Par Aurélie Cappello, Maître de conférences, Université de Bourgogne

Le droit pénal a-t-il déjà été confronté à des actions militantes ?

Le droit pénal est, aujourd’hui, très souvent confronté à des actions militantes, c’est-à-dire à des situations dans lesquelles des personnes commettent une infraction pour exprimer un message, une protestation, une conviction, de nature politique, religieuse, philosophique… Les exemples ne manquent pas.

Ce fut notamment le cas d’une journaliste poursuivie du chef d’escroquerie après avoir infiltré un parti politique afin d’en dénoncer les dysfonctionnements dans un ouvrage (Cass. Crim. 25/10/2016, n° 15-83.774). Plus récemment, les décrocheurs de portraits du Président de la République ont défrayé la chronique et ont été poursuivis pour le vol de ces portraits au sein de mairies dans l’objectif de dénoncer la méconnaissance par la France de ses engagements en matière de lutte contre les changements climatiques (Cass. Crim. 18/05/2022, n° 21-86.685, 20-87.272 et 21-86.647 ; Cass. Crim. 29/03/2023, n° 22-83.458). Plus récemment encore, des personnes ont été poursuivies pour des infractions du code des transports parce qu’elles avaient bloqué la circulation ferroviaire et aérienne dans le but de manifester pour le respect de l’accessibilité des personnes handicapées à ces transports (Cass. Crim. 08/01/2025, n° 23-80.226). Le musée Grévin a d’ailleurs déjà été victime de ce type d’action : une Femen fut, en effet, poursuivie du chef d’exhibition sexuelle, pour s’être introduite, seins nus, dans le musée afin de protester contre la politique menée par le Président russe (Cass. Crim. 26/02/2020, n° 19-81.827).

L’affaire du vol de la statue du Président de la République s’inscrit dans la même logique. Des militants de Greenpeace se sont introduits au musée Grévin sous un faux prétexte et se sont emparés de la statue du Président, puis l’ont déposée devant l’ambassade de Russie, pour protester contre la poursuite des liens économiques entre la France et la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine. La qualification applicable est celle du délit de vol puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende, sans doute assorti de plusieurs circonstances aggravantes (pluralité d’auteurs, bien culturel exposé…) susceptibles d’alourdir considérablement la peine encourue.

Le droit pénal prend-il en compte le mobile militant ?

D’abord, le mobile, quel qu’il soit, peut être pris en compte au titre du principe d’individualisation des peines (article 132-1 code pénal). En cas de condamnation, le juge doit prononcer la peine la plus adaptée en prenant en compte la peine maximale prévue dans la loi, les circonstances de la commission de l’infraction, dont le mobile, ainsi que la personnalité et la situation de l’auteur, et les fonctions de punition et de réinsertion de la peine. Dans ce cadre, le mobile, louable ou critiquable, influence simplement le choix de la peine en faveur de l’indulgence ou de la sévérité.

Ensuite, le mobile militant, spécifiquement, peut permettre, de façon plus radicale, d’exclure la responsabilité pénale.  En effet, depuis quelques années, sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’Homme et sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne, la Cour de cassation admet que la répression d’une infraction peut être neutralisée au nom de la liberté d’expression. Dans ce cas, il n’y a pas de condamnation, le mobile justifie la relaxe de l’auteur.

Ainsi, pour ces actions militantes, deux options sont ouvertes. Soit la condamnation avec individualisation de la peine, qui, le plus souvent, conduit à l’indulgence du juge, comme y invite la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH 13/10/2022, Bouton contre France, n° 22636/19). Par exemple, les manifestants en faveur des personnes handicapées, bien que condamnés, ont écopé, pour la plupart, d’amendes assorties du sursis, alors qu’un emprisonnement était encouru. Soit l’exclusion de la responsabilité pénale. Ce fut le cas, par exemple, pour la journaliste, comme pour la militante Femen, citées plus haut. Mais, cette dernière solution, pour être retenue, implique un contrôle de proportionnalité entre l’infraction commise et l’exercice de la liberté d’expression.

Quels sont les critères du contrôle de proportionnalité ?

L’exclusion de la responsabilité pénale suppose, d’abord, que le message exprimé s’inscrive dans un débat d’intérêt général, c’est-à-dire qui intéresse la collectivité sans relever d’un intérêt privé, et qu’il y ait un lien direct entre l’infraction commise et la liberté d’expression, c’est-à-dire que l’infraction doit exprimer le message en question. Dans notre affaire, ces deux conditions semblent remplies. En effet, les militants cherchaient à dénoncer la poursuite des relations économiques entre la France et la Russie malgré la guerre en Ukraine (sujet d’intérêt général) et ont exposé la statue devant l’ambassade russe avec différentes banderoles « l’Ukraine brûle, les affaires continuent » ou « Business is business » (lien direct).

Ensuite, les moyens employés – l’infraction commise – doivent être proportionnés au but poursuivi – l’exercice de la liberté d’expression. Pour la Cour de cassation, ce « contrôle de proportionnalité requiert un examen d’ensemble » de la situation. Dans les affaires des décrocheurs de portrait, s’agissant d’un vol, elle a précisé que devaient notamment être prises en compte « la valeur matérielle du bien (volé), (…) sa valeur symbolique, ainsi que la réversibilité ou l’irréversibilité du dommage causé à la victime ». Ici, la valeur symbolique de la statue est évidente puisqu’il s’agit de celle du Président de la République, comme pour les portraits de celui-ci, et sa valeur matérielle est importante (environ 40.000 euros), contrairement cette fois à celle des portraits (environ 35 euros), mais la statue a été restituée au musée, sans avoir été endommagée. Il est, toutefois, bien difficile de faire un pronostic : pour des affaires similaires, certains décrocheurs de portraits ont été condamnés, certes à de faibles peines, d’autres non. S’agissant des voleurs de la statue, seul l’avenir dira si la justice pénale opte pour l’exclusion totale de la responsabilité pénale ou pour la simple clémence de la peine…