Par Pernilla Dahlrot-Cabouillet, Avocate chez Dahlrot § Cabouillet, membre des Barreaux de Paris et de Suède

Pourquoi le nom d’un suspect n’est jamais divulgué publiquement lorsqu’une enquête est en cours en Suède ? 

C’est le code sur la publicité et la confidentialité suédois qui prévoit, en son chapitre 18, la confidentialité pour protéger principalement les intérêts de la prévention ou de la poursuite d’infractions pénales. En effet, le premier paragraphe dispose que « la confidentialité s’applique aux informations relatives à une enquête pénale ou à une question concernant l’utilisation de mesures coercitives dans une telle affaire ou dans d’autres activités visant à prévenir les infractions, si l’on peut supposer que l’objectif des mesures décidées ou prévues sera contrarié ou que les activités futures seront compromises si l’information est divulguée » (traduction effectuée par la Rédaction).

Ainsi, l’enquête est, en Suède, toujours confidentielle afin de protéger la victime mais également le mis en cause : la présomption d’innocence demeure et oblige à la discrétion. Cette confidentialité permet aussi à la police judiciaire de mener l’enquête de manière efficace, avant que l’opinion publique ne s’empare de l’affaire. En interdisant la divulgation de faits, on assure le bon déroulement de l’enquête, sans influence extérieure. Ce secret, qui entoure l’enquête, n’est pas nouveau. Il fait partie de la tradition judiciaire suédoise, au moins depuis l’adoption en 2009 du code sur la publicité et la confidentialité suédois.

Que signifie, comme on l’a lu dans cette affaire Mbappé, être « raisonnablement suspect » ?

Le code pénal suédois « Rättegångsbalk » précise, en son chapitre 23, paragraphe 18, que « lorsque l’enquête a atteint le stade où une personne est raisonnablement soupçonnée de l’infraction, le suspect est informé de ce soupçon lorsqu’il est entendu » (traduction effectuée par la Rédaction).

Ce terme désigne alors un degré de suspicion très léger. Il est caractérisé selon les éléments de preuve présents dans le dossier. Une personne peut être considérée comme « raisonnablement suspecte » après le dépôt d’une plainte, la réalisation d’un examen médical ou encore du fait de l’existence d’un témoin.

En l’espèce, il semblerait que la police se soit rendue à l’hôtel dans lequel logeait Kylian Mbappé pour une perquisition après qu’une plainte a été déposée et un examen médical réalisé sur ladite victime. Ainsi, ces éléments suffisent à qualifier une personne de « raisonnablement suspecte », sans pour autant faire d’elle une personne « probablement suspecte », qui est le degré de suspicion supérieur.

À ce stade de la procédure, l’enquête peut être classée sans suite s’il ressort de l’affaire qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments recueillis. À l’inverse, si les éléments recueillis sont probants, Kylian Mbappé, dont le nom n’a pas été confirmé par les autorités judiciaires, pourrait être considéré comme « probablement suspect » et ainsi poursuivi par la procureure de Stockholm. Il pourrait alors être placé en garde à vue.

Que dit la loi suédoise sur le viol depuis 2018 ?

Le législateur a durci, en 2018, la législation sur le viol. Avant 2018, le viol était uniquement commis sous violence, pression ou menace, comme en France. Depuis 2018, la notion de consentement est centrale dans la qualification du viol : ce dernier est défini comme « tout acte sexuel sans accord explicite ».

Le 1er juillet 2018, la loi sur les infractions sexuelles, notamment son chapitre 6, a été modifiée pour établir plus clairement que la caractérisation du viol repose sur le fait que la participation à l’activité sexuelle ait été involontaire, que cette absence de volonté ait été exprimée ou non. L’objectif de cette loi est ainsi de reconnaître à tout être humain un droit inconditionnel à l’intégrité personnelle et sexuelle et à l’autodétermination sexuelle.

Ainsi, il faut s’assurer que le partenaire participe volontairement à l’acte, que cette volonté soit manifestée par des gestes ou des mots. L’absence de « non » ne suffit pas à prouver le consentement de l’intéressé puisque la participation doit être active et volontaire. Avec cette loi, l’idée de consentement implicite a été balayée.

Sans preuve de consentement, le viol peut être caractérisé et est passible de trois à six ans de prison. En cas de circonstances aggravantes, la peine peut aller jusqu’à 10 ans.

Le procureur va interroger le suspect afin que ce dernier prouve qu’il avait recueilli le consentement de son partenaire : « Comment saviez-vous que la personne participait activement ? » est un exemple de question qui permet au procureur de déterminer la nature juridique des faits.

En parallèle de cette définition renforcée du viol, basée sur l’absence de consentement, ont vu le jour les crimes de viol par négligence et d’abus sexuel par négligence, visant les situations dans lesquelles l’auteur du crime n’avait pas d’intention de le commettre.

Mbappé, de retour en Espagne, pourrait-il être contraint de comparaître en Suède ou faire l’objet d’un mandat d’arrêt ?

Cette question dépend de l’évolution de l’enquête. SSDans le cas où il y aurait suffisamment de preuves ou d’éléments de preuve à l’encontre de Kylian Mbappé, il serait en effet obligé de comparaître devant un tribunal suédois. À l’inverse, si les éléments ne permettent pas de poursuivre l’enquête, elle sera classée sans suite.

À l’heure actuelle, on ne peut se prononcer sur une potentielle comparution de Kylian Mbappé, qui dépendrait bien évidemment des poursuites à son encontre mais également de la charge du travail du tribunal ou encore du nombre de témoins éventuels à auditionner.

Avant une décision éventuelle de poursuivre, aucun autre fait ne devrait être divulgué.