Par Franck Durand, Enseignant-chercheur à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, Ancien Président de formation de jugement au Tribunal du Contentieux de l’Incapacité de Châlons-en-Champagne

Une nouvelle conception du handicap

S’assignant trois objectifs essentiels : l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté, la loi du 11 février 2005 illustre la volonté des pouvoirs publics d’élaborer une norme juridique permettant de compenser concrètement – autant que faire se peut – les inégalités de condition résultant d’une situation de handicap. La loi marque en outre, au niveau juridique, la consécration de l’idée selon laquelle le handicap résulte non tant de l’état physique de la personne que de l’inadaptation de son environnement. Ce changement de paradigme dans la conception même du handicap se traduit dans la définition qu’en donne la loi, puisqu’aux termes de son article 1er (article L.114 du Code de l’action sociale et des familles) : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »

Cette définition, qui vient combler une véritable lacune de la loi de 1975, est novatrice à plusieurs égards : tout d’abord, elle est la première définition juridique du handicap donnée par la loi ; ensuite, elle se caractérise par la volonté de prendre en compte l’environnement de la personne afin de mieux apprécier le retentissement du handicap ; enfin, elle prend en compte le handicap dans toute sa diversité et reconnaît ainsi, pour la première fois, l’origine psychique du handicap.

De plus, la loi instaure un véritable droit à compensation du handicap en disposant que « Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté ». Afin que ces principes ne restent pas lettre morte, la loi de 2005 fait également de l’État le « garant de l’égalité de traitement des personnes handicapées sur l’ensemble du territoire et définit des objectifs pluriannuels d’actions. ».

Procédant de l’idée essentielle que c’est désormais à l’environnement social de s’adapter aux besoins de la personne handicapée et non plus l’inverse, la loi du 11 février 2005 fait obligation aux pouvoirs publics, ainsi qu’à l’ensemble de la société, de garantir les conditions de l’égalité des droits et des chances aux personnes handicapées, quelle que soit la nature de leur handicap et le registre des mesures à mettre en œuvre pour y parvenir.

Ainsi en est-il de l’affirmation du principe de non-discrimination et de pleine inclusion dans la société au travers de la promotion de la scolarisation en milieu ordinaire, de l’égal accès à la formation, à l’emploi, à la protection sociale, au logement ou bien encore de la participation à la vie sociale grâce au respect des droits civiques. La personne handicapée doit pouvoir décider de ses modalités d’existence au travers de l’affirmation du libre choix de son projet de vie.

La loi du 11 février 2005 entend garantir à tous l’égalité d’accès à l’école, à la formation, à l’emploi, à la protection sociale et au logement. A cet égard, elle dispose que « l’action poursuivie vise à assurer l’accès de l’enfant, de l’adolescent ou de l’adulte handicapé aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et son maintien dans un cadre ordinaire de scolarité, de travail et de vie. Elle garantit l’accompagnement et le soutien des familles et des proches des personnes handicapées ». De façon plus globale, la loi doit veiller à ce que les personnes handicapées soient bel et bien des citoyens à part entière, participant pleinement à la vie de la cité. L’affirmation simultanée, par la loi du 11 février 2005, dans son intitulé même, des dimensions de « participation » et de « citoyenneté » des personnes handicapées, constitue à cet égard un apport essentiel.

Le libre choix du projet de vie et l’affirmation du droit à la participation

La loi du 11 février 2005 entend permettre à chaque personne handicapée, quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie, de voir satisfaits ses besoins spécifiques, afin de compenser les conséquences de son handicap, par l’octroi de prestations en nature (aides humaines et techniques) ou financières, ou bien encore de services d’accompagnement à la vie en milieu ordinaire ou en établissement. La loi prévoit que les besoins de compensation doivent être inscrits dans un « plan élaboré en considération des besoins et des aspirations de la personne handicapée tels qu’ils sont exprimés dans son projet de vie, formulé par la personne elle-même ou, à défaut, avec ou pour elle par son représentant légal lorsqu’elle ne peut exprimer son avis ». Afin de permettre une compensation adaptée, il importe de prendre en considération, au-delà des seules limitations fonctionnelles, les aptitudes et les capacités des personnes, ainsi que leurs aspirations et celles de leur famille.

Afin de permettre une meilleure participation à la vie sociale tout au long de la vie, la loi de 2005 se fixe pour objectifs d’assurer une véritable intégration scolaire, de faciliter l’insertion professionnelle et de rendre le cadre de vie plus accessible.

La loi de 2005 impose à l’Éducation nationale d’accueillir tous les enfants handicapés dans l’école la plus proche de leur domicile ou d’assurer, si nécessaire, leur scolarisation dans des établissements adaptés. Cette prise en charge doit être effective dès l’école maternelle et sans discontinuité, dans le but de permettre à chaque enfant de suivre un parcours de formation élaboré avec ses parents et valorisant au mieux ses capacités.

