Par Jean-Pierre Camby, Professeur associé à l’Université de Versailles-Saint-Quentin

Quel est l’état juridique de la question de la démission d’office ?

En l’état, le mandat de députée de Mme Le Pen n’est pas en cause , jusqu’à la fin de la présente législature. En effet, le Conseil constitutionnel juge que la déchéance du mandat parlementaire ne prend effet qu’en cas de condamnation définitive et que « l’exécution provisoire de la sanction privant un parlementaire de son droit d’éligibilité est sans effet sur le mandat parlementaire en cours, dont la poursuite dépend de la seule exécution de l’arrêt » ( en dernier lieu : Conseil constitutionnel n° 2022-27 D du 16 juin 2022, confirmant une jurisprudence constante ). Le Conseil constitutionnel  ne précise d’ailleurs pas dans ses décisions la date à laquelle la décision prend effet.

La loi (code électoral art. L 141) rend compatible l’exercice du mandat parlementaire avec un autre mandat (sans possibilité alors s’exercer des fonctions exécutives énumérées à l’article LO 141-1 du code électoral). Mme Le Pen est dans ce cas  puisqu’elle détenait un mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais qui fait l’objet de la décision préfectorale de déchéance du mandat.

Dans pareille hypothèse, l’article L. 205 du code électoral prévoit que le conseiller départemental « est déclaré démissionnaire par le représentant de l’Etat dans le département, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d’Etat, conformément aux articles L. 222 et L. 223 ». La jurisprudence interprète ce texte comme d’application mécanique : l’exécution provisoire produit un effet immédiat, sauf en cas de recours.

Le Conseil d’Etat validant la procédure suivie par le Tribunal correctionnel d’Aix en Provence (C.E. 20 juin 2012, n° 356865 Lebon p.249 ) considère que, « dès lors qu’un conseiller municipal ou un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer immédiatement démissionnaire d’office ».

Telle est l’application du texte et  son interprétation jurisprudentielle : la déchéance du mandat est la suite du prononcé de l’inéligibilité, suite mécaniquement liée à la date d’effet de celle-ci. Cette jurisprudence a été confirmée par le Conseil constitutionnel lorsqu’il a examiné une QPC portant sur l’exécution provisoire (Conseil constitutionnel n° 2025-  1129 QPC du 28 mars 2025) où il a formulé une réserve d’interprétation : «  sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ».  Le tribunal correctionnel  n’en a  pas tenu compte s’agissant de Marine Le Pen. Depuis lors, la Cour de cassation a cependant exigé du juge qui prononce l’exécution provisoire qu’il recherche « si cette exécution provisoire portait une atteinte proportionnée à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur » reprenant ainsi la réserve d’interprétation ( Cass. Crim .  28 mai 2025, n ° 24-83.556, Marthe Bouchet club des juristes 30 mai 2025 ) sans que cela ait une incidence sur la qualification des faits et le quantum de la peine , notamment d’inéligibilité intégralement confirmées.   

L’exécution provisoire est également jugée conforme à la Constitution par la Cour de cassation (Cass. Crim. 2 nov. 2005, no 05-82.004 P 23 aout 2017 n° 17-80 459, 18 décembre 2024, n° 23-84 556: « la faculté pour la juridiction d’ordonner l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser, en cas de recours, l’exécution de la peine et à prévenir la récidive… »).

La décision du Conseil constitutionnel du 28 mars 2025, comme celle du tribunal administratif de Lille, justifient la différence entre l’effet de l’exécution provisoire, distinct pour le mandat parlementaire et pour les mandats locaux, par la différence de situation entre ces deux types de mandats politiques.  

Pourquoi le Tribunal n’a-t-il pas transmis la QPC au Conseil d’Etat ?

Marine Le Pen a effectivement tenté une nouvelle QPC fondée sur le fait qu’une peine d’inéligibilité non définitive mais assortie de l’exécution provisoire porte atteinte à de nombreux principes de rang constitutionnel, dont le premier cité est naturellement la « liberté de candidature ». Ayant parfaitement conscience du fait que la recevabilité est conditionnée notamment par le fait que la question « n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances » ( 3° de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ), elle tentait de contourner l’obstacle en demandant : « A titre subsidiaire, peut-il être remédié à ces griefs d’inconstitutionnalité par la formulation de réserves d’interprétation notamment destinées à ouvrir devant le juge d’appel une voie de recours effective contre l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, en vue de permettre que soit sauvegardée, dans l’attente d’une décision irrévocable du juge pénal, tant la liberté de candidature que la liberté de l’électeur ? ». Il est en effet parfaitement logique que les élus du RN, condamnés en première instance et ayant fait appel, s’appuient sur la réserve d’interprétation dont le tribunal correctionnel n’a fait application qu’en ce qui concerne le mandat en cours de M Aliot,  maire de Perpignan mais pas les élections à venir.

Le tribunal administratif n’avait guère d’autre choix que de constater que la condition de recevabilité tenant à l’absence de chose jugée n’était pas remplie.

Quelles sont les motivations du Tribunal administratif ?

Sur le fond étaient évoqués de nombreux griefs à l’encontre de la décision du préfet, mais en réalité, ils visaient la situation générale résultant du jugement du tribunal correctionnel de Paris. Or,  « ce ne sont pas les faits en cause, ayant donné lieu à condamnation pénale, mais bien la condamnation pénale de Mme Le Pen, postérieurement à son élection comme conseillère départementale, qui constitue la cause de son inéligibilité au sens de l’article L. 205 du code électoral ». D’ailleurs, les faits portent, à ce stade de la procédure, moins sur l’inéligibilité que sur l’effet immédiat de l’exécution provisoire et la décision prononçant la déchéance du mandat. 

