Ministre « démissionnaire » : un ministre encore, mais autrement en fonctions
Le Premier ministre François Bayrou a nommé son gouvernement le 23 décembre. Jusqu’alors, les ministres du précédent gouvernement étaient dits « démissionnaires » et étaient en charge des affaires courantes. Qu’est-ce qu’un ministre démissionnaire ?
Par Olivier Gohin, professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas
La notion de ministre « démissionnaire »
La démission d’un ministre de la Ve République, au sens large de tout membre d’un Gouvernement autre que le Premier ministre, résulte d’un accord entre les deux autorités exécutives. En effet, par parallélisme des formes, c’est « sur la proposition du Premier ministre » que le Président de la République « nomme les autres ministres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions » (Const., art. 8, al. 2). Il peut le faire à titre individuel, à la suite d’une démission volontaire ou forcée, à l’occasion alors d’un remaniement ministériel ou non. En cas de démission individuelle, la valse des ministres est à trois temps :
– la démission est proposée au Premier ministre : le ministre de plein exercice devient démissionnaire ;
– la démission est acceptée par les deux autorités exécutives, avec effet immédiat ou reporté, : le ministre est encore démissionnaire ;
– la démission est effective coutumièrement dès l’installation dans ses fonctions du successeur de plein exercice (ou passation de pouvoirs) : le ministre démissionnaire est alors démissionné, c’est-à-dire déchargé de sa mission.
Mais, la démission des ministres peut aussi être provoquée et collective, au double titre de la primauté politique du Premier ministre et de la solidarité gouvernementale : sont démissionnaires tous les membres du Gouvernement en conséquence de la seule démission du Premier ministre, volontaire (Jacques Chirac en août 1976) ou forcée résultant :
– soit d’une coutume constitutionnelle malmenée (par ex., si Jean Castex démissionne, en mai 2022, après l’élection présidentielle, Élisabeth Borne ne démissionne pas, en juin 2022, après les élections législatives, contrairement à Édouard Philippe, en juin 2017, ou à Gabriel Attal, en juillet 2024) ;
– soit du texte constitutionnel certain (art. 50 ; par ex., la démission de Georges Pompidou, en octobre 1962, après adoption d’une motion de censure contre son Gouvernement (art. 49, al. 2).
De même, fin 2024, la démission collective, imposée par la censure adoptée le 4 décembre (Const., art. 49, al. 3), oblige le Premier ministre Michel Barnier à remettre au Président Emmanuel Macron la démission de son Gouvernement. Elle est présentée et acceptée, le lendemain, par le décret relatif à la cessation des fonctions du Gouvernement dont tous les membres sont ainsi démissionnaires au 5 décembre. Cependant, alors que le Premier ministre démissionnaire n’est remplacé que le 13 décembre et donc démissionné à cette date, les ministres démissionnaires sont eux-mêmes démissionnés au jour de l’installation de leurs successeurs, nommés dans le nouveau Gouvernement Bayrou, le 23 décembre, sauf à y reprendre le même ministère, dans un périmètre inchangé ou modifié, ou à en prendre un autre. Ainsi, Bruno Retailleau, est reconduit place Beauvau, mais comme ministre d’État, après une transition de onze jours, du 13 au 23 décembre, en tant que ministre démissionnaire.
La gestion de principe des « affaires courantes » par le ministre démissionnaire
Or, quel que soit le motif de sa démission, les compétences d’un ministre démissionnaire ne sauraient être, par définition, celles d’un ministre de plein exercice. C’est précisément cette restriction des pouvoirs du ministre, en tant que chef d’administration d’État, qui est retenue par la jurisprudence, sous la dénomination de « gestion des affaires courantes », dans le contexte de la IVe République, à l’instabilité gouvernementale légendaire : un Gouvernement tous les six mois, en moyenne. Car, il résulte de l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’État en date du 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, Rec. 21 que, si l’autorité compétente, notamment ministérielle, poursuit la mise en œuvre des décisions déjà prises ou des actions déjà engagées, elle ne saurait, en principe, initier régulièrement aucune mesure nouvelle.
Ainsi, même restreints, les pouvoirs du ministre démissionnaire sont préservés dans la mesure où ils contribuent, sans plus, au fonctionnement régulier, car sans interruption, des pouvoirs publics, notamment constitutionnels (al. 1er des art. 5 et 16), en ce sens qu’est maintenue la continuité des services publics (CE Ass., 7 juil. 1950, Dehaene, Rec. 426 et CC, 25 juil. 1979, Grève à la radio-télévision française, déc. n° 79-105 DC) et, plus généralement, celle de l’État (art. 5 et 16, al. 1er) ou de la vie nationale (CC, 30 déc. 1979, Loi de finances spéciale, déc. n° 79-111 DC). Au titre de cette coutume constitutionnelle, la République n’est jamais sans Gouvernement ni l’État sans ministres.
La prise en compte par exception de l’urgence par le ministre démissionnaire
Toutefois, à ce même titre, la gestion des affaires courantes connaît également l’exception systématique de l’urgence, mentionnée, de façon explicite d’ailleurs, dans l’arrêt de principe Syndicat régional des quotidiens d’Algérie précité. Or, de l’urgence, il est dit volontiers, en droit public, qu’elle couvre tout, en ce sens qu’elle satisfait, elle aussi, à l’exigence fondamentale de continuité de la puissance publique, y compris dans des « circonstances exceptionnelles » de temps ou de lieu, retenues par le juge administratif (CE, 28 juin 1918, Heyriès, Rec. 651 ; 18 mai 1983, Rodes, Rec. 199) ou par le législateur (loi du 3 avr. 1955 modif. relative à l’état d’urgence).
Les marges d’action des autorités publiques sont alors élargies de sorte que la mesure irrégulière en principe devient régulière par exception, au regard tant des compétences et des procédures pour prendre cette mesure que de la forme et du fond de la mesure prise. Il est donc admis que la gestion de tout ministre démissionnaire peut inclure les affaires nouvelles, mais urgentes qu’il doit traiter dans l’intérêt général (CE Ass., 16 avr. 1948, Laugier, Rec. 161).