Par Rebecca Legendre, Professeur, Droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris Nanterre

En quoi cette affaire est-elle différente de celles jugées dans les arrêts du 2 octobre 2024 ?

Dans les arrêts du 2 octobre 2024, il était question d’enfants issus de gestations pour autrui réalisées au Canada et en Californie qui avaient pour parents d’intention un couple d’hommes de nationalité française et résidents en France. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 novembre 2024, l’enfant est aussi né par gestation pour autrui au Canada mais a pour parent d’intention une femme seule de nationalité française et résident en France qui n’est pas la mère biologique de l’enfant. L’enfant a été conçu avec un double don de gamètes, la mère porteuse n’ayant aucun lien biologique non plus avec celui-ci. Outre l’équipe médicale, quatre personnes ont donc été impliquées dans la réalisation de ce projet parental : la mère d’intention, la mère porteuse et les deux tiers donneurs/parents biologiques.

L’arrêt du 14 novembre soulève donc la question de savoir si l’absence de lien biologique entre la mère d’intention et l’enfant né par mère porteuse à l’étranger constitue un obstacle à la reconnaissance en France du lien de filiation. Si la question n’est pas nouvelle, elle ne s’est jamais présentée sous ce jour : jusqu’à présent, l’enfant avait toujours un lien biologique, au moins, avec l’un des parents d’intention. De sorte que la Cour de cassation confortée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, avis consultatif du 10 avril 2019, n° 16-2018-001) avait, un temps, considéré que le lien de filiation pouvait seulement être reconnu avec le parent d’intention qui est le parent biologique de l’enfant, à charge pour le parent d’intention qui n’a pas de lien biologique avec l’enfant de l’adopter. Elle a par la suite ouvert la porte à la reconnaissance pleine et entière du lien de filiation avec le parent d’intention, sans tenir compte de l’existence d’un lien biologique (A.P. 4 oct. 2019, n° 10-19.053). Mais c’était sans compter l’intervention du législateur français qui, lors de la loi du 2 août 2021, a souhaité briser cette jurisprudence. Il reste que la réforme bioéthique ne s’est souciée que de la transcription des actes d’état civil étrangers en modifiant les modalités d’appréciation de leur force probante lesquels doivent désormais être conformes à la « réalité française » (art. 47 c. civ.). Ce faisant, le législateur a laissé entière, la question, au fond, de la reconnaissance du lien de filiation.

Cette question est revenue à la Cour de cassation par la voie de l’exequatur dans les arrêts du 2 octobre dernier. L’exigence ou non d’un lien biologique avec le parent d’intention n’avait toutefois pas été abordée par la Cour, cette dernière ayant focalisé son contrôle sur le consentement de la mère porteuse à la gestation pour autrui et à ses conséquences sur ses droits parentaux à l’égard de l’enfant. Ce silence laissait déjà augurer de l’indifférence de la réalité biologique sur la reconnaissance du lien de filiation avec le parent d’intention. L’arrêt du 14 novembre l’a confirmé dans le cadre, à nouveau, d’une procédure d’exequatur. En l’espèce, la Cour d’appel avait accordé l’exequatur au jugement canadien et lui avait fait produire les effets d’une adoption plénière. Ces deux points ont été contestés par le ministère public dans son pourvoi.

Qu’a décidé la Cour de cassation ?

La Cour a cassé l’arrêt de la Cour d’appel seulement en ce qu’il a fait produire au jugement étranger les effets d’une adoption plénière. Cette solution confirme celle déjà consacrée dans les arrêts du 2 octobre sur le fondement du principe de non révision. En revanche, le pourvoi a été rejeté sur le moyen tiré de la violation de l’ordre public international français dont le respect constitue l’une des trois conditions de régularité des jugements étrangers vérifiées par le juge français dans le cadre de la procédure d’exequatur.

A ce titre, la Cour de cassation a énoncé qu’« il résulte de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, avis consultatif du 10 avril 2019, n° 16-2018-001), qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle à la reconnaissance en France des liens de filiation établis à l’étranger tant à l’égard du parent biologique qu’à l’égard du parent d’intention (Ass. plén., 4 octobre 2019, pourvoi n°10-19.053, publié) » (n° 11).

La Cour de cassation semble donc avoir renoué avec la jurisprudence que le législateur souhaitait pourtant combattre. Au soutien de sa décision, est invoqué le respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et, notamment, l’avis de la Cour de Strasbourg rendu dans l’affaire Mennesson II. Dans cet avis, la Cour européenne était toutefois restée très réservée. Avait seulement été condamnée, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, « l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention » (point 42), invitant les Etats parties à se livrer à un « examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise » (point 42). De sorte que l’adoption de l’enfant par le parent d’intention dépourvu de lien biologique avec celui-ci avait été jugée conforme à l’article 8. A la suite de cet avis, la Cour européenne avait réaffirmé son attachement à l’élaboration de solutions sur mesure : en fonction des circonstances propres à chaque espèce, le refus des Etats parties d’établir un lien de filiation – par reconnaissance ou reconstruction d’un lien adoptif – entre l’enfant et le parent d’intention non biologique était tantôt condamné tantôt toléré. Aussi la Cour de cassation est-elle, à nouveau, allée plus loin dans cet arrêt que ce que lui prescrivait la juridiction européenne.

