Viols et agressions sexuelles par un médecin : ce que dit la loi
Les viols et agressions sexuelles commis par des médecins choquent d’autant plus qu’ils s’accompagnent, pour les victimes, d’un sentiment de trahison de la part d’un professionnel dont la fonction est fondée sur la confiance. L’affaire du docteur Joël Le Scouarnec, qui vient de reconnaître l'intégralité des abus sexuels dont il est accusé sur 299 victimes, en constitue à cet égard un paroxysme. Que dit le droit ?

Par Bruno Py, Professeur à l’Université de Lorraine
Que prévoit précisément la loi en cas de viol ou d’agression sexuelle commis par un médecin ?
Pour qu’il y ait viol ou agression sexuelle, il faut prouver qu’un acte a été imposé par violence, menace, contrainte ou surprise. « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. » (C.pén. art. 222-23). S’il est prouvé qu’un médecin a imposé un acte à dimension sexuelle à un de ses patients, alors cet acte est jugé plus sévèrement que s’il avait été commis par un non soignant. La qualité de soignant est une circonstance aggravante qui fait encourir au coupable 20 ans de réclusion criminelle : « 5° Lorsqu’il est commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions » (C.pén., art.222-24-5°)
Quant au consentement, chacun sait que certains médicaments perturbent la lucidité, la vigilance et la capacité de résister. Il existe même des molécules ayant un effet désinhibiteur susceptible de transformer un individu timide en un libidineux outrancier. Si l’intensité des effets de la substance employée annihile le consentement de la victime, alors il y a viol par surprise. Deux situations différentes peuvent alors se présenter. D’une part, un médecin peu scrupuleux peut être tenté de faire absorber à sa future victime un produit dont il connaît les conséquences, dans le but de profiter d’elle. Il s’agit alors d’un viol par soumission chimique. D’autre part, certains professionnels de santé, sachant que tel ou tel traitement médical diminuent la lucidité d’un patient peuvent tirer parti d’un état de passivité causé par les produits absorbés. La loi du 3 août 2018 a fait de la soumission chimique une circonstance aggravante du viol : « Lorsqu’une substance a été administrée à la victime, à son insu, afin d’altérer son discernement ou le contrôle de ses actes » (C.Pén. art. 222-24-15°)
En la matière, quel est, par ailleurs, le rôle de l’Ordre national des Médecins ?
L’ordre national des médecins a un double rôle à l’égard des médecins dont il est le gardien de la déontologie – qui inclut d’ailleurs le principe de moralité. « Le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine. » (C.santé Pub., art. R4127-3) D’une part, l’ordre des médecins a un rôle préventif ; d’autre part il a un rôle répressif.
Sur le plan préventif, le médecin-candidat à une inscription au tableau de l’ordre doit remplir un dossier et produire différents documents dont un bulletin n°3 extrait du casier judiciaire. Le B3 est celui qui contient le moins de mentions de condamnations. Il comporte uniquement les condamnations les plus graves, telles que les condamnations à une peine d’emprisonnement supérieure à 2 ans, non assortie d’un sursis. De son côté, le conseil départemental de l’Ordre des médecins est habilité à solliciter directement des services du casier judiciaire un bulletin n°2. (C.proc.pén., art. 776) Par principe, le B2 comporte l’ensemble des condamnations judiciaires et des sanctions administratives, sauf celles qui concernent les mineurs ou des contraventions de police. En toute logique, un médecin condamné pour un crime ou un délit sexuel verrait son inscription au tableau de l’Ordre refusée au vu du B2 de son casier judiciaire.
Sur le plan répressif, à l’égard d’un médecin inscrit au tableau, l’Ordre des médecins peut lui-même enclencher une procédure disciplinaire qui peut aboutir, le cas échéant, à une suspension, voire à une radiation. Parallèlement, si une procédure pénale a visé un médecin, le parquet doit informer l’ordre des médecins des sanctions professionnelles prononcées. « Lorsqu’un professionnel de santé au sens du code de la santé publique, ou un vétérinaire, est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer sa profession, ou interdiction de se rendre sur le lieu d’exercice de sa profession, l’ordre dont il relève est légitimement intéressé par cette décision. » (Circulaire du 24 septembre 2013 relative aux relations entre les parquets et les ordres des professions en lien avec la santé publique).
Dans l’affaire Le Scouarnec, il semble qu’un double raté ait été commis. D’une part, la condamnation de 2005 pour détention d’images pédopornographiques à 4 mois d’emprisonnement avec sursis n’aurait pas été transmise au conseil départemental ; d’autre part, cette décision une fois connue en 2006, le conseil départemental n’aurait pas initié de procédure disciplinaire.
Faut-il modifier le code de déontologie médicale ?
Le 27 mars 2018, plusieurs personnalités ont adressé au Ministre de la Santé d’alors, Agnès Buzyn une pétition par laquelle ils demandaient « l’ajout au Code de Déontologie Médicale d’un article interdisant explicitement aux médecins toute relation sexuelle avec les patient(e)s dont ils assurent le suivi ».
Le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) a répondu en revenant aux principes fondamentaux. « L’Ordre estime cependant qu’une telle disposition, et son inscription dans un texte réglementaire, (…) lui parait (…) inutile, dès lors que les textes actuellement applicables et appliqués permettent de réprimer en droit disciplinaire tous les abus de faiblesse sur personne en situation de vulnérabilité, y compris en matière sexuelle. » Toutefois, dans les commentaires du Code de déontologie, sous l’article 2 qui se réfère au respect de la personne et de la dignité, « pour se prémunir de toute inconduite, notamment à caractère sexuel », le CNOM conseille désormais explicitement aux praticiens de s’abstenir d’un comportement ambigu et de ne pas abuser de l’ascendant de la fonction de médecin notamment sur des patients vulnérables.