Par Benjamin Fiorini, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Paris 8 Vincennes

Où en est l’affaire Stormy Daniels sur le plan judiciaire ?

Le 30 mai 2024, un jury new-yorkais a déclaré à l’unanimité Donald Trump coupable de 34 chefs d’accusation – un verdict historique, puisqu’il s’agit de la première condamnation au pénal d’un ancien locataire de la Maison Blanche. En substance, les jurés ont estimé qu’à l’occasion de sa campagne présidentielle victorieuse de 2016, Donald Trump a tenté de dissimuler le paiement de la somme de 130.000 dollars à une actrice de films X, Stormy Daniels, pour éviter un scandale sexuel portant sur ses relations extraconjugales.

Toutefois, ce verdict laissait en suspens la question de la peine. En effet, contrairement au système français où la cour d’assises, composée de trois juges et de six jurés, décide simultanément de la culpabilité et de la sanction, le système américain prévoit un mécanisme dit de « césure » : dans un premier temps, les jurés décident seuls de condamner ou non, puis, dans un second temps, en cas de condamnation, un juge unique détermine la peine.

Initialement, il était prévu que le juge Juan Merchan, en charge de ce dossier, prononce cette sanction le 11 juillet 2024. Ce calendrier a néanmoins été bouleversé par la décision retentissante Trump v. United States rendue par la Cour suprême des États-Unis le 1er juillet 2024. Saisie par Donald Trump dans le cadre d’une autre affaire, la plus haute juridiction américaine a considérablement élargi le champ de l’immunité pénale présidentielle.

Se prévalant de cette décision dont la portée demeure relativement incertaine, Donald Trump a introduit une requête pour faire annuler sa condamnation dans l’affaire Stormy Daniels, sur le fondement de l’article 330.30 de la Criminal Procedure Law. Ce recours a conduit le juge Merchan à repousser le prononcé de la sentence au 18 septembre 2024. Les avocats de Donald Trump ont ensuite demandé un report beaucoup plus lointain, avant d’être appuyés dans cette démarche par le bureau du procureur de New York Alvin Bragg.

Pourquoi le prononcé de la peine de Donald Trump a-t-il été ajourné ?

Dans une lettre de quatre pages adressée aux conseils de Donald Trump le 6 septembre 2024, le juge Juan Merchan a fait droit à la demande de l’ancien président, en annonçant sa décision d’ajourner l’annonce de la peine au 26 novembre 2024, soit postérieurement à l’élection présidentielle qui se déroulera le 5 novembre.

Plus précisément, il indique que la décision portant sur l’hypothétique annulation du verdict de condamnation, tout comme celle portant sur l’éventuel prononcé du peine (deux problèmes intimement liés) sont ajournés « afin d’éviter toute apparence – même injustifiée – que la procédure a été affectée par ou cherche à affecter l’élection présidentielle qui approche et à laquelle le défendeur est candidat ».

Soucieux de préserver son image d’impartialité, le juge Merchan estime que cette décision « devrait dissiper toute suggestion selon laquelle la Cour aurait rendu une décision ou imposé une peine soit pour donner un avantage, soit pour créer un désavantage pour un parti politique ou un candidat ».

Il montre ensuite sa volonté de ne pas réserver un traitement spécial à Donald Trump, en précisant que « les ajournements de peine sont régulièrement accordés, souvent à plusieurs reprises, dans d’autres affaires pénales », et qu’en l’occurrence, « compte tenu des faits et des circonstances uniques de cette affaire, il n’y a aucune raison pour que ce défendeur soit traité différemment des autres ».

Quelles sont les conséquences de cette décision ?

La décision du juge Merchan, particulièrement prudente, repose manifestement sur la volonté de préserver l’impartialité objective de l’institution judiciaire. Il s’agit de montrer que Donald Trump est traité comme le serait n’importe quel justiciable, sans précipitation ni acharnement, afin de saper la thèse, continuellement attisée par l’ancien président, d’une justice instrumentalisée à des fins politiques.

Pour autant, contrairement à ce qu’indique le juge Merchan, il est certain que cette décision – comme l’aurait fait une décision contraire – aura un impact politique sur l’élection présidentielle. Elle empêchera les électeurs américains, lorsqu’ils prendront part au vote, de connaître la nature de la peine qui sanctionnera vraisemblablement le candidat républicain (emprisonnement ferme ou avec sursis, assignation à résidence, amende, travaux d’intérêt généraux, etc.). Cela peut être considéré comme une carence démocratique. Autre conséquence : quelle que soit la peine prononcée, une nouvelle élection de Donald Trump aurait pour effet d’en suspendre l’exécution tout au long de son nouveau mandat, soit pour une durée de quatre ans.

Plus fondamentalement, cette décision pose la question de la pertinence de la stratégie consistant, pour le camp démocrate, à promouvoir l’utilisation de la voie judiciaire pour miner la candidature de Donald Trump. A l’heure du bilan, force est de constater que la multiplicité des recours prévus en droit américain, cumulée à la capacité des avocats de l’ancien président à en faire une arme dilatoire, lui ont permis de s’épargner la plupart des procès avant les élections.