Gestation pour autrui à l’étranger : du nouveau dans la reconnaissance du lien de filiation
Le 2 octobre 2024, la Cour de cassation a rendu deux décisions très attendues concernant l’exequatur de jugements établissant la filiation d’enfants issus de gestations pour autrui réalisées à l’étranger. Une question sur laquelle la Cour de cassation achoppe depuis une quinzaine d’années.

Par Rebecca Legendre, Professeur, Droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris Nanterre
Qu’est-ce que la procédure d’exequatur en cause dans ces deux affaires ?
Deux couples d’hommes résidant en France se sont rendus au Canada, pour le premier couple, et en Californie, pour le second, afin d’y réaliser une gestation pour autrui. Par des décisions de justice canadienne et californienne, les deux membres de chaque couple ont été déclarés comme parents légaux des enfants. Une fois rentrés en France, les deux couples ont saisi le juge français d’une action en exequatur des décisions étrangères afin que leur lien de filiation avec les enfants soit reconnu et que des actes d’état civil français leur soient délivrés.
Arrêtons-nous un moment sur cette action. La procédure d’exequatur est une procédure judiciaire qui a pour objet d’autoriser l’exécution forcée d’un jugement étranger sur le territoire français et au cours de laquelle le juge français va apprécier sa régularité. Une telle procédure n’est cependant pas systématique : certains jugements étrangers peuvent automatiquement produire des effets en France. C’est ce qu’on appelle l’effet « de plein droit ». Dans ce cas, on présume que le jugement étranger est régulier. C’est notamment le cas des jugements rendus en matière d’état des personnes qui peuvent être transcrits – c’est-à-dire mentionnés – sur les registres d’état civil français indépendamment de toute déclaration d’exequatur, comme le rappelle la Cour de cassation dans ces affaires.
Aux cas d’espèce, les jugements canadiens et californiens auraient donc pu produire des effets de plein droit en France et, sous réserve de leur transcription, conduire à la délivrance d’actes d’état civil français. Comment dès lors expliquer qu’une procédure d’exequatur ait tout de même été intentée ? Par cette démarche, les parents d’intention ont sans doute souhaité sécuriser le lien de filiation avec les enfants. Car la transcription d’un jugement étranger sur les registres de l’état civil français est une simple mesure de publicité qui n’emporte pas, à proprement parler, la reconnaissance du lien de filiation. Autrement dit, la transcription d’un jugement étranger sur les registres d’état civil français ne le purge pas de ses éventuelles irrégularités et ne protège donc pas les intéressés d’une action ultérieure en contestation du lien de filiation. Seule la procédure d’exequatur permettait donc de statuer, au fond et de manière définitive, sur la validité du lien de filiation.
Il reste que leur démarche n’a pas été couronnée du succès espéré : les juges du fond ont refusé d’accorder l’exequatur au jugement canadien et, bien qu’ils l’aient octroyée au jugement californien, ils ont considéré que la filiation qui en résultait devait être assimilée à une adoption. Des pourvois en cassation ont été formés, donnant l’occasion à la Cour de préciser le contrôle du juge français pour accorder l’exequatur à ces décisions et, partant, les conditions de la reconnaissance du lien de filiation.
Quel est le contrôle exercé par le juge français pour reconnaître le lien de filiation ?
Pour accorder l’exequatur, le juge français doit s’assurer que le jugement étranger est régulier. Il n’est pas ici question pour le juge français de rejuger l’affaire – cela lui est même interdit ! – mais de vérifier, en règle générale, que le jugement remplit trois conditions : la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur l’existence d’un rattachement avec le litige, l’absence de fraude et la conformité du jugement à l’ordre public international de fond et de procédure – autrement dit, le respect des valeurs fondamentales et des principes essentiels du droit français.
Naturellement, ces trois exigences s’appliquent, en l’absence de convention internationale, aux décisions établissant la filiation d’un enfant né d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger, comme le rappelle la Cour de cassation en l’espèce. Or, l’une d’elle – le respect de l’ordre public international de procédure – faisait justement débat dans l’affaire canadienne. Les juges du fond avaient en effet refusé d’accorder l’exequatur au jugement canadien au motif que ce dernier était insuffisamment motivé. Cette insuffisance de motivation tenait, selon la Cour d’appel, à ce que le jugement, tel qu’il était rédigé, ne permettait pas d’identifier la mère porteuse et de déterminer si elle avait consenti à renoncer à ses droits parentaux à l’égard de l’enfant. Au demeurant, le couple n’avait fourni aucun élément de nature à combler ces lacunes et à, ainsi, pallier la motivation défectueuse du jugement étranger.
