Les « grandes régions » ont 10 ans : l’âge de raison ?
Une décennie s’est écoulée depuis la loi n°2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral qui a procédé à la fusion de plusieurs régions métropolitaines. Quel bilan peut-on dresser de cette réforme ?
Par Nicolas Kada Professeur agrégé de droit public (Univ. Grenoble Alpes) et Codirecteur du GRALE (GIS Univ. Paris I Panthéon Sorbonne)
Pourquoi une telle réforme en 2015 ?
Avant leur regroupement décidé par la loi du 16 janvier 2015, les régions françaises étaient plutôt de taille moyenne avec une densité démographique parfois faible et un poids politique souvent dénoncé comme insignifiant. Les 22 régions métropolitaines auxquelles s’ajoutaient les 4 régions d’outre-mer conservaient un contour géographique défini depuis plus d’un demi-siècle, certaines présentant une continuité historique par rapport aux anciennes provinces là où d’autres apparaissaient comme artificielles. Il a fallu attendre 2009 et le rapport issu des travaux de la Commission Balladur puis 2013 avec le rapport des sénateurs Krattinger et Raffarin et enfin la déclaration de politique général du Premier ministre Manuel Valls en avril 2014 pour que s’impose l’idée d’un redécoupage. La loi du 16 janvier 2015 a ainsi réduit le nombre de régions en métropole de 22 à 13, en procédant à la fusion de 16 anciennes régions entre elles. Les régions d’outre-mer n’étaient pas concernées.
Pourquoi cette fusion régionale n’a pas convaincu ?
Mises en place dès le 1er janvier 2016, les grandes régions n’ont pas manqué de surprendre, tant en raison de la grande rapidité avec laquelle la réforme a été menée qu’en raison des choix alors effectués par le gouvernement. Celui-ci a en effet opté pour le regroupement de régions entières entre elles, sans chercher à corriger d’éventuelles incohérences ou à adapter la nouvelle carte régionale à la réalité des bassins de vie et grands centres urbains. Le droit d’option offert aux départements, tel que prévu par la loi dans un délai de 3 ans, n’a pas été utilisé puisqu’il leur aurait fallu obtenir l’accord préalable de leur région « d’origine », ce qui semblait peu probable.
Par ailleurs, cette réorganisation géographique n’a pas été complète, le gouvernement prêtant une attention particulière à certaines inquiétudes ou revendications locales (comme en Bretagne). Le nouveau découpage a fait disparaître certaines régions à forte identité mais a également permis pour certaines régions de retrouver une unité perdue (c’est le cas des deux Normandie), de revendiquer une nouvelle identité (Occitanie) ou de renouer avec leur histoire (Nouvelle Aquitaine). Il a cependant entraîné de fortes tensions en Alsace où la plupart des élus se sont opposés, en vain, à l’intégration dans une nouvelle région Grand Est… avant que cette situation ne relance la volonté de fusion des deux départements alsaciens et la naissance, le 1er janvier 2021, d’un grand département, doté de quelques compétences supplémentaires : la collectivité européenne d’Alsace.
Enfin, le poids politique des régions ne s’est pas accru par cette réforme : à de rares exceptions près, les personnalités qui président les conseils régionaux restent peu connues de l’opinion publique nationale. L’augmentation de la taille des régions, tant d’un point de vue démographique que géographique, a peut-être renforcé leur lisibilité au niveau européen, mais cela n’a en réalité guère de sens dans une Union européenne où le terme « région » désigne des réalités extrêmement diverses.
La fusion des régions a-t-elle permis de faire des économies ?
Dès 2019, la Cour des Comptes (Finances locales, fusion des régions : le bilan de la Cour des comptes | vie-publique.fr) se montre très sévère quant aux économies que cette réforme était censée générer. Au contraire, selon elle, les grandes régions ont d’abord dépensé davantage : les rémunérations des agents, les services rendus à la population comme les tarifs pratiqués ont systématiquement été alignés sur la région qui était initialement la plus généreuse. On se retrouve donc très loin des 12 à 25 milliards d’euros d’économies annoncées un peu hâtivement par le gouvernement au moment de la réforme.
En 2021, la Direction générale des collectivités locales (Fusions de régions : quel bilan sur le plan des finances ?) a néanmoins publié une étude un peu plus rassurante et dressé un bilan plus mesuré sur le plan financier. Elle a étudié de près l’évolution des dépenses de fonctionnement et d’investissement au niveau régional entre 2015 et 2019 : toutes les régions ont maintenu leurs dépenses de fonctionnement à un niveau identique à celui de 2015. Quant à l’investissement, celui-ci a vu son niveau s’accroître davantage sur la période dans les régions fusionnées, tout en améliorant leur capacité de désendettement. On serait donc loin du surcoût de la fusion dénoncé par la Cour des comptes deux ans plus tôt… sans pour autant avoir engendré les économies d’échelle espérées par le gouvernement à l’initiative de la réforme ni résolu la question du millefeuille territorial.