Par Audrey Darsonville, Professeur de droit pénal à l’Université Paris Nanterre

Quelle peine a été prononcée à l’encontre de Joël Le Scouarnec ?

La cour criminelle a condamné l’accusé à une peine de 20 ans de réclusion criminelle, soit le maximum légal encouru. En effet, le crime de viol est puni de 15 ans de réclusion criminelle et, lorsqu’il est aggravé, ce qui était le cas en l’espèce en raison de la minorité de nombreuses victimes et de la pluralité de victimes, la peine encourue est alors de 20 ans de réclusion criminelle en vertu de l’article 222-24 du code pénal. Cette peine a été assortie d’une période de sûreté des deux tiers, soit de 13 ans. La période de sûreté est le laps de temps durant lequel une personne condamnée à une peine privative de liberté ne peut bénéficier d’aucun aménagement de peine. La personne purge donc sa peine avec certitude jusqu’à la fin de la période de sûreté et c’est seulement à l’issue de cette dernière qu’il peut espérer un aménagement de peine qui n’est jamais garanti. Joël Le Scouarnec étant incarcéré depuis 2017, il aura achevé sa période de sûreté aux alentours de 2030 et c’est à partir de cette date qu’il pourra demander un aménagement de peine, qui lui sera octroyé ou non. Il convient de préciser que la période de sûreté pour le viol aggravé de l’article 222-24 code pénal n’est pas de plein de droit mais facultative. Ainsi, c’est la cour criminelle qui a fait le choix d’assortir la peine de réclusion criminelle de cette période de sûreté, choix qui reflète sa volonté d’opter pour une peine sévère.

En outre, la juridiction a prononcé un suivi socio-judiciaire de 15 ans. Cette peine complémentaire contraint le condamné à des obligations de surveillance (interdiction d’entrer en relation avec les victimes, etc.) et à une injonction de soins (obligation de suivre un traitement médical, suivi psychologique, etc.).

En quoi consiste la rétention de sûreté ?

La rétention de sûreté, créée par la loi du 25 février 2008, se définit comme le maintien sous contrainte, à l’issue de l’exécution de leur peine, des personnes considérées comme trop dangereuses pour bénéficier d’une libération. A la fin de l’incarcération, la personne est placée dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel elle sera prise en charge. Le condamné, après avoir purgé sa peine, ne recouvre donc pas la liberté. La rétention de sûreté, pour pouvoir s’appliquer en fin de peine, doit avoir été prononcée ab initio par la juridiction de jugement. Ainsi, la rétention de sûreté peut être prononcée, sous réserve de certaines conditions, par la juridiction de jugement si elle considère que la personne condamnée présente une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité élevée de récidive.

Lors du procès de Joël Le Scouarnec, le parquet avait requis cette mesure mais la cour criminelle du Morbihan a décidé de ne pas la prononcer en se fondant sur l’âge de l’accusé, sa reconnaissance de l’intégralité des faits et sa volonté de « reconquérir sa part d’humanité », pour reprendre les mots de l’accusé, prononcés avant que la cour ne se retire pour délibérer.  

Pour quelles raisons le prononcé des peines est-il l’objet de critiques ?

Les peines prononcées ont fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part des parties civiles déçues tant du quantum de la peine, que de l’absence de rétention de sûreté. Au regard du quantum prononcé, la Cour criminelle a infligé à l’accusé la peine maximale, à savoir 20 ans de réclusion criminelle. Ce seuil a pu être considéré comme trop faible eu égard au nombre très conséquent de victimes lors de ce procès. Cette critique repose sur le fait que pour le viol, la pluralité de circonstances aggravantes ne crée pas d’effet de « sur-aggravation », pour reprendre les termes d’Aurélie Cappello, comme cela est possible pour d’autres infractions comme les violences volontaires pour lesquelles la peine est aggravée si elle est assortie d’une circonstance aggravante, puis augmentée s’il y a deux circonstances aggravantes et aggravée encore quand il y en a trois (article 222-13 du code pénal). L’article 222-24 du code pénal prévoit que la pluralité de circonstances aggravantes n’a pas pour effet d’augmenter la peine au-delà de 20 ans. Ainsi, dans l’affaire de Le Scouarnec, la circonstance aggravante de la minorité des victimes et celle de la sérialité des viols n’ont pas d’effet sur-aggravant sur la peine. Une proposition de loi est en cours d’examen au Parlement afin de prévoir que le cumul de circonstances aggravantes se traduirait par une peine aggravée de 30 ans.

Outre le quantum de la peine, c’est le choix de la cour criminelle de ne pas prononcer la rétention de sûreté qui a été la cible des critiques en raison de l’inquiétude pour les victimes d’une possible sortie de l’accusé de détention et du risque qu’il pourrait encore représenter pour d’autres victimes.

Cependant, si les critiques sur les peines mettent en exergue avec justesse la question des peines applicables au crime de viol, il ne faut pas occulter plusieurs éléments. D’abord, une peine de 20 ans d’incarcération est une peine conséquente. Le quantum plafonné en présence de plusieurs circonstances aggravantes peut être critiqué, mais cela n’enlève rien au fait qu’une privation de liberté de 20 ans demeure une longue peine. Ensuite, Joël Le Scouarnec étant âgé de 75 ans et sous le joug d’un second procès à venir du fait de la découverte de nouvelles victimes, il est peu probable qu’il puisse un jour sortir de détention, sauf état de santé incompatible avec la détention. De surcroît, relativement aux critiques sur la rétention de sûreté, si Joël Le Scouarnec venait à sortir de détention à l’issue de sa période de sûreté, il ne serait pas exempt de tout contrôle justement, parce que la cour a prononcé un suivi socio judiciaire. En outre, la peine réprime l’atteinte à l’ordre public et marque la reconnaissance de l’existence des crimes et partant du statut des victimes, mais la réparation de ces dernières pourrait aussi être pensée par d’autres outils que pénaux, notamment par des mesures restauratives. Enfin, comme l’a souligné la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) dans son communiqué, l’ouverture d’une réflexion collective sur les « responsabilités institutionnelles », notamment du corps médical, qui n’a pas su arrêter le parcours criminel de l’accusé est devenue indispensable, et c’est au moins le mérite de ce procès.