Par Florian Savonitto, Maître de conférences en droit public à l’Université de Montpellier Paul-Valéry – CERCCLE

Pourquoi la rédaction d’une Charte a-t-elle été jugée nécessaire pour protéger l’environnement ?

La Charte de l’environnement est née d’une initiative de Jacques Chirac durant sa campagne présidentielle pour sa réélection en 2002. Il avait clairement exposé son objectif : « Je proposerai aux Français (…) une Charte adossée à la Constitution, aux côtés des Droits de l’Homme et des droits économiques et sociaux. Ce sera un grand progrès. La protection de l’environnement deviendra un intérêt supérieur qui s’imposera aux lois ordinaires. (…) La Charte rappellera les droits et les devoirs de chacun à l’égard de l’environnement, et vis-à-vis des générations futures ».

L’ambition est élevée puisqu’il s’agit d’inscrire une « humanité écologiste » au cœur du pacte républicain et, après 1789 et 1946, de rédiger « à froid » une Déclaration du XXIe siècle qui consacrera des droits et devoirs environnementaux, symbole de cette 3e génération de droits.

Cette Charte vise à combler un double vide : l’un rédactionnel et l’autre jurisprudentiel. Elle remédie, d’un côté, aux tentatives parlementaires qui ont toutes échoué à introduire l’environnement dans la Constitution de 1958 depuis 3 décennies et, de l’autre, à la position du Conseil constitutionnel qui faisait obstacle à toute création de normes environnementales sur le fondement de dispositions de 1789 et 1946. La France rejoint alors le mouvement mondial de protection constitutionnelle de l’environnement qui n’a cessé de progresser depuis les années 70.

La jurisprudence constitutionnelle est-elle protectrice de l’environnement ?

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont opéré, en 2008, une lecture égalitariste du Préambule de 1958 en conférant à toutes les dispositions de la Charte une valeur constitutionnelle « à l’instar » de celles énoncées en 1789 et 1946. Mais derrière cette homogénéité de façade règne, à l’intérieur de la Charte, une profonde hétérogénéité. Leur invocabilité devant un juge l’illustre. Le Conseil constitutionnel a reconnu que seuls les articles 1, 2, 3, 4 et 7 étaient le siège de droits et libertés constitutionnels, ce qui leur ouvrent les portes de la QPC. En revanche, elles se sont refermées pour tous les alinéas du Préambule et les article 6 et 8. Le silence est encore gardé sur les 5, 9 et 10. Quant au Conseil d’Etat, il n’a, à ce jour, reconnu au sein de la Charte qu’une seule « liberté fondamentale » au sens de l’article L. 521-2 du CJA : le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Concernant le Conseil constitutionnel, on dénombre seulement 67 de ses décisions dans lesquelles une disposition ou une exigence de la Charte est citée. Si on fait un décompte plus fin, ce sont 27 dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori de la loi, 37 dans le cadre de son contrôle a posteriori, 1 dans le cadre du contrôle des opérations référendaires et 2 dans le cadre du contrôle de la répartition des compétences entre la loi et le règlement. C’est peu sachant que les sages ont rendu depuis mars 2005 plus d’un millier de décisions QPC et plus de 200 décisions DC. Mineur, le contentieux de la Charte représente donc une infirme partie du contentieux constitutionnel.

Sur ces 67 décisions, 13 ont prononcé des déclarations d’inconstitutionnalité. Mais ce n’est qu’une façade. 12 l’ont été sur le fondement de l’article 7 : plus exactement, 11 à la suite d’une atteinte au principe de participation et 1 pour méconnaissance du principe d’information. Or, il s’agit de droits procéduraux, de telle sorte que leur garantie n’aboutit pas nécessairement à ce que la décision prise protège effectivement l’environnement. De plus ces décisions sont concentrées principalement entre 2011 et 2014 et la dernière censure prononcée remonte à 2021. Une seule fois le Conseil constitutionnel a prononcé une déclaration d’inconstitutionnalité en dehors de l’article 7. Il s’agissait, en 2022, des articles 1er et 3 de la Charte. L’action des sages à l’encontre des dispositions législatives qui nuisent à l’environnement est donc limitée, même s’il ne faut pas oublier qu’ils ont pu émettre quelques réserves d’interprétation utiles ou que la simple éventualité en aval d’un contentieux constitutionnel a des effets en amont sur la licéité de la loi. Mais si la Charte n’est pas un « glaive » contre les dispositions économiques, elle peut servir de « bouclier » aux législations environnementales. Les dispositions législatives protectrices de l’environnement sont mieux armées dorénavant lorsqu’il s’agit de les concilier avec les droits économiques et sociaux grâce à l’élévation de l’objectif de protection de l’environnement au rang constitutionnel en 2020.

Cette protection constitutionnelle de l’environnement pourrait-elle être améliorée ?

L’environnement est sûrement la matière qui s’est jurisprudentiellement la plus enrichie, particulièrement sous la présidence de Laurent Fabius : création d’une obligation de vigilance environnementale en 2011 ; contrôle, en 2019, des objectifs législatifs environnementaux ; consécration de l’OVC de protection de l’environnement en 2020 ; renforcement de l’intensité du contrôle de l’article 1er de la Charte en 2020 ; consécration, en 2023, d’une liberté de choix des générations futures et des autres peuples ainsi que d’un devoir incombant au législateur actuel de veiller à cette dite liberté.

Mais la jurisprudence constitutionnelle a montré aussi des réticences à faire prospérer les exigences tirées de la Charte : le principe de conciliation a été vidé de sa substance ; le principe de non-régression a été rejeté ; le principe de l’interdiction de toute utilisation à rebours de la Charte n’a pas été consacré ; l’invocabilité du principe de précaution en QPC n’a pas été reconnue ; les droits tirés de l’article 7 n’ont pas été substantialisés…. Cette retenue a suscité des critiques parfois très sévères de la doctrine, d’autant plus que l’urgence et l’ampleur de la crise environnementale s’accommode mal du rythme juridictionnel qui procède par petits pas.

Deux voies s’ouvrent alors à l’amélioration de la protection constitutionnelle de l’environnement. La première relève du Conseil constitutionnel qui pourrait, de lui-même, relever l’intensité du contrôle qu’il exerce sur les droits et devoirs de la Charte. L’article 1er pourrait ainsi faire l’objet du triple test de proportionnalité sachant que le Président Fabius a récemment regardé « le droit à l’environnement comme la condition des autres droits ». La seconde relève du Constituant qui pourrait réviser la Constitution. La Convention citoyenne pour le Climat avait ainsi proposé, en 2020, de réviser le Préambule de 1958 aux fins que « La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement ». Cette voie suppose, toutefois, de disposer d’une majorité de députés et de sénateurs qui soutiendrait une telle réforme. L’échec du Projet de loi constitutionnelle de 2021 nous enseigne que cette condition n’est pas toujours réunie.