Par Yves Mayaud, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas

Pourquoi parle-t-on de « compétence concurrente » à propos du parquet national antiterroriste ?

La complexité de la lutte contre le terrorisme est à l’origine de règles particulières de procédure. La réaction au terrorisme exige en effet des services spécialisés, dotés de moyens importants, ce que seul un système de centralisation des poursuites est à même d’obtenir. Il a été organisé au profit des juridictions parisiennes, qui disposent d’une compétence concurrente aux compétences locales, avec un parquet spécialisé chargé de l’action publique, dirigé par le procureur de la République antiterroriste. Il en résulte que, une fois les premières constatations effectuées sur une infraction, il convient de décider si l’enquête doit être poursuivie sous la direction du parquet local ou celle du parquet national antiterroriste (PNAT).

Cette compétence concurrente doit être distinguée d’une compétence conjointe, qui permettrait aux procureurs de la République locaux, avisés de la commission d’un acte potentiellement terroriste sur leur ressort, d’exercer simultanément leurs prérogatives. Ce n’est pas le cas : il leur appartient de prendre immédiatement attache avec le PNAT, afin que celui-ci apprécie s’il entend ou non se saisir des faits. Seuls les délits d’apologie publique du terrorisme et de provocation à des actes terroristes échappent à cette alternative, pour rester de la compétence des parquets locaux : l’explication tient à la moindre gravité des infractions en cause, du moins eu égard aux autres qualifications terroristes.

Le PNAT doit disposer, selon les affaires relevant de sa saisine, d’un nombre suffisant de magistrats pour mener à bien ses investigations. Deux moyens lui sont ouverts pour accroître ses effectifs. Il a d’abord la possibilité de requérir un ou plusieurs magistrats du parquet de Paris dont les noms figurent sur une liste arrêtée à cette fin par le procureur général, ce dernier veillant à ce que cette réserve opérationnelle soit utilisée le temps strictement nécessaire au traitement de l’accroissement temporaire d’activité. Ensuite, il peut requérir, par délégation judiciaire, tout procureur pour qu’il procède ou fasse procéder aux actes d’enquête qu’il estime nécessaires, ce qui constitue autant de relais possibles qu’il est de parquets sur le territoire national.   

Comment le procureur de la République antiterroriste exerce-t-il effectivement sa compétence ?

Lorsque le PNAT est avisé par un parquet local d’une situation pouvant relever de sa compétence, il formalise sa décision et la communique au parquet signalant. Celui-ci est donc systématiquement destinataire d’un soit-transmis de la part du parquet national, qui lui indique : soit qu’il se saisit des faits et diligente une enquête sous la qualification terroriste ; soit que les faits qui lui ont été signalés ne permettent pas, en l’état, de mettre en mouvement l’action publique du chef d’infraction en lien avec une entreprise terroriste ; soit encore que l’opportunité de sa saisine est en cours d’évaluation, et qu’il reprendra attache avec le parquet local dans les meilleurs délais afin de l’informer de sa décision finale.

Dès lors que le parquet national est saisi, et hors hypothèse de la délégation judiciaire, le magistrat du parquet territorial doit veiller à ne donner aucune consigne de direction d’enquête aux services de police. Il reste en revanche compétent pour prendre en compte les faits collatéraux susceptibles d’être commis sur son ressort.

En charge de l’enquête judiciaire, le procureur de la République antiterroriste est la seule autorité désignée pour annoncer officiellement le bilan des victimes blessées ou décédées. Plus largement, la communication médiatique lui appartient, le parquet local ne pouvant transmettre aucune information.

Les parquets locaux sont-ils déchargés de toute fonction ?

La réponse est négative, et ceci indépendamment d’une délégation judiciaire. La survenance sur le ressort d’un parquet d’un attentat terroriste commande la mise en place par l’institution judiciaire d’un dispositif de crise spécifique, avec des locaux adaptés, équipés des outils de communication indispensables. Les procureurs généraux et procureurs de la République concernés ont la responsabilité du bon fonctionnement des mesures à prendre. Dans l’hypothèse où plusieurs ressorts distincts seraient concernés, il est autant de cellules de crise que de lieux affectés, chacune se devant d’assurer les liens qui s’imposent avec le parquet national.

S’agissant plus particulièrement de la prise en charge des victimes, l’articulation des opérations judiciaires de médecine légale est arrêtée par le procureur de la République antiterroriste. Mais, le procureur de la République local peut être invité à requérir, à des fins d’assistance, le milieu associatif de son ressort.

Une conclusion s’impose. Elle tient à la souveraineté d’appréciation du procureur de la République antiterroriste, à qui il revient de se prononcer sur la dimension terroriste des faits qui lui sont rapportés, et sur l’intérêt de les ramener à la compétence spécialisée des juridictions parisiennes. Il en résulte que, sur des nuances à la fois de légalité et d’opportunité, deux homicides d’apparence similaire peuvent ne pas avoir la même destination judiciaire.