L’insertion professionnelle en milieu ordinaire devant être facilitée, les entreprises doivent procéder aux aménagements nécessaires, notamment grâce à des aides financières publiques. Au niveau de l’emploi public, la loi vient instaurer une sanction pécuniaire en cas de violation de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés posée par la loi du 10 juillet 1987 et instaure un fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (FIPH) commun aux trois fonctions publiques.

Parallèlement, la loi de 2005 réaffirme l’utilité du travail en milieu protégé, tant pour les personnes qui ne peuvent travailler en milieu ordinaire, qu’à l’égard des personnes pour lesquelles le travail en milieu protégé constitue un tremplin vers le milieu ordinaire. La loi transforme les ateliers protégés en entreprises adaptées, mieux insérées dans le milieu de travail ordinaire et instaure des passerelles entre milieu ordinaire et milieu protégé afin de tenir compte des possibilités d’évolution de chacun.

Afin de rendre effective l’obligation d’accessibilité à toute personne, quelle que soit la nature de son handicap, des espaces publics, des transports et du cadre bâti, la loi du 11 février 2005 étend cette obligation aux établissements recevant du public, ainsi qu’au cadre bâti existant lorsqu’il fait l’objet de travaux. De plus, un volet accessibilité doit obligatoirement être inscrit dans les plans de déplacements urbains, après consultation des associations représentatives des personnes handicapées. L’ensemble de ces dispositions est assorti d’incitations et de sanctions.

S’agissant de leurs ressources financières, les personnes handicapées doivent bénéficier de l’ensemble des revenus de droit commun. La garantie de ressources pour les personnes handicapées se compose de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) créée en 1975 et d’un complément de ressources. La loi de 2005 vient faciliter le cumul de l’allocation aux adultes handicapés avec le revenu d’activité perçu par les personnes handicapées qui peuvent travailler.

Une nouvelle approche décentralisée de la prise en charge du handicap

Soucieuse de placer la personne handicapée au cœur des dispositifs qui la concernent, la loi du 11 février 2005 entend réunir l’ensemble des acteurs au sein d’instances rénovées afin, tout à la fois, d’opérer une simplification des démarches et d’améliorer l’efficacité.

La nouvelle architecture des services compétents en matière de handicap, repose sur une organisation désormais décentralisée relevant du conseil départemental. Le nouveau dispositif s’appuie sur la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), qui abrite la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).

Chaque département est doté d’une Maison des personnes handicapées, qui constitue un « guichet unique » chargé de l’accueil et de l’information des personnes handicapées. La MDPH comporte une équipe pluridisciplinaire chargée de prendre en compte les aspirations de la personne invitée à concevoir elle-même un projet de vie et de procéder à l’évaluation de ses aptitudes et de ses besoins, afin de lui proposer un plan personnalisé de compensation à partir duquel seront prises les décisions d’orientation et de financement, dont la MDPH assurera le suivi de la mise en œuvre.

Au sein de chaque Maison départementale est créée une Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, composée de représentants du département, des services de l’État, des organismes de protection sociale et des personnes qualifiées désignées par les associations. La CDAPH, qui comporte une section « adultes » et une section « enfants », prend, sur la base de l’évaluation réalisée par l’équipe pluridisciplinaire et du plan de compensation proposé par cette dernière, les décisions de reconnaissance du handicap dont découle l’ouverture de droits. A l’égard des enfants, elle se prononce également sur la scolarisation et l’orientation professionnelle.

La loi du 11 février 2005 a posé un certain nombre d’obligations qui restent encore trop souvent conçues comme des obligations de moyens – lorsque la technique et le budget le permettent – et non comme des obligations de résultats visant à améliorer la vie des citoyens. Il en résulte une inapplication et une insuffisance de certaines dispositions de la loi du 11 février 2005, ce qui a valu à la France un rapport très critique du Comité des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées en 2021, puis un rappel à l’ordre du Comité européen des droits sociaux considérant, dans sa décision publiée le 17 avril 2023, que « le droit des personnes handicapées à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté a été violé en raison du fait que les autorités n’ont pas adopté de mesures efficaces dans un délai raisonnable pour remédier aux problèmes de longue date liés à l’accès inadéquat aux services de soutien, y compris le soutien financier, et à l’accès aux bâtiments et installations destinés au grand public, au logement et aux transports publics. »

Le constat de ces insuffisances ne doit cependant pas faire oublier l’apport essentiel qu’a constitué la loi du 11 février 2005, étape qu’il faut aujourd’hui dépasser, sur la voie qui doit mener à une société véritablement inclusive.