Elle a en outre considéré qu’« aucun principe essentiel du droit français n’interdit la reconnaissance en France d’une filiation établie à l’étranger qui ne correspondrait pas à la réalité biologique » (n° 12). Pour statuer ainsi, la Cour s’est appuyée sur l’évolution des fondements du droit de la filiation et, notamment, sur la remise en cause du modèle biologique hétéronormatif par l’admission de la PMA avec tiers donneur. Puisqu’il est désormais possible, en droit français, d’établir une filiation contraire à la réalité biologique qui est fondée sur un « engagement personnel » de construire un « projet parental commun » (n° 15), l’interdiction de la reconnaissance en France d’une filiation établie à l’étranger contraire à la réalité biologique ne pourrait être érigée en principe d’ordre public international. Un tel raisonnement peut prêter à discussion. Car la question ne porte pas tant sur « la reconnaissance en France d’une filiation établie à l’étranger qui ne correspondrait pas à la réalité biologique » que sur celle de la reconnaissance d’une filiation d’un enfant issu d’une gestation pour autrui réalisée par une femme seule avec un double don de gamètes. Or sur cette question, il est discutable de ne pas voir dans la prohibition de la gestation pour autrui énoncée à l’article 16-7 du Code civil un principe essentiel du droit français, ce d’autant plus lorsque le législateur s’est prononcé en ce sens lors de la dernière réforme bioéthique. Au reste, rien n’empêchait la Cour de cassation de juger que la reconnaissance du lien de filiation était contraire à l’ordre public international français pour, dans un second temps, écarter cette contrariété en opérant un contrôle de proportionnalité. Cette alternative aussi symbolique qu’elle puisse paraître aurait, au moins, eu le mérite de préserver les objectifs du droit international privé et la protection qu’il a toujours accordé à la cohésion de l’ordre interne, tout en respectant les impératifs et la logique des droits fondamentaux.

Reste la fraude de la loi qui n’avait pas été soulevée par le pourvoi mais sur laquelle la Cour de cassation a dit quelques mots. Pour la Haute-juridiction, l’absence de lien biologique entre l’enfant et la mère porteuse d’une part et la mère d’intention d’autre part, ne « suffisait pas à caractériser l’existence d’une fraude à l’adoption internationale dont il n’était pas précisé quelles règles auraient été contournées » (n° 18). Ces motifs pourraient encore être discutés dans la mesure où, depuis la loi du 21 février 2022, les démarches individuelles d’adoption internationale sont proscrites, comme l’a souligné l’Avocat général.

Pour autant, et malgré toutes ces considérations, la Cour de cassation a, par sa solution, eu à cœur de protéger l’intérêt de l’enfant en évitant que ce dernier soit puni des fautes de ses parents. Aussi a-t-elle refusé que l’état civil de l’enfant puisse être, ici, un instrument de répression de l’illicéité.

Quelle est la portée de cette décision ?

Quelques jours à peine après son adoption, des voix se sont déjà élevées contre cette décision. Il faut bien comprendre que l’arrêt du 14 novembre s’inscrit dans un contexte politique et juridique très divisé sur la question de la GPA et de ses effets lorsqu’elle est pratiquée à l’étranger. D’un côté, la Commission européenne a proposé, le 7 décembre 2022, d’adopter un règlement européen en matière de filiation, dont l’objectif est de promouvoir la reconnaissance mutuelle du lien de filiation entre Etats membres, et dont l’arrêt se fait l’écho. De l’autre côté, le Parlement européen a voté, le 23 avril 2024, un amendement modifiant la directive sur la traite des êtres humains pour y inclure l’exploitation de la GPA et l’Italie vient d’incriminer le fait de recourir à une GPA à l’étranger.

De telles tensions laissent penser que l’arrêt du 14 novembre n’est sans doute pas le dernier et que les choses sont encore amenées à évoluer. Notamment parce que la reconnaissance du lien de filiation de l’enfant né par GPA à l’étranger créé, il est vrai, une rupture d’égalité entre les ressortissants et/ou résidents français qui ont les moyens de recourir à une mère porteuse à l’étranger et ceux qui en sont dépourvus. Plus loin, l’arrêt du 14 novembre pourrait être perçu comme une invitation à une réforme en profondeur du droit de la filiation dont les modèles sont en crise et les fondements à réinventer.

En attendant, il faut veiller à ne pas extrapoler la portée de cette décision. La Cour de cassation ne s’est pas prononcée en faveur d’une reconnaissance systématique du lien de filiation, comme elle l’avait fait dans sa jurisprudence précédent la réforme bioéthique. Un contrôle est maintenu sur le consentement de la mère porteuse à la GPA et à ses effets sur la renonciation à ses droits parentaux. Et ce contrôle est réaffirmé et mis en l’œuvre en l’espèce. En revanche – et c’est ce qu’il faut donc retenir –, l’existence d’un lien biologique entre l’enfant et le parent d’intention n’est plus un paramètre du contrôle du juge de l’exequatur. Reste que ce contrôle pourrait, à l’avenir, être renforcé en tenant compte d’autres éléments que le seul consentement de la mère porteuse tels que les conditions d’accès de l’enfant à ses origines personnelles à l’étranger, les raisons ayant justifié le recours à la GPA, la rétribution financière de la mère porteuse ou encore l’âge des parents d’intention, autant de circonstances qui peuvent avoir une influence sur l’intérêt de l’enfant à la reconnaissance du lien de filiation. Sur un sujet aussi sensible mettant en cause des intérêts antagonistes et des situations toujours très différentes les unes des autres, la recherche de solutions équilibrées exige, ici sans doute plus qu’ailleurs, la prise en compte des circonstances propres à chaque espèce.