Travail le 1er mai : la baguette artisanale est-elle un service essentiel ?
Le 1er mai, fête internationale des travailleurs, est depuis la loi du 1er mai 1947 un jour férié obligatoirement chômé pour tous les salariés. Certains secteurs essentiels (transports, centres de soins…) bénéficient toutefois d’une dérogation dont certains commerces de proximité aimeraient se prévaloir. Récemment, plusieurs employeurs exerçant une activité de boulangerie artisanale ont fait l’objet de procès-verbaux pour ne pas avoir respecté la règle. L’occasion de rappeler le régime juridique de ce jour particulier.
Par Bérénice Bauduin, Maître de conférences à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Sur quels fondements juridiques repose l’interdiction de travailler le 1er mai ?
Le Code du travail dresse, pour la France métropolitaine (hors Alsace-Moselle), une liste de 11 jours fériés. Parmi eux, le 1er mai occupe une place particulière. Il est l’unique jour férié obligatoirement chômé par l’effet de la loi. L’employeur qui emploie des salariés le 1er mai s’expose au prononcé d’une amende de 750 euros par salarié concerné. Le maintien de la rémunération pour les salariés ne travaillant pas le 1er mai est de droit, sans condition d’ancienneté. Son montant se calcule en tenant compte des heures supplémentaires, primes et majorations constituant des compléments de salaire que l’intéressé aurait perçus s’il avait travaillé.
Certains secteurs bénéficient d’une dérogation. Aux termes de la loi, il s’agit de ceux qui « en raison de la nature de leur activité ne peuvent interrompre le travail ». Les salariés de ces structures qui travaillent le 1er mai bénéficient du doublement de leur rémunération. Il n’existe aucune définition légale ni aucune liste exhaustive permettant de circonscrire les activités qui sont concernées par cette dérogation. Dès lors, en cas de litige ou de poursuites pénales, il appartient à l’employeur de démontrer que la nature de son activité ne lui permet pas d’interrompre le travail le 1er mai. La Cour de cassation laisse le soin aux juges du fond d’apprécier souverainement, au cas par cas, le caractère convaincant des arguments qui leur sont présentés. Les solutions en la matière s’avèrent donc casuistiques. Si les transports, les centres de soins ou encore les hôtels s’intègrent assez naturellement dans cette dérogation, ce n’est pas le cas de l’ensemble des commerces.
Les boulangeries peuvent-elles ouvrir le 1er mai ?
D’emblée, cette question appelle une réponse positive dans la mesure où l’interdiction de travail le 1er mai ne concerne que les travailleurs salariés. Les boulangeries peuvent ouvrir le 1er mai dès lors qu’aucun salarié n’est employé ce jour-là. Le boulanger exerçant sous le statut de commerçant peut ainsi exercer son activité, le cas échéant avec l’aide de son conjoint collaborateur ou associé. Il peut également bénéficier d’une aide familiale bénévole, à la condition que celle-ci soit ponctuelle, spontanée et exempte de tout lien de subordination (sous peine de tomber sous la qualification de travail dissimulé).
S’agissant des boulangeries dont l’ouverture est subordonnée à la présence de salariés, la situation est plus délicate. Dans une réponse ministérielle (Réponse n°31661 JO de l’Assemblée nationale le 30 juin 1980), le ministre du travail de l’époque avait affirmé que les établissements bénéficiant du droit d’accorder le repos hebdomadaire par roulement pouvaient se prévaloir de la dérogation au principe du 1er mai chômé. C’était le cas des boulangeries. Cette position, réaffirmée dans une instruction du 23 mai 1986, n’était qu’une pure doctrine ministérielle sans force normative. Elle a été expressément contredite par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 14 mars 2006.
Les boulangeries désirant ouvrir le 1er mai en employant des salariés doivent donc établir que la nature de leur activité ne leur permet pas d’interrompre le travail, conformément à article L. 3133-6 du Code du travail. C’est également ce qui ressort de l’article 27 de la Convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976. Objectivement, il est difficile de soutenir que l’activité de boulanger présente une nature interdisant son interruption. Il en est de même pour les supermarchés, les fleuristes et les autres commerces de proximité. Le droit positif n’autorise donc pas ces entreprises à faire travailler leurs salariés le 1er mai. C’est dans ce contexte que des boulangers vendéens ayant fait travailler des salariés le 1er mai 2024 ont été verbalisés. Ils ont finalement été relaxés par le tribunal de police de La Roche-sur-Yon le vendredi 25 avril 2025. Face à ces contentieux, la profession a appelé de ses vœux une clarification législative.
Faut-il réformer la loi en réponse à la demande des boulangers ?
Une proposition de loi a été déposée au Sénat le 25 avril 2025, afin d’étendre la possibilité d’employer des salariés le 1er mai aux « établissements et services dont le fonctionnement ou l’ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l’activité ou les besoins du public ». Selon les auteurs du texte « Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause le caractère férié et chômé de cette journée, mais de reconnaître la spécificité de certaines activités – à l’instar des boulangeries ou des fleuristes – qui participent pleinement à notre vie quotidienne et à notre patrimoine culturel ». Dans sa version initiale, le texte proposé ne laisse aucune place au volontariat des salariés concernés.
Le public a-t-il véritablement besoin d’acheter une baguette fraîche le 1er mai ? On peut en douter et dans cette hypothèse, les supermarchés pourraient également se prévaloir des « besoins du public » pour ouvrir. En effet, rien dans la proposition de loi ne permet de privilégier la baguette artisanale à la baguette vendue en grande surface. Au-delà, on voit mal comment un texte pourrait réserver aux seuls commerces de proximité la faculté d’ouvrir le 1er mai. Par capillarité, ce serait tous les commerces qui seraient amenés à revendiquer le droit de faire travailler leurs salariés ce jour-là. Le 1er mai, symbole des revendications syndicales et ouvrières risquerait alors de n’être plus que… purement symbolique.