Les gouvernements démissionnaires bientôt sous contrôle parlementaire ?
L’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, une proposition de loi visant à renforcer le contrôle parlementaire des mesures prises par un Gouvernement démissionnaire expédiant les affaires courantes.

Par Damien Connil, Chargé de recherche CNRS, Université de Pau (UMR DICE-IE2IA)
D’où vient cette proposition de loi ?
Ce texte est le prolongement d’une mission d’information flash sur le régime des actes administratifs pris par un Gouvernement démissionnaire, réunie après les élections de juin et juillet 2024 et plusieurs semaines au cours desquelles le gouvernement de Gabriel Attal « expédiait les affaires courantes », selon l’expression consacrée.
La période avait suscité de nombreuses interrogations : de la participation des ministres, élus députés, aux premiers votes de la nouvelle assemblée (v. Cons. const., décision n° 2024-58/59 ELEC, 31 juillet 2024 et CE 18 octobre 2024, req. n°496362 et 496532) jusqu’aux périmètres et limites du champ d’action du Gouvernement en ces circonstances. Deux notes du Secrétariat général du Gouvernement, en juillet 2024, en avaient rappelé le cadre.
Créée en octobre, la mission flash avait procédé à une quinzaine d’auditions (soit une trentaine de personnalités) et deux déplacements à l’étranger (Belgique et Pays-Bas) avant de rendre ses conclusions (Rapport d’information n°712, 11 décembre 2024). À son terme, onze recommandations étaient formulées. Certaines de « bonnes pratiques », selon la formule des rapporteurs, peuvent être mises en œuvre à droit constant (rôle des commissions permanentes, questions écrites et orales, déclaration suivie d’un débat). D’autres supposent l’adoption de nouveaux dispositifs législatifs (information du Parlement, rapport du Gouvernement, intérêt à agir des parlementaires) voire constitutionnels (pour inscrire dans le texte le principe d’expédition des affaires courantes ou prévoir la réunion de plein droit du Parlement en cas de période supérieure à 15 jours, notamment).
Dans cette perspective, les rapporteurs de la mission d’information, auxquels s’est joint le président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, ont déposé deux propositions de loi visant à renforcer le contrôle du Parlement : l’une constitutionnelle (n°915), l’autre ordinaire (n°960). C’est de cette dernière dont il s’agit.
Qu’apporte le texte ?
D’abord, c’est une illustration de la complémentarité des fonctions du Parlement. Une mission de contrôle conduit à une initiative législative qui porte elle-même sur le contrôle du Gouvernement par le Parlement.
Ensuite, la proposition contient deux articles visant à modifier l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Le premier y ajoute une disposition reconnaissant l’intérêt à agir, par la voie du recours pour excès de pouvoir, des présidents des assemblées parlementaires, des présidents des commissions permanentes et des présidents des groupes parlementaires contre les actes pris par un Gouvernement démissionnaire expédiant les affaires courantes.
Au soutien de leur proposition, les rapporteurs du texte rappellent que les parlementaires n’ont pas, ès qualités, un intérêt à agir devant le juge administratif citant la jurisprudence du Conseil d’État (not. la décision CE 23 nov. 2011, req. n°341258). Ils soulignent également que plusieurs initiatives parlementaires ont tenté, en vain jusqu’à présent, selon des modalités diverses, de proposer une modification en ce sens. Surtout, ils fondent un tel intérêt à agir, circonscrit aux actes pris en période d’expédition des affaires courantes, sur les moyens de contrôle institutionnels limités du Parlement à l’égard d’un Gouvernement, alors, démissionnaire.
La raison traditionnelle de l’absence d’intérêt à agir des parlementaires tient principalement en une volonté de ne pas transposer ou prolonger le débat – et, le cas échéant, le désaccord – politique sur le terrain contentieux et, donc, de ne pas conduire le juge administratif à intervenir dans un tel conflit. L’enjeu est certain lorsque les prérogatives du Parlement ou les moyens d’action des parlementaires se trouvent affectés (v., déjà, R. Keller, concl. sur CE Ass., 9 juillet 2010, req. n°327663 et autres, Rec. p. 268). La question est celle des droits du Parlement et/ou des parlementaires.
Sans doute, faut-il lire en ce sens la proposition initiale qui reconnaissait un intérêt pour agir aux présidents des assemblées et aux présidents des commissions permanentes. L’ajout, en commission par un amendement, des présidents de groupes est, lui, davantage révélateur de l’importance désormais saisie de ces derniers et du rôle qu’ils peuvent jouer. A fortiori dans un contexte d’absence de majorité absolue et d’augmentation du nombre des groupes.
Le second article introduit, quant à lui, des exigences d’information du Parlement (après la démission du Gouvernement, après une motion de censure ou après la désapprobation du programme ou d’une déclaration de politique générale du Gouvernement). Le texte énumère les actes que le Gouvernement « transmet sans délai » aux deux assemblées : les ordonnances et décrets, les actes réglementaires et non réglementaires pris par les ministres et leurs circulaires et instructions de portée générale et les décrets du Président de la République soumis à contreseing en matière de nomination (art. 13, al. 3 de la Constitution et art. 1er de l’ord. n°58-1136). Dans un délai de 2 mois à compter de sa nomination, le nouveau Gouvernement doit également remettre au Parlement un rapport sur la période d’expédition des affaires courantes qui a précédé. S’y ajoute enfin une disposition, introduite par un amendement en séance, cette fois, pour garantir la possibilité à l’Assemblée nationale et au Sénat de questions écrites et orales au Gouvernement démissionnaire.
De ce point de vue, la proposition s’inscrit dans une volonté de renforcer le contrôle parlementaire. Le modèle est, comme le soulignaient la mission flash et le rapport sur la proposition de loi, le contrôle opéré, en de toutes autres circonstances, en période d’état d’urgence. Le renforcement passe, alors, par une meilleure information du Parlement – en temps réel et a posteriori – afin qu’il soit rendu compte de l’activité du Gouvernement.
Quelle est la suite désormais pour ce texte ?
Amendée, la proposition de loi ordinaire a été adoptée, en première lecture, à l’unanimité, à l’Assemblée nationale, le 2 avril et a été, le lendemain, transmise au Sénat qui en est désormais saisi (Texte n°513).