Ce raisonnement est approuvé par la Cour de cassation. Cette dernière rejette le pourvoi formé contre cet arrêt et énonce de manière solennelle que « le juge de l’exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d’équivalent qui lui sont fournis, d’identifier la qualité des personnes mentionnées qui ont participé au projet parental d’autrui et de s’assurer qu’il a été constaté que les parties à la convention de gestation pour autrui, en premier lieu la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux ». Aussi la Cour de cassation considère-t-elle que le refus de la Cour d’appel d’accorder l’exequatur au jugement canadien, était en l’espèce justifié.
Rien de tel en revanche dans l’affaire californienne. Cette fois-ci, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel qui a, certes, accordé l’exequatur au jugement californien, mais a retenu que ce jugement devait produire en France les effets d’une adoption. Or, en statuant ainsi, la Cour d’appel a révisé le jugement californien qui établissait un lien de filiation sans prononcer d’adoption. Comme le précise la Cour de cassation, si le jugement étranger est régulier, la filiation qu’il établit doit être reconnue en tant que telle en France, sans que le juge français puisse lui faire produire plus d’effets ou des effets différents de ce qu’il prévoit. Admettre le contraire, ce serait permettre au juge français de rejuger l’affaire, ce qui – on l’a déjà dit – lui est interdit.
Quelle est l’impact de ces deux décisions ?
Ces deux décisions viennent clarifier le droit français sur la question de la reconnaissance du lien de filiation des enfants issus de gestation pour autrui à l’étranger dont le sort restait très incertain à la suite des nombreuses fluctuations jurisprudentielles et législatives.
On se souvient qu’après plusieurs hésitations et rebondissements, la Cour de cassation a décidé d’autoriser la transcription totale des actes civils étrangers établissant la filiation d’enfants issus de gestation pour autrui à l’étranger, sur les registres d’état civil français, ce qui, en pratique, conduisait à la reconnaissance pleine et entière du lien de filiation (A.P. 4 oct. 2019, n° 10-19.053). Le législateur a alors profité de la dernière réforme bioéthique pour mettre un coup d’arrêt à cette jurisprudence qu’il estimait trop libérale. Il reste que la loi du 2 août 2021 a soulevé plus d’interrogations qu’elle n’a résolu le problème auquel elle croyait s’attaquer. Pourquoi ? Parce que le législateur ne s’est soucié que de la transcription des actes d’état civil étranger qui n’est – rappelons-le – qu’une mesure de publicité. Ainsi la question, au fond, de la reconnaissance du lien de filiation n’avait pas été touchée par la réforme et restait donc affectée d’un fort coefficient d’incertitude.
On peut donc se réjouir de ce que la Cour de cassation soit venue dissiper ces interrogations. Désormais, pour que le lien de filiation d’un enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger soit reconnu en France, il faut que le jugement qui établit la filiation présente un certain nombre de garanties comme l’identification de la mère porteuse et la vérification de son consentement à la renonciation de ses droits parentaux à l’égard de l’enfant. En cela, la Cour de cassation préserve l’esprit de la réforme voulue par le législateur en 2021 : il n’est pas question de reconnaître tous les liens de filiation mais seulement ceux qui procèdent d’une GPA « éthique », à charge pour les parents d’intention d’en rapporter la preuve, au besoin à l’aide d’éléments extérieurs au jugement. Exit donc les GPA « low cost » dans lesquelles les droits de la mère porteuse n’auraient pas été respectés.
Il reste que les arrêts du 2 octobre n’ont sans doute pas résolu toutes les difficultés. Que faire si le lien de filiation n’a pas été établi à l’étranger par un jugement ? Dans ce cas, la procédure d’exequatur n’a pas lieu d’être. Reste alors l’action en transcription de l’acte civil étranger établissant la filiation sur les registres d’état civil français avec tous les défauts et les incertitudes qu’elle présente depuis la réforme de 2021. Affaire à suivre donc.