Mais la nature même de cette décision permet d’éliminer des arguments portant sur l’absence de contradictoire préalable à son édiction : « Le préfet, autorité administrative, ne saurait être considéré, pour prendre la décision contestée, comme un tribunal décidant du bien-fondé d’accusations en matière pénale. Par ailleurs, la décision du préfet du Pas-de-Calais ne constitue pas une sanction mais simplement une mesure prise, en compétence liée, par application du jugement du tribunal correctionnel de Paris ». Rappelant la compétence liée du préfet et le fait que l’exécution d’une peine n’est pas en elle-même une sanction, le tribunal rend sur ce point une décision parfaitement conforme à la nature juridique du constat de la déchéance du mandat par le préfet. Elle pourrait emporter des conséquences quant au fait que le garde des Sceaux est lui aussi dans une situation de compétence liée pour saisir le Conseil constitutionnel de la déchéance d’un mandat parlementaire. Il est arrivé dans le passé que cette saisine ne soit pas immédiate : « encore une minute… », ou plutôt en l’espèce quelques semaines.

L’essentiel, c’est-à-dire la privation éventuelle d’une candidature à effet politique immédiat, même si elle ne se concrétise que si une campagne électorale était ouverte pendant la période d’exécution provisoire, peut difficilement être appréhendé au contentieux.

Le recours évoque ainsi  l’article 3 du premier protocole additionnel à la CEDH  : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ».  Mais une élection départementale ne relève du « corps législatif » pas plus qu’une élection présidentielle : « Les obligations qu’impose aux États contractants l’article 3 du Protocole no 1, ne s’appliquent en principe pas à l’élection du chef de l’État, sauf s’il a été établi, à la lumière de la structure constitutionnelle de l’État en question, que le chef de l’État dispose de pouvoirs tels qu’il peut être considéré comme un élément du « corps législatif ». Le droit de se présenter aux élections est un droit politique qui ne se rattache aucunement à des « droits et obligations à caractère civil » ni à une décision sur toute « accusation en matière pénale », au sens de l’article 6 » ( CEDH 6 mars 2025 no. 37327/24 à propos de la Roumanie).

Marine Le Pen a annoncé interjeter appel de la décision du Tribunal administratif. Quelles sont les conséquences de cet appel et influencera-t-il le procès prévu en appel en 2026 ?

Le Conseil d’Etat précise que la décision préfectorale prononçant la déchéance d’un mandat peut faire l’objet d’un recours (CE 20 juin 2012 Daniel S. n° 356 865 Lebon p.249). Le juge administratif statue alors comme juge de plein contentieux. Il n’est donc pas impossible d’attendre une suite contentieuse contre cette décision du tribunal administratif.

Même si la cour d’appel décidait, au vu de la décision récente de la Cour de cassation déjà citée (Crim. 28 mai 2025, 24-83.556) que l’exécution provisoire n’est pas justifiée, cette décision ne prendrait effet que si l’intéressée ne se pourvoyait pas en cassation, ce qui est peu probable si l’appel confirme une inéligibilité pour une durée restant à courir. En revanche, la cassation suspendrait la décision d’appel même sur cette question. Le Conseil d’Etat a jugé que la circonstance que la cour d’appel a confirmé la peine d’inéligibilité sans l’assortir de l’exécution provisoire est sans incidence sur la légalité d’un arrêté prononçant la déchéance du mandat, « dès lors que l’effet suspensif du pourvoi en cassation a entrainé le maintien de l’exécution provisoire ordonnée en première instance » (CE 20 décembre 2019 n° 430078). Sauf dans le cas où la cour d’appel décidait d’une durée d’inéligibilité compatible avec la prochaine échéance électorale, l’exécution provisoire prononcée en première instance pour une durée plus longue prive donc de la possibilité d’une candidature celui à l’encontre duquel elle est prononcée.   

En outre, dans la mesure où la décision confirme en tout point l’état du droit, il est peu probable qu’elle ait une incidence sur le fond de l’affaire pénale. On ne voit guère qu’une précision, au cas d’espèce, portant sur la nature de l’exécution provisoire : il ne s’agit pas d’une sanction, rappelle à deux reprises le Tribunal administratif. Cette précision justifie d’autant plus la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel, puisque l’exécution provisoire n’est pas une peine proprement dite, mais qu’appliquée à l’inéligibilité elle n’en constitue pas moins, et ici fortement, un trouble électoral évident dont les effets politiques immédiats sont, eux, certains et importants. On comparera ce trouble à celui, potentiel, évoqué par le Tribunal correctionnel de Paris pour justifier le prononcé de l’exécution provisoire, motivée par le « trouble qu’engendrerait en l’espèce le fait que soit candidat, par exemple et notamment à l’élection présidentielle, voire élue une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité ».

En elle-même, la « préservation de la liberté de l’électeur », rappelée comme un principe démocratique incontournable par le Conseil constitutionnel dans la réserve d’interprétation, même reprise par la Cour de cassation le 25 mai dernier, ne peut en l’état trouver de débouché au contentieux. La décision du tribunal administratif de Lille le confirme.