les filiales sous-imposées soient établies dans un Etat où l’impôt est de 10% et qu’une autre filiale soit française. La sous-imposition dans le paradis fiscal n’étant pas corrigée aux Etats-Unis, c’est la filiale française qui devra donc payer le complément d’imposition de 5%.
Les Américains sont doublement courroucés par ce mécanisme. D’une part, ils plaident depuis des années pour que leur législation interne (qui a été complétée par d’autres mécanismes d’imposition minimale depuis 2017) soit reconnue comme conforme aux règles GloBE. Sans succès : ni l’OCDE, ni l’Union européenne (qui a transformé les règles GloBE en directive), n’ont fait le pas en avant qui aurait consisté à reconnaître que les règles américaines étaient suffisamment comparables aux règles GloBE pour éviter le déclenchement du filet de sécurité. D’autre part, les Etats-Unis considèrent ce filet de sécurité comme une tentative d’un certain nombre d’Etats de taxer les profits des groupes américains sur une base extra-territoriale et ne se satisfont pas du constat que ce filet de sécurité ne s’appliquera pas aux exercices fiscaux clos avant le 31 décembre 2026.
On aurait pu imaginer que les Etats-Unis fassent eux-mêmes un pas vers leurs partenaires et réforment leur système interne d’imposition des multinationales pour « coller » au modèle OCDE. Ils ont choisi de n’en rien faire. Le rapprochement des positions étant impossible, c’est aujourd’hui l’approche conflictuelle qui prévaut.
Quelle est exactement la menace brandie par les Etats-Unis ?
Le retrait des Etats-Unis du « Global Tax Deal » est, à cet instant, une mesure politique. Les règles GloBE n’étant pas inscrites dans une convention multilatérale, les Etats-Unis n’étaient juridiquement engagés à rien ; leur retrait n’équivaut donc pas à la dénonciation d’un engagement international ayant force contraignante.
Ceci dit, les deux « Executives Orders » publiés le 20 janvier 2025 prévoient plusieurs mesures. Premièrement, les autorités américaines vont procéder sous soixante jours à une analyse des législations fiscales des Etats étrangers qui apparaissent, soit contraires aux conventions fiscales conclues avec les Etats-Unis, soit « extraterritoriales » ou de nature à affecter « de façon disproportionnée » les sociétés américaines. Ce diagnostic sera accompagné de propositions de mesures de rétorsion. Deuxièmement, il est donné ordre aux autorités fiscales américaines de déclencher la mise en œuvre d’un article de leur législation autorisant le doublement des impôts mis à la charge des sociétés et des personnes physiques étrangères qui sont des ressortissants d’Etats dont la législation fiscale apparaît discriminatoire ou extraterritoriale. Il ne fait aucun doute que sont ici ciblées toutes les législations qui mettent en œuvre le filet de sécurité décrit plus haut.
D’autres mesures sont également susceptibles d’être adoptées rapidement, notamment l’augmentation progressive des taux de retenue à la source frappant les revenus américains des ressortissant d’Etats étrangers appliquant des impôts « injustes ».
Quelle réaction possible pour les Etats ?
Certains Etats ont d’ores et déjà décidé de n’adopter que la règle de base du dispositif « GloBE », mais pas le filet de sécurité. Ceux-ci n’ont pas à s’inquiéter.
D’autres Etats, qui ont adopté l’ensemble du « package » GloBE, pourraient décider de renoncer au filet de sécurité pour ne pas s’attirer les foudres des Etats-Unis. Le choix présente des enjeux stratégiques et économiques très lourds.
Sur le plan multilatéral, il est difficile d’imaginer que le système GloBE soit revu à court terme pour céder à la pression américaine. L’OCDE et les autres Etats qui ont contribué à le construire hésiteront en effet à l’amputer d’une dimension substantielle. Quant à l’Union européenne, elle a inscrit le filet de sécurité dans le marbre d’une directive fiscale. Revenir en arrière supposerait l’accord unanime des Etats membres, et il n’est pas certain que tous les intérêts convergent lorsqu’il s’agit de se positionner à l’égard des Etats-Unis… La seule voie pour sortir de l’ornière semble donc à ce jour que l’OCDE assouplisse sa position pour reconnaître que les règles américaines sont finalement compatibles avec le standard « GloBE ». Le filet de sécurité ne pourrait donc plus être actionné pour taxer les filiales de groupes américains.