Adaptation du droit du travail aux « phénomènes météorologiques défavorables »
Un mois après les inondations dans le sud-est de l’Espagne, le gouvernement espagnol a approuvé un nouveau dispositif de « congé payé climatique » afin notamment d’ « adapter le droit du travail » espagnol au contexte « d’urgence climatique », comme l'a souligné la ministre du Travail Yolanda Díaz à la télévision publique RTVE.
Par Arnaud Casado, Maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
De nouveaux droits pour faire face aux conséquences du dérèglement climatique
Dans une logique de gestion des risques climatiques, le Décret-loi royal 8/2024, du 28 novembre 2024, portant adoption de mesures urgentes complémentaires en réponse à la DANA, modifie plusieurs articles de la loi sur le Statut des Travailleurs.
Tout d’abord, afin d’anticiper les conséquences du dérèglement climatique, le contenu de la négociation collective obligatoire est renforcé. Désormais, des protocoles d’action incluant des mesures de prévention des risques spécifiquement adaptées aux catastrophes et aux autres phénomènes météorologiques défavorables devront être négociés (Art. 85).
Ensuite, l’information des représentants du personnel est affermie. Le comité d’entreprise doit désormais être informé, par l’entreprise, des mesures d’action prévues en cas d’activation d’alertes liées aux catastrophes et à d’autres phénomènes atmosphériques défavorables (Art. 64. 4. e)). Cette obligation s’ajoute aux droits à l’information, à la consultation et à la participation déjà prévus par la loi sur la prévention des risques professionnels.
Enfin, les salariés, après notification préalable et justification, pourront s’absenter du travail, avec droit à rémunération jusqu’à quatre jours en cas d’impossibilité d’accéder au lieu de travail ou d’emprunter les voies de circulation nécessaires pour s’y rendre, en raison des recommandations, limitations ou interdictions de déplacement établies par les autorités compétentes, ainsi qu’en cas de situation de risque grave et imminent, y compris celles découlant d’une catastrophe ou d’un phénomène météorologique défavorable (Art. 37.3 g)).
Ce « congé climatique » ne trouvera toutefois pas à s’appliquer si, la nature de la prestation de travail et l’état des réseaux de communication le permettant, l’entreprise décide de recourir au télétravail. En outre, si les phénomènes météorologiques défavorables perdurent au-delà de quatre jours francs, le congé sera prolongé jusqu’à la disparition des circonstances qui le justifiaient. Néanmoins, dans cette hypothèse, les entreprises pourront décider 3 une suspension du contrat de travail ou une réduction de la journée de travail pour cause de force majeure temporaire conformément à l’article 47.6 de la loi sur le statut des travailleurs.
La législation espagnole doit-elle inspirer la législation française ?
Le droit positif n’est pas hermétique à la prise en compte des intempéries et autres « phénomènes météorologiques défavorables ». Néanmoins, contrairement aux nouvelles dispositions ibériques, les dispositions relatives aux intempéries – « conditions atmosphériques et inondations lorsqu’elles rendent dangereux ou impossible l’accomplissement du travail eu égard soit à la santé ou à la sécurité des salariés, soit à la nature ou à la technique du travail à accomplir » – ne sont pas applicables à l’ensemble des salariés français (Art. L. 5424-8 et D. 5424-7 C. Trav.).
Pour les travailleurs du BTP, l’arrêt du travail en cas d’intempéries est décidé par l’entrepreneur ou par son représentant sur le chantier après consultation du comité social et économique (CSE). Les salariés bénéficient alors, sous conditions, d’un droit à indemnisation pour intempéries. Bien que leur domaine ait récemment été élargi aux périodes de canicules (Décret n° 2024-630 du 28 juin 2024 ; Art D. 5424-7-1 C. Trav.), cette évolution demeure insuffisante à l’aune des publications scientifiques qui prédissent un accroissement de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques en raison du dérèglement climatique. La santé et la sécurité des travailleurs devant primer sur les considérations économiques, il est nécessaire d’adapter les dispositions du code du travail pour l’ensemble des salariés dont la santé et la sécurité seraient affectées par des « phénomènes météorologiques défavorables ». Bien que lacunaires, des propositions de loi ont déjà été déposées en ce sens (Proposition de loi n° 1587 visant à adapter le Code du travail aux conséquences du réchauffement climatique, 20 juillet 2023 ; Proposition de loi n° 2124 visant à protéger les travailleurs de l’exposition aux températures extrêmes, 30 janvier 2024).
Le droit du travail doit-il contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique ?
Une réponse positive s’impose avec force : « chaque demi-degré compte, chaque année compte, chaque choix compte » (Valérie Masson Delmotte, Experte du GIEC). Dès lors, comme l’ensemble du droit privé, le droit du travail doit être mobilisé non seulement afin de lutter contre les causes du dérèglement climatique, mais encore accroitre la résilience des organisations de travail aux conséquences de celui-ci.
Malgré une faible écologisation des dispositions du code du travail (Art. L. 1222-9 C. Trav. l’accord ou la charte « Télétravail » doit déjà préciser les conditions du passage à cette modalité d’exercice de l’activité professionnelle en cas d’épisodes de pollution ; Art. L. 2312-8 et s. : les CSE dans les entreprises d’au moins 50 salariés se sont vu reconnaitre des attributions environnementales ; Art. L. 2241-12 et L. 2242-20 les négociations GEPC et GEPP doivent répondre aux enjeux de la transition écologique), il est possible de mobiliser largement le droit social pour trouver des accords gagnant-gagnant-gagnant : gagnant pour la planète, gagnant pour les travailleurs et gagnant pour les entreprises. Tel est l’objectif du droit social à vocation environnementale : réduire l’empreinte environnementale des entreprises, en augmentant les rémunérations des salariés ou leur qualité de vie au travail, tout en préservant la trésorerie des sociétés ou en leur permettant de réaliser des économies ou de bénéficier de leviers fiscaux et sociaux (A. Casado, Le droit social à vocation environnementale : vecteur de durabilité de l’entreprise, Lexisnexis 2024).
Ces deux dynamiques ne sont pas antagonistes. Ainsi, notamment dans une optique de gestion des risques, il est nécessaire de modifier certaines dispositions du code du travail afin de faire face à la nouvelle donne environnementale et à ses conséquences sur le marché de l’emploi. Ces évolutions doivent s’accompagner d’une augmentation des moyens des parties prenantes pour qu’elles puissent pleinement prendre à bras le corps ces problématiques : les dispositions de l’ANI du 11 avril 2023 relatif à la transition écologique et au dialogue social proposent plusieurs repères pratiques en ce sens.
Mais ce mouvement d’écologisation ne suffit pas. Il apparaît nécessaire de rechercher la finalité environnementale du droit social pour maximiser ses effets dans la lutte contre le dérèglement climatique. À titre d’exemple, dès aujourd’hui, les activités sociales et culturelles peuvent être verdies, les négociations obligatoires peuvent intégrer des critères ou finalités environnementales, la formation professionnelle peut être orientée vers des métiers plus durables et des filières d’avenir, etc.
Il est inutile d’attendre une catastrophe pour modifier notre corpus normatif. Dès aujourd’hui, le droit du travail peut pleinement être mobilisé pour le bien de tous en accompagnant la transition écologique des entreprises.